DOCUMENT FRANCETV. A Nîmes, le bouleversant témoignage des mères de deux jeunes partis en Syrie
L'une a perdu son fils, combattant à la frontière syrienne. Le fils de la seconde est parti à 17 ans et s'est marié en Syrie. Elles se sont confiées à francetv info et à France 2.
Quand Myriem* a compris que son fils, Hissam*, était parti, elle l'a cherché partout. Elle a arpenté les rues du quartier populaire de Nîmes (Gard), où elle habite. Elle a voulu interroger les fréquentations de son fils. Mais il n'y avait plus personne. "Tout le monde avait disparu." Myriem était folle d'inquiétude. Elle est allée jusqu'à Marseille, elle a appelé l'aéroport. Ce n'est que trois jours après qu'elle a enfin reçu un message : "Maman, je suis partie au pays du Cham"**. "Cela veut dire la Syrie", traduit Myriem.
"Je ne sais pas pourquoi il est parti là-bas..."
Hissam est parti avec trois copains. Il avait 21 ans. Il venait d'obtenir son permis, et il était en recherche d'emploi. Il avait un léger handicap et, pour cela, était suivi par un éducateur. "Je n'ai pas compris. Je ne sais pas pourquoi il est parti là-bas. Moi aussi je suis un peu perdue..."
Tristesse, colère et culpabilité : Myriem ressent les trois à la fois. Elle culpabilise d'autant plus qu'avant le départ de son fils, elle a été gravement malade. Et se dit aujourd'hui qu'elle n'a peut-être pas été assez présente.
(VERONIQUE GAGLIONE / SYLVAIN DAUBA / FRANCE 2)
Après avoir appris que son fils était parti en Syrie, Myriem n'a pas eu de nouvelles pendant trois mois. "Il faisait son stage d'entraînement là-bas." Puis Hissam a repris contact. "De temps en temps, je recevais des messages sur Facebook. Je parlais avec lui sur Skype. Parfois c'était pas lui qui me répondait." Myriem sort son téléphone. Entre deux thés à la menthe, elle montre l'historique de ces conversations. Ce n'est pas avec son compte qu'elle se connecte, mais avec celui de son plus jeune fils. La photo du profil Facebook est une photo des deux frères, tête contre tête.
Les messages d'Hissam sont très courts. Deux ou trois phrases, jamais plus, avec quelques fautes d'orthographe. Des mots en arabe écrits en alphabet latin, des "je t'aime maman". Certains messages sont rédigés sans aucune faute, ce qui laisse penser à Myriem que quelqu'un les a écrits à la place du jeune homme.
"Il est resté six mois, puis il est mort"
Hissam enjoint sa mère de faire des "douaa" pour lui, des invocations. Myriem est musulmane, mais ne porte pas le voile. A la demande de son fils, elle s'est voilée, puis s'est pris en photo sur un tapis, en position de prière. Elle a ensuite envoyé le cliché à son fils sur Facebook. Pour elle, c'était surtout une façon de communiquer avec lui, de conserver un lien.
Le jeune homme aussi a envoyé des photos de lui. Des photos de lui à Nîmes, avant son départ, au volant d'une voiture. Et puis des selfies pris en Syrie, sur lesquels son visage découvert laisse apparaître une barbe naissante. Myriem les regarde avec émotion. Il y a également un portrait de lui en pied. Il est en tenue de combattant. "C'était à Raqqa", commente sa mère.
Je lui ai dit : "Tu restes, t'es libre, mais tu ne fais de mal à personne. Tu ne vas pas au combat." Il m'a dit : "C'est pas moi qui choisit maman. C'est tout le monde qui va au combat". C'était une obligation.
"Il est resté six mois, et puis il est mort." Un silence s'installe. Myriem baisse la tête. Son regard est perdu dans le vide. Myriem avait un pressentiment. "La veille de sa mort, on a parlé presqu'une heure. Deux jours avant, j'ai fait des rêves bizarres." Elle n'a pas appris sa mort directement. Ce sont des amis de son fils, eux aussi en Syrie, qui l'ont prévenue.
Difficile pour Myriem de faire son deuil. Pourtant, elle l'avoue : "Je préfère qu'il meure là-bas, qu'il soit décédé là-bas, plutôt qu'il vienne ici et qu'il fasse un attentat. Je suis triste. C'est mon fils, mais..."
"Je ne le reconnais pas. C'est quelqu'un d'autre..."
Assise à ses côtés sur un canapé garni de coussins, Ouda* acquiesce. Son fils aussi est parti en Syrie. Lui est toujours vivant. Mickaël* avait 17 ans quand il a quitté la France. Il en a 19 aujourd'hui. "Je ne peux pas savoir ce qu'il fait exactement", regrette Ouda. A sa majorité, il a été marié. Ouda a des nouvelles de lui via l'application WhatsApp. Elle aussi montre une photo de son fils sur son téléphone. "Je ne le reconnais pas. C'est quelqu'un d'autre... C'est quelqu'un d'autre", répète-t-elle, songeuse.
(VERONIQUE GAGLIONE / SYLVAIN DAUBA / FRANCE 2)
Hissam et Mickaël étaient deux copains. Ils devaient partir en Syrie ensemble, mais quelque chose les en a empêchés. Tous les deux n'ont pas grandi dans des univers très religieux. Leurs mères se disent musulmanes, croyantes plus que pratiquantes, mais sont un peu gênées d'aborder leurs propres pratiques. Le comportement de leurs fils a changé de la même manière, peu avant leur départ. Ils restaient seuls. Ne parlaient pas beaucoup à la maison. Ils ne regardaient plus la télé, ne mangeaient plus avec leurs mères respectives. "Ce n'était pas vraiment religieux, car Hissam faisait la prière, mais il ne connaissait pas bien l'islam, ni l'arabe", raconte Myriem. "Ils ne prient pas de la bonne façon, pas dans la bonne direction", renchérit Ouda.
"Les recruteurs ont de belles voitures"
Ouda estime que son fils s'est fait endoctriner au lycée. C'est là que certains "recruteurs" auraient agi. "Beaucoup de personnes radicalisées ont parlé à d'autres jeunes assez fragiles." Ces "recruteurs" sont aussi dans la rue, selon les deux mères. Elles ont vu leurs enfants avec eux, monter dans leurs "belles" voitures.
(VERONIQUE GAGLIONE / SYLVAIN DAUBA / FRANCE 2)
"C'est un commerce", dénoncent Myriem et Ouda. Comme certains se mettraient à vendre de la drogue dans la rue, d'autres recruteraient des jeunes pour les envoyer en Syrie et en Irak. Certains ont grandi dans le même quartier. "On se voit, ils nous voient." Mais ils sont plus âgés : 30, 35, voire 40 ans.
"On lui a peut-être dit qu'il allait faire de l'humanitaire"
Face à ces personnes, Ouda et Myriem sont démunies. "On ne sait pas ce qu'ils ont promis. On ne l'a jamais su. On n'a jamais eu de réponse", s'émeut la première. "On lui a peut-être dit qu'il allait faire de l'humanitaire là-bas...", suggère la seconde. Myriem n'imagine pas son fils en terroriste. Pour elle, c'est une victime, comme tous les jeunes qui sont partis en Syrie. C'est la raison pour laquelle elle a accepté de témoigner, au côté d'Ouda.
On alerte parce qu'on ne veut pas que nos enfants soient oubliés.
Témoigner n'est pourtant pas une chose facile. Ouda et Myriem se sentent menacées. Mais elles veulent "se battre pour informer les familles". "Il faut qu'on prévienne les autres parents que ça peut arriver, pour les aider", disent-elles. Pour elles, cela a fonctionné : "Après le départ de Mickaël, j'ai sombré dans le noir. C'est Myriem qui a frappé à ma porte pour que je sorte de là." Une solidarité s'est créée entre les deux femmes, devenues amies alors qu'elles ne se connaissaient pas.
*Tous les prénoms ont été changés.
**Il s'agit de la région appelée Levant en français, qui comprend la Syrie, le Liban, la Jordanie, la Palestine et une partie de l'Irak.
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