Calais : comment des bénévoles deviennent "passeurs malgré eux"
Une Britannique a été condamnée à un an de prison, en novembre, pour avoir caché un migrant mineur dans sa voiture. Elle est rejugée, lundi, en appel, à Rouen.
C'est le procès d'une femme "en état de choc" qui s'ouvre, lundi 18 janvier, en Seine-Maritime. Quatre jours après la quasi-relaxe dont a bénéficié le bénévole britannique Robert Lawrie à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), une de ses compatriotes de 41 ans revient devant la justice française, à la cour d'appel de Rouen, pour avoir tenté de sauver un mineur syrien de la "jungle" de Calais. En première instance, en novembre, à Dieppe, elle avait été condamnée à un an de prison ferme et à cinq ans d'interdiction du territoire.
Ce 10 novembre, Roisin B. est interpellée, peu avant d'embarquer sur un ferry, avec un Syrien de 15 ans dans son coffre. Cette mère de famille dit avoir agi par "compassion pour les migrants", selon ses propos rapportés par Paris Normandie. A l'annonce de son incarcération, son monde s'écroule. "Elle était extrêmement choquée, tremblante, elle ne pensait pas un seul instant qu'on l'enverrait en prison, raconte, à francetv info, son avocate, Najma Ouchene. Pour elle, elle intervenait dans un cadre humanitaire."
"Compassion" ou "criminalité organisée" ?
Si le parquet reconnaît la "bonne volonté" de la bénévole, qui s'est rendue plusieurs fois dans la "jungle" de Calais pour y donner des vêtements et servir des repas, il s'interroge sur une possible manipulation de la femme par un réseau de passeurs. Le geste de Roisin B. a été commis à l'initiative d'un migrant, avec lequel elle avait sympathisé à Calais et qui avait réussi à rejoindre l'Angleterre. Il l'avait alors, selon elle, "suppliée" d'aller chercher "un ami à lui, pour qui il était très inquiet", à Calais. Elle avait accepté, en échange de 500 livres (662 euros) pour les frais d'essence et de ferry.
"Nous avons ici l'ébauche d'une organisation relevant de la criminalité organisée et du trafic d'êtres humains, indique, à francetv info, Sophie Bot, substitut du procureur de Dieppe. Nous avons déjà eu des procédures avec un mode opératoire identique, où des personnes lambdas sont recrutées en Angleterre et envoyées en France pour un rendez-vous près de la 'jungle'."
"Dur de rester insensible à la situation à Calais"
"Il est dur pour nous, en tant qu'humanitaires, de rester insensibles à la situation des enfants dans la jungle de Calais", a expliqué Christian Salomé, jeudi, devant le tribunal de Boulogne-sur-Mer. Le président de l'association L'auberge des migrants était cité comme témoin au procès de Rob Lawrie, jugé pour avoir tenté de conduire une fillette afghane en Angleterre. "Je comprends très bien que certains veuillent sortir des gens de Calais."
Face au juge, Rob Lawrie, ancien militaire britannique de 49 ans, pris de tremblements, n'a pas caché sa "peur" d'être envoyé en prison pour son acte "stupide". Lui qui a sacrifié sa vie familiale et professionnelle pour apporter son aide dans le camp de Calais se retrouvait poursuivi pour "aide à la circulation irrégulière d'un étranger". La même qualification est régulièrement retenue contre les passeurs qui monnaient leurs services contre plusieurs milliers d'euros. Il a finalement été acquitté de ce chef.
L'argent au cœur des débats
Deux bénévoles britanniques, deux gestes de "compassion", mais deux peines différentes ? "La frontière est très fine entre le fait d'aider un enfant et le fait de contribuer à l'immigration clandestine", reconnaît Rob Lawrie. Si, contrairement à sa concitoyenne, il n'a pas été incarcéré, c'est en partie parce que son geste n'était ni prémédité, ni assorti d'un quelconque échange financier.
A l'audience, le procureur a reconnu que le père de famille avait agi de manière désintéressée et qu'il ne relevait ni "des filières quasiment mafieuses", ni "de ces particuliers opportunistes en contact avec des passeurs pour se faire de l'argent".
Roisin B., elle, a commis l'erreur de parler finances, même pour un profit dérisoire. "Le côté compassionnel me paraît difficile à retenir dès lors qu'il y a rémunération", glisse la représentante du parquet de Dieppe, Sophie Bot. Les conditions de transport du jeune Syrien ont également pesé dans la balance. "Ce mineur est resté plus de quatre heures dans le coffre de la voiture, sans aération, avec juste une bouteille d'eau et une bouteille vide pour uriner. C'était dégradant, inhumain."
Une bénévole française condamnée à du sursis
Ces cas de "bénévoles-passeurs" dans le nord de la France sont-ils fréquents ? Non. Francetv info n'a retrouvé la trace que d'un autre cas, en octobre. Une Boulonnaise de 47 ans a été arrêtée sur le port de Calais avec deux migrants pakistanais dans son coffre, rapporte La Voix du Nord.
Cette mère de famille divorcée était tombée amoureuse, fin 2014, dans la "jungle", d'un migrant indien, qui avait ensuite réussi à rejoindre le Royaume-Uni. L'homme lui avait alors demandé de transporter des personnes depuis Calais, ce qu'elle avait fait une première fois en août, avec succès. Pour le passage des deux Pakistanais, deux mois plus tard, elle devait percevoir 1 100 livres (1 437 euros). Elle a écopé de six mois de prison avec sursis.
"J'ai été approché par un homme afghan"
"La première chose que l'on dit aux bénévoles qui arrivent dans la 'jungle', c'est qu'ils vont rencontrer des gens passionnants, à qui il va être difficile de dire 'non', indique, à francetv info, Christian Salomé, de L'Auberge des migrants. Je connais bien sûr des bénévoles qui ont fait la traversée sans se faire prendre."
Selon le responsable associatif, les réseaux de passeurs cherchent rarement à entrer en contact avec les bénévoles. Des tentatives d'approches peuvent toutefois survenir, en misant sur la naïveté des intervenants. "J'ai été approché par un homme afghan avec un passeport britannique, raconte Rob Lawrie à francetv info. Il est venu dans ma chambre d'hôtel et m'a proposé 5 000 livres [6 548 euros] pour prendre un riche réfugié syrien. Il m'a donné les détails du plan. Je lui ai mis mon poing dans la figure et je l'ai laissé dans le couloir."
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