Violences en Martinique : "La solution n'est pas d'envoyer des troupes supplémentaires", explique le maire de Saint-Pierre au ministre de l'Intérieur
"Le calme semble revenu. Nous n'avons absolument aucune exaction, contrairement à hier soir et avant-hier soir", témoigne samedi 12 octobre sur franceinfo Christian Rapha, maire de Saint-Pierre alors que la Martinique est confrontée à des violences depuis plusieurs jours qui ont fait trois morts. "Il y a eu beaucoup de choses qui se sont passées la nuit dernière, des magasins attaqués, des barrages avec des poubelles enflammées, le bureau de la police de l'air et des frontières incendiées", détaille le maire.
Une trentaine d'organisations ont lancé une opération "Martinique, île morte" pour dénoncer la vie chère. Des négociations ont lieu sous l'égide de la préfecture pour tenter de trouver des solutions au problème du coût de la vie.
franceinfo : Quelle est la situation en Martinique actuellement ?
Christian Rapha : Le calme semble revenu. En tout cas, jusqu'à maintenant. Ma ville est tranquille. Nous n'avons absolument aucune exaction, contrairement à hier soir et avant-hier soir. Effectivement, il y a eu beaucoup de choses qui se sont passées dans la nuit, des magasins attaqués, des barrages avec des poubelles enflammées, le bureau de la police de l'air et des frontières incendiés. D’après mes informations, la Martinique est beaucoup plus calme que la nuit dernière.
C’est la présence des forces de l’ordre qui fait reculer les violences ?
C'est à la fois la décision du préfet d'imposer un couvre-feu, mais qui n'a pas du tout fonctionné hier soir. Il y a eu beaucoup de tumultes et des erreurs faites de part et d'autre. La gendarmerie, dans la ville voisine du Carbet, a agi de façon complètement disproportionnée lors d’une manifestation qui s'est déroulée très calmement. Il y avait un dialogue entre la commandante de gendarmerie et le maire du Carbet, qui est un ami, et brutalement une décision a été prise de lever complètement et impérativement le barrage filtrant. Les gens étaient tranquilles. Ils laissaient passer les urgences. On ne sait pas pourquoi on a commencé à utiliser du gaz lacrymogène. Ici, ce n'est pas habituel. On a même gazé le maire. Ce sont des choses qu'il ne faut pas faire ici. Ce sont des erreurs graves.
Quelles sont les raisons profondes de ces violences ?
C'est un sentiment partagé par beaucoup. Le fondement de la révolte, parce qu'on peut parler de révolte, c'est la vie chère. Ma ville est dans une zone de la Martinique encore plus pauvre que le reste. On est, selon des chiffres de la caisse d'allocations familiales, à 43% de taux de pauvreté, soit trois fois celle de la France [métropolitaine], nous sommes à 14% sur l'ensemble du territoire. La Martinique est à 33%. Imaginez une région de France qui serait en décalage par rapport au reste du territoire ? Nous sommes une région française, il ne faut pas l'oublier. Il y a une volonté politique à mettre en place pour corriger le fait que la vie et les produits de première nécessité sont 40 % plus chers.
Comment fait la population pour obtenir ces produits de première nécessité ?
On se débrouille. Mais là, ça commence à devenir insupportable. L’origine de la révolte est légitime. Tout le monde partage l'idée que c'est inacceptable. Maintenant, nous estimons que la violence n'est pas la bonne manière de faire. La population maintenant souffre de cette violence. Un petit magasin d'à peine 300 mètres carrés à Saint-Pierre, qui est hors circuit des grands distributeurs, a été saccagé hier soir. La population commence à dire, ça suffit ! Maintenant, elle est toujours à la recherche d'une solution. Des discussions sont en cours et nous espérons qu’elles vont aboutir.
Lors de ces négociations, on évoque la baisse de l'octroi de mer et des marges de la grande distribution pour 53 familles de produits. C’est un bon début ?
Il faut continuer. L'État doit faire aussi un effort en matière de continuité territoriale et apporter son aide au transport de ces produits. C’est logique qu’il nous aide. Nous sommes à plus de 6 000 kilomètres de la France hexagonale. Les coûts de transport sont très élevés. Il y a une correction à apporter. Les transporteurs doivent faire aussi un effort de leur côté. Un container de produits alimentaires de première nécessité coûte aussi cher qu’un container de champagne ou d'autres produits de luxe.
Cela fait des années que la population réclame une baisse des prix. C’est maintenant ou jamais pour trouver un accord ?
C’est maintenant ! Les produits alimentaires ne sont pas le seul problème. Le centre communal d'action sociale de ma ville est confronté régulièrement à des gens qui n'arrivent pas à payer leur loyer. C'est trop cher. L'eau, l'électricité, tout est cher ici. Il est plus que temps de traiter le Martiniquais comme un Français à part entière. Cette demande est très forte. Il faut qu'on corrige ça de toute urgence. La solution n'est pas non plus de nous envoyer des troupes supplémentaires. J'ai entendu le ministre de l'Intérieur évoquer ce problème dans une interview. Visiblement, il démontrait qu'il ne connaissait pas bien le dossier. Je lui demande de prendre connaissance de ce dossier à fond. La solution actuelle n'est pas d'envoyer des troupes supplémentaires, mais de dialoguer parce que la Martinique est un "pays" pacifique par essence et nous avons suffisamment de force pour traiter ce problème si on respecte la demande.
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