Cet article date de plus de sept ans.

Stress, cadences infernales, maladies professionnelles... L'envers du décor d'Amazon

Article rédigé par Simon Gourmellet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Un entrepôt d'Amazon à Bouc-Bel-Air (Bouches-du-Rhône), le 27 septembre 2017.  (MAXPPP)

A l'automne 2018, le géant américain de la distribution en ligne va ouvrir un sixième centre de distribution en France, à Brétigny-sur-Orge (Essonne). A la clé : le recrutement de 1 000 personnes en CDI. Pourtant, dans les allées de ses entrepôts, les conditions de travail sont largement dénoncées.

La création de 1 000 emplois en France, c'est toujours une bonne nouvelle, largement relayée. Mais à quel prix pour ses futurs salariés ? Amazon a annoncé, mardi 3 octobre, l'ouverture à l'automne 2018 d'un sixième centre de distribution en France, à Brétigny-sur-Orge (Essonne), et l'embauche de 1 000 CDI à temps plein. Mais entre cadences minutées, troubles musculo-squelettiques et lettres recommandées au moindre fléchissement du salarié, le revers de la médaille est beaucoup moins doré. Franceinfo s'est penché sur les conditions de travail dans les allées du géant de la vente en ligne. 

Alain Jeault travaille depuis septembre 2012 sur le site de Sevrey (Saône-et-Loire). Délégué CGT, il ne compte plus le nombre de ses collègues arrêtés pour se faire opérer du poignet, du coude ou de l'épaule. "Des jeunes de 25 ans", souffle-t-il. Selon un rapport de la médecine du travail, auquel franceinfo a eu accès, sur les 121 personnes du site examinées par les médecins en 2015, 75 présentaient des "affections périarticulaires", c'est-à-dire des troubles musculo-squelletiques liés à leur travail et 30, des "affections chroniques du rachis lombaire" en lien avec leur activité de manutention.

"Personne n'était au courant de mes problèmes"

C'est ce qui est arrivé à Ana. Salariée sur le site de Montélimar (Drôme), cette femme de 46 ans a été licenciée pour inaptitude, en juin dernier. Embauchée en 2010, elle a contracté en 2012 une maladie à l'épaule gauche, à force de soulever des cartons. Elle est reconnue comme travailleur handicapé en mai 2013 par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH). De retour à son poste de travail, elle demande simplement à ce que la hauteur de son bureau, sur lequel elle empaquette les colis, soit abaissée. "Je n'ai pas eu de réponse", explique-t-elle à franceinfo.

Elle l'aménage alors toute seule. "Un seul manager me proposait de temps en temps de me servir de la scotcheuse automatique, mais c'est tout. Au contraire, on venait me faire la remarque que je ne traitais que les petits colis. Personne n'était au courant de mes problèmes." Du coup, Ana se voit contrainte de forcer sur son autre épaule. Il ne faudra que quelques mois pour qu'elle lâche elle aussi. "J'ai alors tenté de me reclasser, mais les documents qu'on m'a fournis étaient tous en anglais, une langue que je maîtrise très mal." 

J'étais inapte à mon poste, mais pas à tous. Ils n'ont pas cherché à trouver une solution.

Ana, ancienne salariée d'Amazon

à franceinfo

Pour autant, elle n'en veut pas à ses anciens managers. "Eux aussi ont la pression. D'ailleurs, ils ne restent pas très longtemps à leur poste." Depuis juin, elle se bat pour obtenir ses indemnités de licenciement.

Des scanners pour surveiller les salariés

Sur le site de Sevrey (Saône-et-Loire), Elodie se dit également en souffrance. Opérée récemment de la cheville, elle a bénéficié d'aménagements pour sa convalescence. Des restrictions que l'entreprise veut désormais supprimer. Pour cela, elle a été convoquée trois fois en deux mois par la médecine du travail, diligentée par l'entreprise. Ce qu'elle interprète comme un coup de pression. "C'est dur pour moi de marcher des kilomètres toute la journée. Je souffle une à deux minutes. Mais si je fais trop de pauses, ils (les managers) le savent tout de suite et me le font remarquer", confie-t-elle a franceinfo. En temps normal, un salarié peut parcourir entre 15 et 20 kilomètres par jour dans les allées des entrepôts.

Car dans les allées des entrepôts d'Amazon, tout est minuté, codifié, scruté, grâce aux scanners utilisés à chaque étape du traitement des colis. Une méthode qui permet à un employé d'en empaqueter jusqu'à 250 par heure."Avec ça, ils savent exactement où vous vous trouvez et se servent de ces informations pour calculer votre temps d'arrêt", accuse Alain Jeault. Et même s'hydrater peut poser problème, rapporte de son côté France 3 Nord.

Si dans la journée, vous êtes allé aux toilettes, si vous avez pris un verre d'eau ou que vous ne pouvez pas justifier un temps d'arrêt, vous recevez une lettre de sensibilisation.

Gérald Defauquet, délégué CGT sur le site de Douai

à France 3

Si ces temps sont trop longs ou trop fréquents, "on se fait convoquer ou on reçoit chez nous un courrier recommandé nous incitant à accélérer la cadence", confirme Alain Jeault, qui dénonce "un véritable stress, que le salarié ramène à la maison". Elodie raconte ainsi avoir déjà été convoquée jusqu'à quatre fois dans une même semaine, pour faire le point sur ces temps d'"inactivité".

Cette situation tendue n'a pas échappé à certains élus, comme le député PCF du Nord, Alain Bruneel. En août dernier, il s'est rendu sur le site de Douai pour aller à la rencontre des salariés. Une visite suivie par un journaliste de L'Humanité et durant laquelle "une employée a fondu en larmes", se souvient Alain Jeault. Quelle a été la réaction d'Amazon ? "Le député n'a pas été reçu par la direction et des managers ont pris des photos des employés qui lui parlaient..." . Il a finalement été reçu par la direction, rapporte La Voix du Nord

"Un environnement de travail sûr", selon Amazon

Contacté par franceinfo, Amazon refuse de commenter les situations particulières de ses employés ou ex-employés, mais rappelle que chaque collaborateur qui intègre l’entreprise reçoit "une formation spécifique en matière de sécurité et de manipulation sans risque, complétée tout au long de l’année par une formation progressive et continue, afin que les procédures de travail en toute sécurité soient bien maîtrisées". L'entreprise estime également offrir "un environnement de travail sûr", avec notamment une "étude et amélioration constante de l’ergonomie des postes de travail". Elle se défend enfin sur l'utilisation des scanners, en estimant qu'ils permettent plutôt une réduction des itinéraires au sein des entrepôts, et non un contrôle des cadences comme le dénonce le syndicaliste Alain Jeault. 

Malgré ces démentis, le manque de dialogue et les conditions de travail sont régulièrement pointés du doigt, notamment dans l'enquête du journaliste Jean-Baptiste Malet, auteur d'En Amazonie : Infiltré dans "le meilleur des mondes", publié en 2013 (et en vente... sur Amazon !). Avec neuf autres de ses collègues, Alain Jeault se bat actuellement pour faire reconnaître leur spécialisation de cariste et faire en sorte qu’ils soient hissés au niveau 5, alors qu’ils ne sont pour le moment qu’au niveau 2. "Je suis cariste à 94% de mon temps, et lorsque l'on m'a embauché, on m'a demandé mon permis et j'ai passé une visite médicale spéciale. Et pourtant, je ne suis pas reconnu comme tel." Cette reconnaissance porterait leur rémunération de 1 671 euros à 2 254 euros mensuels. 

Cette mauvaise image n'empêche pourtant pas le groupe, qui promet des CDI payés 23% de plus que le SMIC selon Challenges, de trouver des candidats. Mais il doit élargir son bassin de recrutement et employer des personnes de plus en plus éloignées des sites. Alain Jeault relève ainsi qu'Amazon a dû mettre en place des navettes sur le site de Sevrey pour faire venir des salariés recrutés à Nemours... situé à 2h30 de là. Ceux qui tentent l'expérience ne restent pas plus de deux ans et demi en moyenne, estime le syndicaliste. Pour Ana, les cadences infernales représentent le véritable problème. "C'est un travail comme un autre, mais si les salariés étaient moins sous pression, ils s'abîmeraient beaucoup moins."

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