Mais pourquoi certains criminels passent-ils aux aveux sur internet ?
Les faits divers se suivent et se ressemblent. Des victimes photographiées et exhibées sur Instagram, des vidéos de crimes publiées sur Facebook ou des menaces de mort postées sur des forums. Qu'est-ce qui pousse leurs auteurs à se confesser ainsi ?
Autoportraits, états d'âme, pamphlets, photomontages… Sur les réseaux sociaux, blogs et forums, plusieurs centaines de millions de personnes s'épanchent sans faire de vague. Mais que se passe-t-il quand, entre deux banalités, un internaute avoue un meurtre, comme ce fut le cas, vendredi 6 septembre, dans une vidéo postée sur Youtube ? Ou quand les joueurs d'une équipe de foot violent une adolescente et s'échangent les photos sur Instagram ?
Les tueurs, violeurs, chauffards ou dangers publics sont des internautes comme les autres. Francetv info s'est demandé ce qui pouvait les pousser à la confession online.
Pas mal de canulars…
L'aveu était affiché en tête de PostSecret le 1er septembre, accompagné d'une carte satellite où une flèche pointait un endroit précis : "J'ai dit : 'Elle m'a jeté', mais c'est plutôt moi qui ai jeté (son corps)." En quelques heures, les utilisateurs du site communautaire Reddit identifient la zone supposée de cette sépulture. Mais le lendemain, la chaîne américaine CNN explique que la police locale privilégie la thèse du canular.
Pourquoi cette mauvaise blague ? Pour exister, explique simplement la psychologue Vanessa Lalo, spécialiste des nouvelles technologies. "Les hoax [canulars] sont de plus en plus trash, parce qu'à l'instar des médias, ils sont dans une logique de course au sensationnel", explique-t-elle à francetv info. Dans la même veine, elle évoque les annonces répétées de fausses morts sur les réseaux sociaux, comme celle d'Angelina Jolie, enterrée par des internautes fin août (en anglais). "Le but, c'est de créer une vague d'émotion sur internet. Qu'une seule personne montre qu'elle est capable, en une phrase, de mobiliser la police, les autorités, les internautes, etc. Pour l'auteur, même s'il reste anonyme et n'est pas reconnu pour ce qu'il est, il aura réussi à secouer une petite partie de la planète", explique Vanessa Lalo. Soit la version 2.0 du coup de fil blagueur (et pénalement répréhensible) passé aux pompiers.
… mais des conséquences bien réelles
Toutefois, même lorsqu'il s'agit d'une fausse alerte, les menaces d'internautes en crise sont prises au sérieux par les enquêteurs. En juillet, un adolescent de 17 ans a ainsi été arrêté et placé en garde à vue pour avoir provoqué, deux mois plus tôt, un déploiement de forces de l'ordre inédit aux abords de lycées et collèges du Bas-Rhin. Il avait menacé de commettre une fusillade dans un établissement de la région sur un forum de jeux vidéo. S'il n'avait, semble-t-il, pas l'intention de passer à l'acte selon RTL, les confessions découvertes trop tard sont nombreuses. En avril, un Américain a blessé deux personnes dans un centre commercial après avoir annoncé son projet aux membres du forum de discussion 4chan, rappelle Gawker (en anglais).
En France, l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication, notamment grâce au système de signalement "Pharos", permet de rapporter ces messages inquiétants aux autorités. L'organisme met en garde les internautes en ces termes : "Pour détecter les pièges [sur le web], il suffit souvent de se dire : 'Si un inconnu me disait ça dans la rue, est-ce que je le croirais ?'"
Ne pas distinguer le réel du virtuel relève du bon sens, juge Vanessa Lalo. "Sur internet, on trouve des chatons, de la mort, de la violence, des injustices…", souligne-t-elle. "Il s'agit d'un outil créé par l'homme, pour l'homme, modifié et alimenté par l'homme. Alors forcément, il lui ressemble, avec ses travers aussi."
L'illusion de l'anonymat…
Elle note cependant une évolution : "Aujourd'hui, nous sommes dans une démarche de transparence : un internaute peut se targuer d'être connu et identifié par ses comptes nominaux sur les réseaux sociaux. Cela n'a pas toujours été le cas." Conséquence de ce recul du principe d'anonymat : "Les réseaux sociaux poussent à la désinhibition et certains oublient qu'ils ne sont pas tout seuls, à l'abri derrière leur écran."
Pour l'imbécile lambda, celui qui demande sur Twitter où il peut acheter de la drogue (et à qui la police locale répond : "Génial ! On peut venir aussi ?"), la confusion est gênante. Pour l'esprit malade ou criminel, elle devient terrifiante. "Quelqu'un de pathologique va avoir un usage pathologique de l'outil", explique la psychologue.
… et de l'impunité
Même au sein du temple des Anonymous, le forum 4chan, anonymat n'est pas synonyme d'impunité : "On y a assisté très tôt à une forme de justice", note la chercheuse. Dès 2007, un internaute/tueur autoproclamé révélait sur le site l'emplacement d'un cadavre. Lorsque le corps d'une jeune fille de 18 ans y a effectivement été découvert, les utilisateurs n'ont pas manqué de souligner leur travail d'investigation, même si la police affirme avoir mené l'enquête par ses propres moyens.
En 2009, cette communauté à tendance anarchiste s'est mise en branle pour identifier et dénoncer un ado de 17 ans, auteur d'une vidéo dans laquelle il tabasse son chat. Un an plus tard, ces anonymes ont traqué le "vacuum kitten killer", un autre tueur (de chats, à l'époque) qui refera parler de lui en 2012 : Rocco Luka Magnotta. En avril, aux Pays-Bas, un homme a même été arrêté après avoir posté des menaces de meurtre sur le site, aussitôt rapportées à la police par les 4channers. Efficace.
Culte du partage…
Internet n'a pas changé la criminalité, et les meurtriers ont tendance à se confesser ou à se vanter depuis longtemps, explique à CNN la psychologue Michele Nealon-Woods, citant les lettres de Jack l'Eventreur ou celles du "Tueur du Zodiaque" dans les années 70. Aujourd'hui, "il y a un côté 'flambe' à se filmer et à se mettre sur internet", résumait simplement l'avocat d'un automobiliste des Deux-Sèvres, condamné à un an de prison ferme en 2012 et incriminé par une vidéo le montrant à 310 km/h sur l'autoroute.
… et de l'image
Début août, un Américain de 31 ans a posté sur Facebook la photo du cadavre de son épouse avant de se rendre à la police, laissant ses "amis" en panique sur son "mur". "Internet, c'est les yeux du monde. Ils nous regardent, nous donnent à voir. Face à eux, nous sommes acteurs et spectateurs", résume Vanessa Lalo. "Avec les réseaux sociaux, les gens se sont mis à se construire une image, à travailler leur e-reputation, à courir les 'likes'." Car, selon les règles du web, "ce qui n'est pas montré n'existe pas". Jusqu'à oublier que le crime parfait ne se tweete pas.
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