: Reportage Crues dans le Pas-de-Calais : les sinistrés de Bourthes, frappés par une nouvelle inondation, déplorent un jour sans fin
Branle-bas de combat à Bourthes (Pas-de-Calais), commune de 850 habitants où l'Aa prend sa source. Alors que la crue de début novembre est encore dans les esprits, voilà la rue de l'Eglise replongée sous les eaux. Le mauvais scénario se répète, mardi 2 janvier, alors que la population est déjà épuisée. La maire, Estelle Doutriaux, a les yeux rivés sur des cartes de la commune. Les rues inondées sont dessinées au marqueur. Elle contacte les habitants des 85 maisons déjà sinistrées il y a deux mois. "Je tiens à vous prévenir : on va passer en vigilance rouge, donc il va y avoir des évacuations."
Quand résonne une étrange sonnerie, les mains plongent dans les poches. La préfecture du Pas-de-Calais vient d'envoyer une alerte sur les téléphones mobiles : "Crue exceptionnelle pouvant dépasser les niveaux historiques sur le bassin de l'Aa". De nombreuses routes sont déjà coupées par la présence de nappes. Il ne reste guère qu'une route praticable pour accéder à Bourthes, via Zoteux, la dernière avant que la commune soit coupée du monde. En aval de la mairie, la salle communale barbote déjà dans une eau brune, tout près du lit du fleuve.
Logés chez leur fils depuis le 6 novembre, Nadine et Guy Senlecque viennent constater les dégâts, un peu abattus. L'épouse était retournée voir leur maison inondée une seule fois, mais elle a "eu trop mal au cœur". Le mari, lui, y retournait tous les jours pour vider les ventilateurs sécheurs et les déshumidificateurs, dont il coulait parfois quarante litres d'eau. "L'entreprise mandatée par l'assurance nous a appelés ce matin pour nous dire de les mettre à l'abri, car ça doit coûter une fortune, explique Guy Senlecque. Mais je les avais déjà montés au grenier."
"On recommence à zéro. Et qui nous dit que dans un an, ce ne sera pas encore pareil ?"
Guy Senlecque, habitant de Bourthesà franceinfo
Cela faisait déjà plusieurs jours que les habitants voyaient la situation se dégrader. "Un agriculteur des Trois-Marquets m'appelle régulièrement pour me donner le niveau des bassins de rétention", explique la maire. Dimanche, elle avait fait mettre en hauteur les assécheurs installés de la salle communale. "Je suis allée voir la rue de l'Eglise à 20h30, puis à 23h30... L'eau était encore stagnante. Et puis j'ai mis le réveil toutes les deux heures." Mais lundi, tout s'est accéléré.
Parmi eux, Michel et Véronique Pruvot. Ils sont arrivés chaussés de bottes à la mairie. Alors que sa femme s'efforce de rester optimiste, Michel Pruvot s'interrompt au bout de quelques mots, visiblement marqué par cette nouvelle épreuve. "C'est lassant, c'est répétitif. Et dans les années à venir, ça risque de se reproduire. Ce n'est pas vivable." Depuis des semaines, la moindre averse lui faisait craindre une nouvelle crue. "On ne dort plus. J'ai acheté des boules Quies pour ne plus entendre les gouttes de pluie tomber sur le Velux."
A la mairie, les secouristes, l'équipe municipale et les bénévoles se relaient dans la pièce encombrée de dons alimentaires des Restos du Cœur. Monique, habituellement préposée à la cantine solidaire, fait couler des litres de café. Ici, tout le monde se serre les coudes. Les pompiers ont tenté de manœuvrer dans les rues avec une barque, mais le courant était trop fort. Alors, ils ont trouvé du renfort. "J'ai amené ma copine au boulot et ils sont venus me voir", raconte Aurélien Merlot, au volant de son tracteur. "C'est comme le 6 novembre. On ne peut rien y faire, et ça risque de continuer pendant un moment."
Entraide et solidarité entre habitants
L'agriculteur est notamment venu au secours d'une famille de neuf personnes, en deux fois. "Il s'est arrêté sur le pont, car il ne pouvait pas aller plus loin, pour ne pas noyer son moteur, explique Kylian Bécard, l'un des naufragés. Alors, on l'a rejoint à pied, avec de l'eau jusqu'aux genoux." Au petit matin, il avait déjà répondu à l'appel d'un voisin, vers 4h30, pour sauver de la noyade Bella, ce cochon qu'il a fallu tirer jusque dans la maison, comme en novembre.
La mère de famille, Erika Trabuchet, encaisse difficilement. Cette inondation est un nouveau coup dur, alors qu'elle n'a pas encore reçu de réponse des assurances pour les dégâts subis en novembre. La dernière fois, elle est revenue le plus vite possible pour lessiver, pendant quinze jours, les murs noirs de champignons et de moisissures. Elle fait défiler quelques photographies sur son téléphone, dont une Peugeot 206 renversée sur le flanc, au milieu du jardin. "Cette année, il n'y a pas eu de sapin, ce qui est un peu triste pour les enfants."
"Nous n'avons même pas fêté Noël ni le Nouvel An. Nous n'avions pas le cœur à ça."
Erika Trabuchet, habitante de Bourthesà franceinfo
La dernière fois, l'eau était montée jusqu'à 1,60 m. La maison du bout de la rue de l'Eglise s'en souvient encore, avec sa ligne brune sur le mur. Cette fois-ci, l'eau culmine cinquante centimètres plus bas, "mais il va encore y avoir des pluies", avertit Estelle Doutriaux. Cela fait plusieurs semaines que les sols sont engorgés. Deux jours de pluie, et tout déborde. Certains habitants évoquent des rivières mal entretenues. D'autres penchent pour une inévitable crue centennale. Mais en réalité, personne ne comprend tout à fait ce qui se passe.
Un bassin de rétention totalement saturé
Dans le hameau de Trois-Marquets, la digue n'a pas suffi. Elle dégueule de l'eau en continu, car le bassin de rétention est saturé. Joséphine Bizet, une jeune agricultrice, a sorti le tracteur dans la rue totalement submergée. Quelques mètres plus loin, elle montre du doigt l'un des champs de son exploitation, semblable à une piscine. "Regardez-le. On ne sait même plus quoi en faire."
Mais l'urgence, en attendant, est bien de placer l'ensemble des habitants en sécurité, même s'il est impossible, précise la maire, d'évacuer de force les personnes âgées qui refusent de quitter leurs maisons. Les pompiers ont prévu de répéter mardi matin leur tournée de porte-à-porte en combinaison humide, à la rencontre des plus isolés.
A la fin de la journée, 43 personnes ont été évacuées à Bourthes, dont onze par les sapeurs-pompiers. Tous ont été logés par des proches, à l'exception d'une famille de cinq personnes, sans solution. "On ne sait pas ce qui va se passer, si ça continue à monter", lâche Franck Leleu, dépité. Dans l'après-midi, c'est l'alerte envoyée sur les téléphones qui les avait décidés à évacuer. Sa maison était cernée par les eaux, il n'en connaît pas l'état désormais.
Une nouvelle fois, Franck Leleu allait passer la nuit dans la garderie municipale, sur des matelas, avec sa compagne et ses filles. Une nuit d'angoisse, au milieu de guirlandes et de petits meubles d'écoliers, avant d'aller constater les dégâts. "On a déjà perdu beaucoup de choses la dernière fois, même si on avait pu sauver le réfrigérateur. On avait commencé à en racheter, mais si ça recommence, ça va devenir compliqué."
La maire, elle aussi, a sorti la calculatrice. Malgré le classement de la commune en catastrophe naturelle, le reste à charge pour couvrir les dégâts sera de 20%, assure l'élue. Elle avait déjà chiffré les travaux de voirie à 400 000 euros, sans compter le véhicule utilitaire détruit, ainsi que les ateliers techniques et les bâtiments endommagés. Mais il faudra revoir l'estimation à la hausse, avec ce nouvel épisode de crue. "Je ne sais pas si on pourra réussir à mettre tout cet argent. Pour les petites communes, il sera très difficile de se reconstruire."
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