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Info franceinfo Carte Airbnb : l’évasion fiscale en quelques clics

Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Article rédigé par Sylvain Tronchet - Edité par Cécile Mimaut
Radio France

Airbnb propose une carte de crédit aux propriétaires d’appartements, via la société Payoneer basée à Gibraltar. Cela peut permettre de soustraire ces revenus au fisc.

La plateforme de location propose aux hébergeurs de les payer sur une carte de crédit rechargeable, émise depuis Gibraltar. Une aubaine pour les propriétaires qui cherchent à échapper au fisc.

C’est un bon plan qui circule de bouche à oreille depuis trois ans chez les propriétaires d’appartements qui passent par la plateforme de location Airbnb. Une carte de crédit proposée par la plateforme de location permet d’échapper aux radars de l’administration fiscale. "C’est un ami qui m’en a parlé", raconte à franceinfo Patrice* qui a eu un appartement sur Airbnb. "Il m’a dit que c’était très pratique pour récupérer mes revenus de location, et que c’était un bon moyen pour échapper au fisc parce que c’est totalement opaque", poursuit-il.

Une Mastercard aux couleurs d’Airbnb 

Pour verser à ses "hôtes" (les propriétaires d’appartements) ce qui leur revient, Airbnb propose plusieurs solutions. La majorité (90%, d’après la société) choisit d’être viré sur son compte bancaire. Mais d’autres optent pour la carte Payoneer. Cette société américaine, qui émet des cartes de crédit rechargeables, a passé un accord avec la plateforme en 2014. En trois clics depuis son compte, un loueur peut obtenir une Mastercard aux couleurs d’Airbnb.

Les loueurs peuvent souscrire gratuitement à cette carte directement sur le site Airbnb.  (CAPTURE D'ECRAN)

Cette carte prépayée permet à son titulaire de l’utiliser dans la limite du montant crédité par Airbnb. Elle est émise par Payoneer depuis Gibraltar, où l’entreprise américaine a obtenu le statut d’Electronic money institution. En clair, elle est autorisée à délivrer des moyens de paiement dans toute l’Union européenne. L’intérêt de cette carte ? Faire des transferts d’argent à l’étranger avec des frais nettement moins élevés que les virements bancaires internationaux. Une solution prisée par les propriétaires qui louent un appartement en France et habitent à l’étranger.    

Des transferts d’argent invisibles pour le fisc

En revanche, lorsque la carte est souscrite par un résident français, l’intérêt est tout autre : échapper aux impôts qu’il doit en théorie payer sur ses gains. "Ce type de comptes adossés à une carte ne sont pas des comptes bancaires à proprement parler, explique Eric Vernier, chercheur et expert en paradis fiscaux. Ils échappent aux accords sur l’échange d’informations bancaires (que Gibraltar a signé avec la France), et restent très pratiques pour ceux qui veulent éviter que l’on sache qu’ils ont de l’argent ailleurs que dans leur pays de résidence".

Contacté, le ministère des Finances, qui a pourtant été saisi du sujet d’après nos informations, ne nous a pas répondu. Mais une source à Bercy nous a confirmé que ce type de transfert était invisible pour le fisc. Airbnb paie ses hébergeurs français depuis la Grande-Bretagne, sur leur carte basée à Gibraltar. Pour récupérer leurs revenus ils n’ont plus qu’à se rendre dans un distributeur de billets (les plafonds de retrait sont élevés), ou faire des achats aussi anonymes qu’un touriste étranger en vacances en France.  

L’évasion fiscale à portée de tous 

Loin des montages financiers complexes utilisés par certaines sociétés, la carte de crédit Airbnb/Payoneer s’avère très pratique pour dissimuler quelques dizaines de milliers d’euros. D’autant que les formalités sont réduites au minimum. Pas besoin d’envoyer une copie de pièce d’identité, un simple numéro de passeport suffit. "Je me demande bien ce qu’ils ont pu vérifier", explique un hébergeur qui a obtenu cette carte par la Poste en trois jours. D’autant plus qu’il est très facile de louer sur Airbnb sous un faux nom, la plateforme ne vérifiant pas l’identité de ses hébergeurs. Nous avons eu accès aux données d’un grand appartement (4 chambres) du centre de Paris. Son propriétaire en tire aux alentours de 80 000€ de revenus par an, versés sur sa carte Payoneer en toute discrétion. Combien, comme lui, utilisent le système pour éviter de déclarer ces confortables revenus parmi les 300 000 hébergeurs inscrits sur la plateforme ? Difficile à évaluer, Airbnb ne communique pas le nombre de ses hôtes ayant souscrit cette carte. Payoneer revendique 4 millions de clients dans le monde.

Airbnb se défend d’inciter ses hôtes à frauder

Du côté d’Airbnb France on explique n’avoir "aucune connaissance de plaintes concernant ce prestataire de paiement, dont les services sont utilisés par nombre d'entreprises dans le monde." Effectivement, Amazon ou Cdiscount proposent aux vendeurs qui passent via leur "marketplace" de les payer sur une carte Payoneer. Mais aucun d’entre eux ne semble avoir poussé le système aussi loin qu’Airbnb, en délivrant une carte à leurs couleurs. De fait, Airbnb, en intégrant totalement la procédure de souscription (sans frais) sur son site, facilite l’accès à ce moyen de paiement. La plateforme se défend malgré tout d’inciter ses hôtes à frauder : "Nous leur rappelons la nécessité de s'informer des réglementations fiscales applicables, et de s'y conformer", nous a-t-elle répondu. Un argumentaire qui ne convainc pas tout le monde : "Ce n’est pas compliqué de comprendre que si un propriétaire Airbnb utilise cette carte, c’est qu’il ne va pas payer l’impôt en France !" explose Jean Bernard Falco, le président de l’Ahtop, une association de professionnels du tourisme qui se bat contre Airbnb depuis plusieurs années. "Airbnb peut dire ce qu’il veut, la réalité, c’est qu’il a choisi une société basée à Gibraltar pour permettre à des loueurs français d’encaisser des revenus en échappant aux radars français !" poursuit-il.

Le gouvernement rechigne à prendre des mesures

Les députés avaient pourtant proposé une contre-mesure imparable : imposer à Airbnb et ses concurrents de transmettre automatiquement les revenus des loueurs au fisc. Le 5 décembre 2016, le député (PS) Pascal Cherki dépose un amendement en ce sens, voté à l’unanimité en commission. Une fois arrivé dans l’hémicycle il déchante. Le gouvernement, représenté ce jour-là par le secrétaire d’Etat au Budget, Christian Eckert, donne un avis défavorable. Il argue des "problèmes techniques" et avance un argument étonnant : "Il ne faut pas donner l’impression de freiner le développement d’un secteur qui se plaint déjà d’une réglementation qui commence à l’encadrer assez sérieusement"

Les députés négocient alors que cette mesure s’applique à partir du 1er janvier 2019. Mais à ce jour, le décret d’application n’est toujours pas sorti, et on évoque un report de l’obligation à 2020 "en raison de problèmes techniques". Une explication qui ne convainc pas Pascal Cherki : "Ce n’est quand même pas compliqué, on est dans une activité numérique, ils ont toutes les données, il suffit juste de mettre au point un logiciel et ils transmettent à Bercy comme le font déjà les employeurs pour leurs salariés !"

L’actuel gouvernement ne semble malgré tout pas plus enclin que le précédent à imposer de nouvelles règles au secteur de la location touristique. Le 24 novembre 2017, il a donné un avis défavorable à un amendement du Sénat (pourtant voté à la quasi-unanimité), fiscalisant les revenus issus des plateformes de location supérieurs à 3 000 euros. Le secrétaire d’Etat Benjamin Griveaux a expliqué qu’il fallait encore réfléchir "sur les effets d’une telle mesure". Dans le même temps, un autre décret d’application dort toujours dans un tiroir. Il détermine les sanctions que les plateformes encourent si elles permettent à un propriétaire de louer plus de 120 jours par an alors qu’il n’a pas obtenu les autorisations pour le faire. C’est ce qui a permis à Airbnb d’annoncer, comme une avancée, qu’elle allait encadrer les locations dans quatre arrondissements de la capitale. La loi lui impose pourtant de le faire dans les 16 autres. Mais, faute de décret d’application, la plateforme ne risque aucune sanction à ne pas le faire.

Enquête de la Cellule Investigation de Radio France, par Sylvain Tronchet.

* Les prénoms ont été modifiés.

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