: Reportage A Mayotte, une crise de l'eau "inédite" en raison du manque de pluies et d'infrastructures
Des bidons en plastique, des jerricans blancs, des bassines de toutes les tailles et même des casseroles en métal... Devant la fontaine du petit village de Hamouro, dans l'est de Mayotte, les habitants font la queue pour récupérer de l'eau, jeudi 22 juin. Dans ce grand bidonville situé au bord de la plage, la borne Bayard est l'unique point d'accès à l'eau potable pour plusieurs centaines de personnes.
Une situation difficile devenue invivable depuis que la sécheresse qui sévit dans le 101e département français a poussé les autorités à couper l'eau quatre fois par semaine, de 17 heures à 7 heures du matin, depuis le 12 juin. Au fil de la saison sèche, ce chiffre devrait monter à cinq, puis six, coupures hebdomadaires.
"Parfois, il y a des affrontements entre petits et grands qui se battent pour avoir de l'eau", affirme Atoumani, mère de quatre enfants, en regardant de loin l'activité incessante autour de la fontaine. Dans la cour de son banga – les maisons en tôles des bidonvilles mahorais –, la quadragénaire montre sa collection de bassines de toutes les couleurs. Dans sa cuisine rudimentaire, c'est une grosse poubelle en plastique qui contient le précieux liquide sous un couvercle. "Cette crise de l'eau est très difficile pour nous, lâche-t-elle en fermant son visage recouvert de m'dzinzano, un masque de beauté typique de l'île. C'est la souffrance dans nos foyers quand il n'y a plus d'eau. A chaque coupure, les enfants pleurent."
Un déficit de pluies record
Comment en est-on arrivé là ? "La dernière saison des pluies, de novembre 2022 à avril 2023, affiche un déficit de précipitations de 24%, explique Floriane Ben Hassen, responsable du centre météorologique de Mayotte. On pourrait penser qu'un quart en moins ce n'est pas énorme, mais cette saison concentre 75% des pluies de toute l'année et un tel retard est quasiment impossible à rattraper lors de la saison sèche." D'autant que le mois de mai et le début du mois de juin sont, eux aussi, en déficit pluviométrique par rapport à la normale. Et aucune pluie massive n'est attendue pour la fin du mois de juin, selon les dernières prévisions.
"La saison des pluies 2022-2023 est la plus sèche depuis 1997. On est sur un phénomène climatologique exceptionnel."
Floriane Ben Hassen, responsable du centre météorologique de Mayotteà franceinfo
Partout sur l'île, les niveaux des cours d'eau s'effondrent. Dans le petit village de Hamouro, les deux rivières qui traversent habituellement le bidonville sont à sec et jonchées de déchets en plastique. Pire, les deux retenues collinaires situées sur Grande-Terre sont à des niveaux très inquiétants, alors qu'elles représentent 80% de la ressource d'eau de Mayotte. La réserve de Combani, au centre de l'île, affiche un remplissage de 45,4% au 20 juin, contre 97,1% un an plus tôt. Celle de Dzoumogné, plus au Nord, n'atteint même pas les 25% d'eau, contre 98,5% de remplissage en juin 2022, selon les derniers chiffres transmis par Météo France.
"Les réserves diminuent. Or, c'est avec ces stocks que l'on va devoir faire jusqu'à la prochaine intersaison, en octobre... et même jusqu'en novembre ou décembre, le temps que les pluies soient véritablement efficaces", analyse Floriane Ben Hassen, qui fait chaque semaine un point sur la situation avec les équipes du comité de suivi de la ressource en eau.
Un pack de bouteilles d'eau à 10 euros
Pour faire face à cette crise de l'eau qu'un expert qualifie de "complexe et inédite", les autorités ont déjà annoncé une série de mesures. Des "tours d'eau" se multiplient sur l'île depuis plusieurs mois. Fin mars, Jean-François Carenco, le ministre délégué en charge des Outre-mer, a également annoncé que la sécurité civile allait être déployée à Mayotte pour approvisionner les plus démunis et que les packs d'eau seraient vendus à prix coûtant, alors qu'ils dépassent parfois les 10 euros pour six bouteilles de 1,5 litre lors des coupures.
Dans le bidonville de Hamouro, l'achat d'eau en bouteilles, même à prix coûtant, n'est pas envisageable. "Quand nous n'avons vraiment plus d'eau, on demande à un enfant d'aller chez un voisin, dans les maisons un peu plus haut qui sont raccordées au réseau et qui peuvent faire des réserves, reconnaît avec amertume Atoumani. Mais eux aussi nous disent qu'ils n'ont parfois plus d'eau et que leurs factures coûtent cher..."
"Il y a une mauvaise gestion de l'eau"
Il faut dire que la crise de l'eau, qui devrait s'empirer au fil des mois, n'est pas simplement due au déficit de pluie. "Cette année, c'est le combo gagnant, on a un aléa climatique qui vient s'ajouter aux infrastructures qui ne suivent pas", lâche un expert sous couvert d'anonymat. Une analyse partagée par de nombreux observateurs. "C'est évident, il y a une mauvaise gestion de l'eau à Mayotte", renchérit Houlam Chamssidine, président de Mayotte Nature Environnement.
L'archipel n'a tout simplement pas assez d'eau potable pour suivre l'augmentation rapide de sa population. Au total, les usines de potabilisation situées en Grande-Terre et l'usine de dessalement de Petite-Terre produisent environ 38 000 mètres cubes par jour, alors que la consommation atteint 40 000 à 42 000 mètres cubes quotidiennement, selon les estimations transmises à l'AFP.
Plusieurs projets évoqués depuis de nombreuses années sont au mieux en retard, au pire au point mort. L'extension de l'usine de dessalement de Petite-Terre, gérée par une filiale de Vinci, devait être mise en service à l'été 2022... Ce ne sera finalement pas avant la fin de l'année 2023, selon les prévisions de la préfecture citées dans un rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese). "Nous ne faisons que mettre en œuvre ce qui est décidé collectivement. On ne peut pas faire grand-chose", se dédouane un responsable de La Société mahoraise des eaux (SMAE), joint par téléphone, sans donner davantage d'explications.
"Un serpent de mer"
Plus préoccupant, deux grands projets d'infrastructures ne semblent pas près d'aboutir. La troisième retenue collinaire coince depuis des années sur l'acquisition du foncier à Ourovéni, dans l'ouest de l'île, en raison notamment de parcelles appartenant à des responsables politiques, note Mayotte La 1ère. "Tout était déjà prêt il y a quinze ans ! Mais ça a tergiversé et plus personne n'y croit. C'est un serpent de mer", analyse Houlam Chamssidine, qui a également travaillé au Conseil départemental de Mayotte.
Dans les cartons depuis des années également, une deuxième usine de dessalement de l'eau de mer pourrait voir le jour à Ironi Bé, au sud de Mamoudzou, courant 2024. Malgré un impact environnemental important, c'est l'une des solutions à privilégier, selon un rapport parlementaire rendu public en 2021. "Dans le cas de Mayotte, où il n'existe pas de nappe phréatique mobilisable, le recours au dessalement de l'eau de mer est la solution technique la seule à même de fournir une eau de manière constante sans dépendre des aléas climatiques", écrivent les députés.
Sur l'île, de nombreux observateurs pointent également la responsabilité du Syndicat intercommunal d'eau et d'assainissement de Mayotte (SIEAM) dans le manque d'infrastructures. "La situation financière du syndicat est critique en raison de défaillances internes dans sa gestion et de ses choix budgétaires", avait alerté, dans un rapport, la Cour régionale des comptes en 2020. Face à cette crise, un coup d'accélérateur pourrait enfin être donné par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, attendu sur ce sujet lors de sa visite à Mayotte, samedi 24 et dimanche 25 juin. Sur place, les espoirs sont grands. "A chaque sécheresse, les politiques nous promettent qu'ils vont changer les choses, se lamente une jeune femme du bidonville de Hamouro, près de l'unique fontaine du quartier. Mais au final ils ne font rien."
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