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"Islamo-fascisme", une expression aux contours flous

Le Premier ministre, Manuel Valls, a utilisé l'expression pour la première fois, lundi 16 février, au micro de RTL. Mais cette notion n'est guère reprise par la communauté scientifique.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Le Premier ministre, Manuel Valls, durant une visite à Mont-Saint-Aignan (Seine-Maritime), le 13 février 2015. (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)

C'est bien la première fois qu'il utilise cette expression. "Pour combattre l'islamo-fascisme, puisque c'est ainsi qu'il faut le nommer, l'unité doit être notre force", a déclaré Manuel Valls sur RTL, lundi 16 février. Alors ministre de l'Intérieur, il avait déjà dénoncé la montée d'un "fascisme islamique" en 2013, après l'assassinat de l'opposant démocrate tunisien Chokri Belaïd.

Un terme controversé, né dans les années 1990

Cette expression n'est pas nouvelle. "C'est un terme apparu dans les années 1990 dans l'univers journalistique anglo-saxon", explique le chercheur Jean-Yves Camus, chercheur associé à l'Iris et spécialiste des nationalismes et extrémismes en Europe. Peu à peu, l'expression fait florès. Les néoconservateurs adoptent l'expression, qui débarque en France après le 11-Septembre. En août 2006, face à la presse, le président américain George W. Bush qualifie "l'islamo-fascisme d'idéologie réelle et profonde".

L'année suivante, comme le rappelle Rue89, le journaliste Christopher Hitchens popularise encore le terme en établissant une série de parallèles (en anglais) entre le fascisme et l'islamisme. L'auteur cite pêle-mêle le culte de la violence meurtrière, l'hostilité à la modernité, la nostalgie d'un âge perdu, la paranoïa antijuive, le culte du chef, la répression sexuelle ou l'allergie à l'art et à la littérature. Avant de concéder, toutefois, que la "correspondance n'est pas parfaite".

Jean-Yves Camus admet l'existence de certains échos, mais il souligne surtout "des divergences irréductibles". Tout d'abord, "le fascisme et le national-socialisme sont des produits de la modernité, de l'irruption des masses dans la vie politique", tandis que "l'islam radical", au contraire, "est la volonté de laisser la société islamique régie par des codes qui seraient invariants". Ainsi, "là où le fascisme veut créer un homme nouveau, l'islamisme veut que l'homme se comporte selon le texte fondateur". Selon Jean-Yves Camus, parler d'"islamo-fascisme" a donc "peu de validité" scientifique.

Utilisé par des élus de tous bords

Cela n'empêche pas des élus de tous bords d'utiliser l'expression, comme le député UMP Christian Estrosi ou le député Vert Noël Mamère, qui dénonce "un courant islamo-fasciste, même s’il reste très minoritaire dans l’islam". Le député PS Malek Boutih a même utilisé l'expression "islamo-nazis", dans un entretien au Point.

Le Front national, lui, est plus réservé sur la question, évoquant tantôt le "fascisme vert", tantôt le "totalitarisme islamiste". "Si on est féru d'histoire, le fascisme est quand même connoté très spécialement", commente le vice-président du FN Louis Aliot.

Appel du pied aux conservateurs ou électrochoc adressé à la gauche ? L'expression, en tout cas, n'a rien d'anodin dans la bouche du Premier ministre. "On connaît le goût de Manuel Valls pour les mots forts, explique le politologue Pascal Perrineau, interrogé par Le JDD. Il veut montrer que le défi est majeur." En évoquant un "apartheid" en France, Manuel Valls a déjà pris quelques libertés avec l'histoire pour les besoins de sa communication.

Un terme accusé d'entretenir la confusion

De nombreux observateurs dénoncent cette nouvelle sortie du Premier ministre, reprochant au terme "islamo-fascisme" de semer la confusion avec le terme islam. Le Collectif contre l'islamophobie en France, une association de militants musulmans, estime que Manuel Valls, en utilisant "le terme odieux d'islamo-fascisme, attise le climat délétère contre lequel il faut justement lutter avec force". Pour éviter la confusion, L'Obs tente d'ailleurs un autre néologisme : "islamismo-fascisme".

Par ailleurs, pourquoi s'accrocher coûte que coûte au terme "fascisme", étroitement lié à Mussolini et à la seconde guerre mondiale ? Comme le résume Jean-Yves Camus, "il peut y avoir demain des phénomènes totalitaires ou génocidaires qui aboutissent au même résultat [que la Shoah] en termes d'extermination sans procéder pour autant du même mécanisme".

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