"Cinq heures en mer, j'ai peur mais je n'ai pas le choix" : les migrants de Calais de plus en plus nombreux à tenter la traversée de la Manche pour gagner l'Angleterre
En 2018, plus de 500 migrants ont tenté de rejoindre les côtes britanniques à bord d'embarcations de fortune. Un rythme qui s'est accéléré ces derniers mois, malgré les risques d'une telle traversée.
Des migrants entassés sur de frêles embarcations au beau milieu de la mer... Ces scènes ne se limitent plus à la Méditerranée mais gagnent désormais la Manche. Plus de 500 migrants ont tenté la traversée en bateau l’an passé. Plus de la moitié est parvenue en Angleterre, les autres ont été interceptés. Même si cela reste bien inférieur aux 25 000 interpellés dans des camions l'an passé, ces tentatives de traversée par voie maritime ont fortement augmenté ces derniers mois, à la faveur d'une météo clémente et d'une présence plus importante d'Iraniens dans la région, qui privilégient le bateau. La préfecture met aussi en avant une sécurisation accrue du trafic poids lourds. Quand aux passeurs, ils agitent la perspective du Brexit pour inciter les migrants à prendre la mer.
Franceinfo s'est rendu dans la zone de départ, entre Boulogne-sur-Mer et Calais, où les choses se sont accélérées ces dernières semaines. Près de 60 départs de bateaux ont été recensés ces deux derniers mois. C’est quatre fois plus que pour toute l’année 2017. Pour empêcher ces traversées à haut risque, les autorités ont renforcé la surveillance en mer et sur terre, surtout la nuit, quand se font la plupart des départs. Dans le froid, le vent et le noir, une patrouille nocturne de quatre gendarmes descend sur la plage, près de Wissant. En face, l'Angleterre semble à portée de canot pneumatique. "Quand on voit les lumières comme ça sur le littoral, on pense que c'est tout près", souligne l'un des gendarmes. Mais les 30 km de traversée sont particulièrement dangereux. Les courants sont forts et la température de l'eau ne dépasse pas les 8 degrés, sans compter le risque d'être percuté par l'un des 300 à 400 énormes navires qui passent ici chaque jour.
Du ruban adhésif pour rendre les vêtements plus étanches
Munis d'une puissante lampe torche, l'adjudant-chef Maxence Routier scrute la dune et ses hautes herbes. "On voit ici que la végétation est aplatie", montre-t-il. Il y a quinze jours, un Zodiac, accompagné d'un moteur, a été retrouvé à cet endroit. "Les passeurs viennent déposer le matériel et ils donnent des indications aux migrants, soit en leur donnant une carte, soit en mettant un repère au sol", explique le gradé. Pour repérer d'éventuels candidats au départ, les gendarmes disposent aussi de jumelles thermiques qui permettent de détecter les sources de chaleur, essentiellement les visages, les mains, "tout ce qui n'est pas protégé".
Cette nuit là, aucune présence humaine n'est détectée, la mer est très agitée. Il y a trois semaines, c'est sur signalement d'un riverain que cette patrouille était intervenue. Un groupe de migrants se dirigeait vers le rivage. "Ils étaient treize, dont une femme qui était gelée la pauvre", se souvient l'adjudant-chef Maxence Routier. "Ils étaient enroulés de ruban adhésif au niveau des chevilles pour rendre les vêtements le plus étanche possible", poursuit-il. Treize personnes, pour deux Zodiac, qui ne peuvent contenir chacun que quatre à cinq personnes et dont un était déjà "en très piteux état", raconte le gendarme. Il y avait "un grand risque" pour ces migrants et la patrouille se félicite d'avoir pu les intercepter avant qu'ils n'embarquent.
Le bateau, "c'est le seul moyen pour nous"
Mais ces interceptions ne sont pas forcément dissuasives. A Calais, certains migrants s'apprêtent toujours à prendre la mer. C'est le ca de Babak, 33 ans, qui se réchauffe près d'un feu de bois à côté de sa tente. Ce chrétien iranien, emprisonné après sa conversion dit-il, a déjà tenté de rejoindre sa femme en Angleterre. "J'ai essayé une fois par camion mais la police m'a attrapé. Le bateau c'est le seul moyen pour nous", raconte-t-il.
Ça coûte 1 000 euros par personne pour un voilier avec moteur. Celui qui fournit le bateau, peut-être que c'est un Irakien. On a payé, il est allé acheté un bateau et maintenant on attend le beau temps.
Babak, migrant iranienà franceinfo
Sur son téléphone portable, Babak consulte les sites météo. Il espère partir la semaine prochaine, conscient des risques. Un de ses camarades a réussi la traversée fin décembre. "Mon ami m'a dit que c'était vraiment dangereux. Cinq heures en mer, l'eau qui rentre dans le bateau, c'est comme d'aller à la mort. J'ai peur, confie-t-il, mais je n'ai pas d'autre choix." Une détresse dont certains n'hésitent pas à abuser. Lundi, raconte une militante associative, sept migrants ont été conduits sur une plage par leur passeur, qui n'a jamais apporté le bateau promis.
Au début du phénomène, les migrants, Iraniens, se regroupaient pour acheter eux-mêmes une embarcation, parfois sur LeBonCoin. Mais ensuite des passeurs se sont mis sur le créneau. Au moins un réseau a pu être démantelé. Deux Afghans et un Britannique seront jugés le 21 janvier.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.