: Infographies Quelle place pour les commerçants français sur Amazon ?
A la faveur des confinements liés à la crise sanitaire, de plus en plus de Français ont recours aux sites de e-commerce comme Amazon. Cette évolution se fait-elle au détriment des entreprises tricolores ?
Sale temps pour Amazon. Ces dernières semaines, les opérations contre le géant du e-commerce se sont multipliées : opposition à de nouveaux entrepôts à Montbert (Loire-Atlantique), Briec (Finistère), Lyon (Rhône) ou Rouen (Seine-Maritime) ; actions contre des bornes de retrait à Montpellier (Hérault) ; appels au boycott... Le "Black Friday" du vendredi 4 décembre n'arrange rien, avec différentes mobilisations durant cette journée symbolique. Les griefs sont nombreux : impact environnemental, optimisation fiscale, conditions de travail des salariés... Surtout, un argument revient avec constance : Amazon mettrait en péril les entreprises françaises.
Le 16 novembre, les 120 signataires d'une tribune publiée sur franceinfo accusaient Amazon d'être "une multinationale en train d’asseoir son monopole dans la vente de milliards de produits en détruisant la vie sociale locale". Le lendemain, la pétition "Pour un Noël sans Amazon", lancée notamment par les députés Matthieu Orphelin et François Ruffin, décrivait la firme américaine comme une "entreprise prédatrice des emplois, (...) prédatrice du commerce, prédatrice des terres". Tous s'appuient sur une note du député Mounir Mahjoubi, ancien secrétaire d'Etat au Numérique, qui estimait en novembre 2019 que "pour 1 emploi créé chez Amazon, 2,2 seraient perdus ailleurs", selon une méthodologie discutée comme le montre un article du Monde.
Faux, répond Amazon. Ses représentants français multiplient les prises de parole pour présenter les bienfaits de la plateforme sur le commerce tricolore. Ils s'invitent dans une bataille de chiffres. "Nous avons investi plus de 9,2 milliards d’euros dans nos activités françaises entre 2010 et 2019, explique l'entreprise dans un communiqué. Au total, Amazon est ainsi à l’origine de plus de 130 000 emplois répartis sur l’ensemble du territoire". En outre, elle affirme que sa plateforme permet à plus de 11 000 petites et moyennes entreprises basées en France de vendre leurs produits dans l'Hexagone et à l'étranger. Un chiffre difficile à vérifier, et qui semble modeste au regard des 211 859 "vendeurs actifs" répertoriés sur la plateforme française en 2019 par le site spécialisé Marketplace Pulse (contenu en anglais).
7,6% de Français dans les "meilleures ventes"
Pour prouver sa bonne foi dans ce débat très politique, Amazon a mis en avant un volet "Soutenons les entreprises françaises", épinglé à sa page d'accueil depuis le 31 octobre. Des dizaines de milliers de produits y sont référencés, allant de jouets en bois à des coques pour smartphone, en passant des portes-clés ou mugs personnalisés. Mais si du bleu-blanc-rouge apparaît çà et là, le "made in France" ne concerne qu'une partie des produits. Le point commun des références présentées sur cette page semble être uniquement l'adresse française des commerçants, qu'ils soient fabricants ou importateurs.
Du côté des achats, quelle place occupent les commerçants français dans les ventes réalisées sur Amazon ? La firme ne communique pas de données détaillées sur le sujet. En revanche, il est possible d'analyser ce qui se vend le plus sur le site. Franceinfo a ausculté les produits présentés dans l'onglet "meilleures ventes" des 35 principales catégories, tels qu'ils étaient listés sur le site, lundi en début d'après-midi. Sur 3 518 produits, il nous a été possible d'identifier le vendeur de 3 092 d'entre eux. Dans cet échantillon, on compte seulement 234 références vendues par des Français, soit une part de 7,6%.
Plus de 50% des produits de notre échantillon sont en fait vendus par Amazon. Ce constat est bien connu de Michel Koch, directeur général de l'Institut du commerce connecté. "La stratégie d'Amazon est d'observer ce qui se vend bien, puis d'aller directement vers les fournisseurs et vendre eux-mêmes ces produits", explique-t-il. En deuxième position viennent les vendeurs chinois, avec 842 produits dans notre échantillon. Les pays européens, à commencer par la Grande-Bretagne, arrivent derrière la France, troisième.
Mais les commerçants français sont plus ou moins biens représentés selon le "rayon" concerné. Alors qu'ils pèsent seulement 1 ou 2% des produits les plus vendus dans les catégories "bijoux", "vêtements" ou "luminaires et éclairages", ils vendent 18% des "bagages" à succès, 23% des articles liés au "gros électroménager", mais plus de 80% des produits "handmade" ("fabriqués à la main").
Qui sont ces entreprises tricolores, certes rares, mais qui vendent des produits à succès ? La centaine de vendeurs ainsi dénombrés par franceinfo relève de l'inventaire à la Prévert : le Groupe Dragon, basé à Vernoux-en-Vivarais (Ardèche), qui vend des pièces détachées d'électroménager, la boutique de Miss-Kawaii, qui vend des porte-clés thématiques depuis Calais (Pas-de-Calais), ou encore l'entreprise 3Dkoupe, qui vend des emporte-pièces personnalisés, imprimés en 3D à Mérignac (Gironde).
Cette dernière a été fondée par Jeff, qui s'est lancé sur Amazon en février 2019. La plateforme lui apporte "une bonne moitié" de son chiffre d'affaires, explique-t-il à franceinfo. "Quand nos produits ont été mis sur la page d'accueil d'Amazon, ça nous a propulsés. Entre le reconfinement et la période de Noël, ça a un peu explosé." La chance de Jeff est de proposer des produits personnalisés avec lesquels la concurrence, chinoise notamment, n'arrive pas à rivaliser en matière de prix et de temps de livraison. Mais la médaille a un revers : "Je me sens dépendant. Par ailleurs, c'est parfois très compliqué d'avoir quelqu'un du support au téléphone pour faire certaines démarches."
La moindre présence des vendeurs Français n'étonne pas les experts. D'après plusieurs d'entre eux, la domiciliation du vendeur ne serait pas un facteur pris en compte dans le choix des résultats proposés à un internaute. "Pour l'instant, l'algorithme d'Amazon prend en compte le prix, le délai de livraison, et le niveau de réclamations. La provenance, non. Leur focus, c'est la meilleure satisfaction du client", déchiffre François Duranton, cofondateur du cabinet ZeTrace, qui scrute les sites de e-commerce depuis neuf ans.
La plateforme d'Amazon ne constituerait donc pas le lieu idéal pour faire valoir l'origine française d'un produit ou d'une entreprise. "On ne va pas sur Amazon quand on a en tête d'acheter quelque chose de français, estime François Duranton. Amazon a des pages standardisées, pour vendre un alternateur de voiture comme une robe de soirée. Donc la plateforme a du mal à créer les conditions pour un achat lié à des convictions."
Julien Platel, cofondateur de Diatly, qui accompagne des marques françaises sur les plateformes de e-commerce, dont Amazon, partage cet avis. "Tous les Français sont sensibles au 'made in France', mais peut-être un peu moins quand ils sont devant un ordinateur. En revanche, ça peut jouer pour finaliser un choix, entre deux options", estime-t-il.
Peu de vendeurs millionnaires en France
Malgré tout, Amazon a l'avantage de permettre à une entreprise jusque-là discrète de tirer son épingle du jeu. "L'algorithme d'Amazon positionne les produits en fonction de la satisfaction des clients, et une petite entreprise peut tout à fait offrir un service de qualité", raconte Julien Platel. Et l'expert de citer le programme "FBA" ("Fulfillment by Amazon", soit "Expédié par Amazon"), qui permet à un vendeur français d'acheter les services d'Amazon pour gérer le stockage, la préparation et la livraison des commandes, tout en s'épargnant ainsi certains coûts.
Toutefois, si Amazon permet de faire éclore quelques belles réussites nationales, la France semble moins concernée par ce phénomène que certains de ses voisins. Ainsi, d'après les données compilées par le site Marketplace Pulse, 7 700 commerçants européens ont réussi à dépasser le million de dollars de ventes en 2019. Parmi eux, seulement 300 étaient français. Les vendeurs allemands et britanniques figurent en tête.
Du côté des opposants à Amazon, la faible part du gâteau laissée aux vendeurs français n'est qu'une des raisons de la colère. Elle s'ajoute aux commissions parfois élevées ponctionnées par la plateforme sur les ventes, à la concurrence féroce de vendeurs chinois, à l'absence, dans certains cas, de frais de TVA... La firme de Jeff Bezos fait par ailleurs l'objet d'une enquête de la Commission européenne, qui l'accuse d'enfreindre certaines règles de concurrence. "Quand on nous dit qu'Amazon est le meilleur défenseur des PME, en réalité, on en est très loin. C'est un système qui est fait pour être au final un monopole", juge le député Matthieu Orphelin, interrogé par franceinfo.
De son côté, l'entreprise continue de défendre son modèle et sa contribution à l'économie française, notamment par le versement de 420 millions d'euros de prélèvements obligatoires en 2019. La plateforme prévoit de lancer, début décembre, un large programme de formation pour aider les entrepreneurs français à développer leur activité en ligne.
Aujourd'hui, Amazon représente 22% du e-commerce en France, selon Kantar, site spécialisé dans l’analyse de données. Le géant compte bien encore progresser dans l'Hexagone.
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