Moselle : le mystère des ossements humains dans la forêt de Tincry
A la mi-mai, des ossements ont été découverts dans une forêt mosellane, déclenchant l'ouverture d'une enquête. Pour y voir plus clair, francetv info s'est rendu sur place.
Toc, toc, toc ! "Bonjour, vous êtes bien le propriétaire d’une parcelle dans le Haut-du-Mont ? Suivez-nous." Ce 14 mai, à Tincry (Moselle), Dominique Guérin grimpe avec les gendarmes sur cette colline couverte de hêtres, partagée entre une trentaine de propriétaires. Une douzaine d'os sont enchevêtrés au sol, sur une butte de terre. L'endroit n'a pourtant rien d'un cimetière. "Quand ils m’ont emmené là-haut, il y avait déjà deux journalistes. Les gendarmes m’ont dit : 'Ça ne vous dérange pas qu’on trouve des os sur la parcelle ?'"
"Déverser des ossements humains, c'est dégueulasse !"
Le lendemain, une photo paraît dans Le Républicain lorrain. L'article évoque une "fosse commune" découverte par des cueilleurs de muguet. De retour sur place, les gendarmes ne retrouvent plus les os. "Les salopards, ils ont tout enlevé." Avec quelques pas de plus, la maréchaussée aurait pourtant découvert une mandibule, une vertèbre, un morceau de crâne et d'autres fragments. Une enquête est en cours, trois semaines après le passage des autorités, mais ces os trônent toujours à l'air libre, comme déposés sur la terre.
Au total, une quinzaine de tas de terre défigurent la clairière. Un nom gravé en lettres d'or apparaît partiellement sur une tombe de marbre gris fracturée. Un peu plus loin, du bois de cercueil est jeté là, à côté de stèles en morceaux. Dans ce cimetière de cimetières, les époques et les souvenirs se côtoient sans beaucoup d'égards. L'endroit est discret et accessible uniquement par un chemin de boue, dans cette forêt autrefois dévolue à l'extraction de la pierre. Des panneaux battent d'ailleurs le rappel : "Forêts privées. Danger carrières. Accès interdit."
Tranquille commune de 150 habitants, Tincry ne s'attendait pas à tel coup de projecteur. "Je ne trouve pas ça normal, ils ne respectent rien", fulmine Christophe Georges, un habitant du village. Le chasseur connaît le Haut-du-Mont comme sa poche, lui qui sillonne les bois depuis son enfance. C'est l'un des premiers à avoir râlé contre ces dépôts de terre. "En 2010, lors d'une sortie, je suis tombé sur des cercueils, des pierres, des plaques, des poignées et des restes humains." Il file à la sortie de la messe et fond sur l'ancien maire. Il le convainc de l'accompagner sur place, avec son premier adjoint. "Et là, le maire me dit qu'en Chine, on voit ça partout. Mais on est à Tincry, je lui dis !"
"Le fait de déverser des ossements humains, c'est dégueulasse ! (...) C'est quand même un problème d'insalubrité publique", peste le nouveau maire, Gil Dussoul, présent sur les lieux il y a cinq ans. Ce qu'il voudrait, lui, c'est que le site soit "dépollué", mais il ne peut rien faire, puisque le terrain est privé. En attendant, le voici désigné "maire des ossements" par certains élus farceurs de l'intercommunalité. La secrétaire de mairie soupire, devant un buste de Marianne impassible : "La presse qui parle de 'fosse commune', franchement..."
"On ne peut jamais récupérer tous les os"
Comment de la terre de cimetière atterrit-elle en forêt ? En Moselle, comme partout ailleurs, les concessions de cimetières arrivent parfois à leur terme, sans qu'aucun proche ne se manifeste pour faire valoir son droit au renouvellement. La mairie affiche alors un petit panneau en guise d'avertissement, comme c'est le cas dans le petit cimetière de Tincry, accolé à l'église. Après l'échéance, un fossoyeur mandaté peut réaliser l'excavation de l'emplacement, pour le remettre à disposition.
Mais attention, les règles sont claires. Le bois du cercueil doit être incinéré, tandis que les ossements sont rassemblés dans un sac scellé puis placés dans l'ossuaire, dont la présence est obligatoire dans tous les cimetières de France. Le nom du défunt est alors inscrit dans un registre. Les monuments funéraires, eux, peuvent être détruits. Aucune excavation récente n'ayant eu lieu à Tincry, la terre déposée là-haut vient sans doute de plusieurs cimetières du département, voire du département voisin de Meurthe-et-Moselle.
Voilà pour la théorie. Mais le tri n'est pas toujours aisé. "On ne peut jamais tout récupérer, à moins de faire un travail d’archéologue. C'est encore pire quand il s'agit d'argile ou de terre humide", résume Dominique Guérin, qui a travaillé huit ans dans le secteur. Certaines sociétés sont plus consciencieuses que d'autres. "Quand le corps est enterré à 1,50 mètre de profondeur, par exemple, les ouvriers ne font pas toujours attention en surface avec la tractopelle." Le problème est connu. Par crainte de tomber sur un os, certaines centrales de remblaiement refusent la terre des cimetières.
Négligence ou coup monté ?
Pour évacuer cette terre, il faut bien trouver des terrains. "Les communes ont fermé les décharges et [malgré la loi], elles n'ont pas toutes un ossuaire", explique Eric Fiévet, gérant de la société de pompes funèbres Piodi, installée dans le village voisin de Delme. Jusqu'en février, ses employés utilisaient la parcelle incriminée, en vertu d'un accord tacite passé entre le propriétaire, Dominique Guérin, et un ouvrier, aujourd'hui décédé. Après tout, la terre est toujours la bienvenue sur un sol rocailleux.
Négligence ? Eric Fiévet s'en défend. Il assure que ses employés ont toujours étalé la terre et contrôlé l'absence d'ossements dans l'ancienne carrière. Mais il est permis d'en douter, puisque des fragments se trouvent à l'air libre. "La pluie peut faire remonter les ossements et surtout, nous ne sommes pas la seule entreprise à avoir été autorisée à déposer de la terre sur la parcelle." Sur ce point, Dominique Guérin dit avoir déjà aperçu des entreprises du BTP monter vers sa parcelle. Il n'exclut pas que des fossoyeurs concurrents aient pu également s'y rendre, même sans accord. Le principal rival, Riboulot, assure qu'il n'est jamais monté sur la colline.
"Ecoutez... J'ai commencé dans la profession il y a vingt ans et je n'avais rien. Aujourd'hui, je suis présent sur trois départements." Etonné par la photo parue dans la presse, et par ces os selon lui rassemblés volontairement, Eric Fiévet n'exclut pas un coup bas. En attendant, le mystère plane toujours sur l'identité des fameux cueilleurs de muguet. Ils "sont du secteur", précise simplement la journaliste du Républicain lorrain. "Je l'apprendrai bien un jour, lâche Dominique Guérin. Vous savez, là-haut, il y a de la prêle, mais il n'y a pas de muguet."
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