Mayotte : six questions sur la fin du droit du sol que souhaite l'exécutif

Un projet de révision constitutionnelle va être présenté pour n'accorder la citoyenneté aux enfants nés dans le département que si un de leurs parents est français, a annoncé Gérald Darmanin.
Article rédigé par Thibaud Le Meneec
France Télévisions
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Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, dans un commissariat à Besançon (Doubs), le 10 février 2024. (FRANCK HAKMOUN / SIPA)

Il revendique "une mesure extrêmement forte, nette, radicale". Depuis le tarmac de l'aéroport Marcel-Henry de Pamandzi, à Mayotte, Gérald Darmanin a annoncé, dimanche 11 février, que l'exécutif prévoyait une révision constitutionnelle ne concernant que le 101e département français. Son objectif : supprimer le droit du sol pour les enfants nés dans l'archipel de l'océan Indien, où une importante crise migratoire a attisé une contestation sociale d'ampleur. Franceinfo revient en six questions sur ce projet d'évolution majeure dévoilé par le ministre de l'Intérieur.

1 Quelle est, aujourd'hui, la règle en vigueur à Mayotte ?

Le droit du sol est une des principales voies pour obtenir la nationalité française, avec le droit du sang, la naturalisation et le mariage. Un enfant né en France d'un parent également né en France est français, tout comme un enfant né en France de deux parents apatrides. Si ses deux parents sont de nationalité étrangère et nés à l'étranger, un enfant né en France peut devenir français à partir de ses 13 ans s'il vit en France depuis au moins cinq ans, ou à ses 18 ans, sous réserve d'avoir résidé au moins cinq ans en France depuis ses 11 ans et de toujours y vivre.

A Mayotte, il existe cependant déjà un régime dérogatoire plus strict, depuis la loi asile et immigration de 2018 : pour devenir français à la majorité, il faut prouver qu'au moment de sa naissance, au moins un de ses deux parents était en situation régulière depuis plus de trois mois. Une condition qui s'applique aux bébés nés après le 1er mars 2019, et qui n'existe pas sur le reste du territoire français.

2 Que veut changer le gouvernement ?

Si le projet évoqué par Gérald Darmanin dimanche se concrétise, "il ne sera plus possible de devenir français si on n'est pas soi-même enfant de parent français", a expliqué ce dernier. Exit donc le droit du sol, même restreint, actuellement en vigueur en Mayotte. Cette mesure ne concernerait que l'archipel et pas les autres départements d'Outre-mer, a précisé le ministre de l'Intérieur.

"C'est une division claire et nette entre un territoire français et le reste du pays", observe Jules Lepoutre, professeur de droit public à l'université Côte d'Azur, interrogé par franceinfo. Par le passé, le gouvernement avait plusieurs fois affiché sa volonté de restreindre davantage le droit du sol sur l'île. "Je souhaite que les deux parents soient légaux ou français (...) depuis plus de neuf mois avant la naissance", avait proposé Gérald Darmanin sur franceinfo en avril 2023.

3 Comment l'exécutif veut-il concrétiser cette réforme ?

La fin du droit du sol devra passer par "une révision constitutionnelle que choisira le président de la République", a déclaré Gérald Darmanin dimanche, et non par une loi ordinaire. Pourquoi ? "Il y a la possibilité que le Conseil constitutionnel voie dans le droit du sol un principe fondamental" et censure un texte qui le remettrait en cause, explique Jules Lepoutre. Les Sages, en revanche, ne peuvent pas s'opposer à une révision de la Constitution.

Celle-ci peut prendre deux voies : soit Emmanuel Macron décide de convoquer un référendum, ce qui n'a pas été fait depuis 2005 et le vote sur le traité constitutionnel européen, soit il décide de présenter le texte au Congrès, qui réunit l'Assemblée nationale et le Sénat.

4 Que va-t-il se passer si Emmanuel Macron passe par le Congrès pour changer la Constitution ?

Pour que la révision constitutionnelle aboutisse après avoir été soumise au Congrès, il faut qu'elle recueille les trois cinquièmes des suffrages des députés et des sénateurs réunis. Mais avant ce vote définitif, il est nécessaire que le texte soit adopté dans les mêmes termes à l'Assemblée nationale et au Sénat. "C'est l'enjeu principal", insiste Jules Lepoutre, auteur de Nationalité et souveraineté (éditions Dalloz). "Certaines forces politiques ne vont-elles pas proposer autre chose que cette suppression du droit du sol à Mayotte ?"

Selon le juriste, certains partis pourraient conditionner leur soutien à un durcissement du texte du gouvernement. Le Rassemblement national, par exemple, propose la suppression du droit du sol sur l'ensemble du territoire français. Et la majorité présidentielle pourrait avoir besoin de ses voix, surtout si elle se divise elle-même sur ce texte, comme ce fut le cas au sujet de la loi immigration.

5 Une juridiction pourrait-elle remettre en cause cette révision constitutionnelle ? 

Le Conseil constitutionnel, qui juge de la conformité des lois ordinaires avec la Constitution, est impuissant concernant les textes qui modifient la Constitution elle-même. Mais "les juges européens" pourraient se pencher sur cette révision constitutionnelle, estime Jules Lepoutre, en référence à la Cour européenne des droits de l'homme, à Strasbourg, et la Cour de justice de l'Union européenne, à Luxembourg. "Cela pourrait faire naître un contentieux" si les juges estimaient que la France violait le droit européen, et "cela nous mettrait dans un conflit de légitimité".

6 Comment ont réagi les oppositions ? 

La droite s'est réjouie de la perspective de cette révision constitutionnelle qu'elle appelle de ses vœux. "Il s'agit d'une mesure nécessaire à la survie de Mayotte", juge ainsi sur franceinfo l'élu mahorais Mansour Kamardine (Les Républicains). L'extrême droite en a profité pour demander la suppression du droit du sol sur tout le territoire français, à l'image d'Eric Zemmour (Reconquête) sur X

La gauche, en revanche, s'insurge contre une mesure aux allures de "nouvelle victoire idéologique" pour l'extrême droite, selon les termes de Manon Aubry, tête de liste de La France insoumise aux élections européennes. Certains responsables ont aussi mis en doute l'efficacité de la mesure pour lutter contre l'immigration illégale. "Le droit du sol n'est pas négociable. Il est déjà adapté à Mayotte, et il n'a pas fait la démonstration que cela ait changé quoi que ce soit", a par exemple estimé Boris Vallaud, chef de fil des députés socialistes, sur France 3.

Après Mayotte, plusieurs responsables, comme le député LFI Eric Coquerel, ont dit redouter une suppression du droit du sol dans d'autres territoires.

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