Douches trop rares, toilettes débordées... Les conditions de vie toujours plus dégradées dans la "jungle" de Calais
En quelques mois, la population du camp de migrants a doublé. Et à l'approche de l'hiver, la vie dans le bidonville devient de plus en plus pénible.
"Indigne." Lorsque l'on interroge les bénévoles qui viennent en aide aux migrants de Calais, le mot revient sur toutes les lèvres. Avant l'été, la situation de la "jungle", située en périphérie de la ville du Pas-de-Calais, était déjà précaire. Depuis, quelques mois ont passé, et la population a doublé. Quelque 6 000 migrants s'entassent désormais dans ce bidonville fait de bric et de broc.
Redoutant une crise sanitaire encore plus grave avec l'arrivée de l'hiver, plusieurs ONG, dont Médecins du monde et le Secours catholique, ont décidé de déposer un recours en justice, pour "mettre fin aux atteintes graves aux libertés fondamentales" des migrants. En début de semaine, ils ont obtenu gain de cause : le tribunal administratif de Lille a ordonné à l'Etat et à la commune de Calais de prendre des mesures d'urgence pour venir en aide aux migrants, comme créer une dizaine de points d'eau et cinquante latrines supplémentaires. Mais cela sera-t-il suffisant ?
Plus de 17 hectares de bidonville
Coordonnatrice pour Médecins du monde dans la région Nord-Pas-de-Calais, Isabelle Bruand décrit le camp comme "une ancienne décharge sauvage à une sortie d'autoroute, où les gens vivent sous des bâches ou dehors, entre dunes et marécages, sur un sol inondable".
Le bidonville, qui s'étend sur plus de 17 hectares, ne comptait jusqu'à présent que trois points d'eau pour les 6 000 migrants y vivant, dans l'attente d'un hypothétique passage en Angleterre. Au centre Jules Ferry, qui héberge à proximité de la "jungle" une centaine de femmes et de mineurs, et distribue 2 500 repas par jour, les équipements "permettent environ 600 douches par jour", explique Christian Salomé, de l'association L'Auberge des migrants. "Concrètement, cela signifiait une douche par personne tous les cinq jours quand il y avait 3 000 réfugiés. Avec 6 000 réfugiés, c'est à peine une douche tous les dix jours." Ce qui rend impossible l'éradication de la gale, qui sévit dans le campement et ne saurait être vaincue qu'avec une hygiène rigoureuse.
Un accueil pas à la hauteur d'un pays développé
Quant aux toilettes, elles manquent cruellement. L'Etat en a installé une vingtaine, les associations une quarantaine. Trop peu. Cela fait environ "un WC pour cent personnes", s'insurge Christian Salomé. Et le responsable associatif de regretter : "Les latrines débordent. C'est une vraie puanteur..."
Pauline Busson, chef de la mission France à Médecins sans frontières, abonde : "On est dans un ratio qui est de l'ordre de celui des camps installés en urgence au Congo, pas du tout de ceux qui devraient être la norme d'un pays développé !" D'où la décision du tribunal administratif de Lille d'imposer la construction de cinquante nouvelles toilettes.
Autre bombe à retardement : l'évacuation des déchets, qui n'est plus assurée. Chargé de mission pour le Secours catholique, Vincent de Coninck explique qu'il n'y a "pas de ramassage des ordures". Au mieux, les déchets sont évacués dans les trois grandes bennes installées à cet usage à la périphérie du camp, par ceux qui ont le courage de parcourir jusqu'à un kilomètre.
Il y a des points de collecte sauvage avec des tas d'ordures, et des rats. Les déchets sont ensuite brûlés, et les réfugiés respirent des gaz toxiques.
Dès qu'il pleut, les familles pataugent dans un mélange de boue et d'immondices. Face au risque d'épidémie, la justice administrative a ordonné lundi la mise en place d'un système de collecte des ordures et le nettoyage du site. Sans plus de précisions.
L'accès aux soins très difficile
En cas de problème urgent, Vincent de Coninck relève qu'il n'y a dans tout le camp qu'"un seul chemin éclairé, et pas de voie pour les secours. S'il y a un blessé grave au milieu camp, les gens doivent l'amener à l'un des trois ou quatre points de rassemblement d'urgence en lisière, où une ambulance viendra le chercher".
Et à mesure que la population se densifie, les problèmes s'aggravent. Selon les humanitaires contactés, les populations vulnérables sont alors, sans surprise, les premières victimes. Ainsi, assure Isabelle Bruand, "les femmes courent un risque de violence accrue".
Lors des consultations, on voit des victimes de viols ou de violences sexuelles.
Vu le nombre de migrants présents dans la lande, elle juge la couverture sanitaire très insuffisante : "Ils ont du mal à accéder à un médecin. Or beaucoup souffrent des pathologies de premier niveau liées aux conditions de vie : problèmes respiratoires, dermatologiques, fractures et foulures et syndromes post-traumatiques des survivants de guerre." Il y a aussi, selon Christian Salomé, "des gens abîmés par la route" : "J'ai rencontré cette semaine une famille venue d'Irak, épuisée, après avoir passé deux mois et demi sur les routes", témoigne-t-il.
Sous la pression de la justice et des associations humanitaires, l'Etat semble enfin vouloir bouger. Fin août, le Premier ministre Manuel Valls a annoncé l'installation d'un campement, avec des tentes, de 1 500 places supplémentaires. Le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, veut pour sa part convaincre des migrants de quitter Calais pour s'installer ailleurs en France, le temps de faire une demande d'asile. Quant à ceux, nombreux, qui préfèrent rester sur place pour essayer de traverser la Manche, ils tentent, coûte que coûte, de se bâtir une existence la plus normale possible. Et le camp de s'organiser désormais en véritable petite ville, comme le montre ce reportage de France 2 :
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