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Affaire Aurier : comment les grands clubs fliquent leurs joueurs sur les réseaux sociaux

Le PSG et la Ligue 1 pourraient s'inspirer de quelques bonnes idées à l'étranger.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Le défenseur du PSG Serge Aurier lors d'un match face à Lyon, le 13 décembre 2015, au Parc des Princes.  (STEPHANE ALLAMAN / SIPA)

"Je suis impardonnable !" Serge Aurier a mis un peu moins de 24 heures à admettre l'évidence. La vidéo, tournée sur l'application Periscope, où on le voit nonchalamment répondre à des questions d'internautes en jouant à la Playstation au milieu des volutes de chicha, a bien été tournée dans la nuit du 13 au 14 février. Une vidéo dans laquelle, entre autres politesses, il traite son entraîneur Laurent Blanc de "fiotte" aux ordres de Zlatan Ibrahimovic. Comment expliquer que ce dérapage sur les réseaux sociaux intervienne au PSG, aspirant grand club, quand le Real Madrid, le Bayern Munich ou Arsenal sont épargnés par ce genre de scandales ?

En Premier League, on fixe des règles très strictes

Il n'y a pas si longtemps, Twitter était une zone de non-droit en Premier League, où les tacles volaient encore plus bas que dans les surfaces de réparation. Consciente du danger, la fédération anglaise a publié un règlement très clair sur ce qu'on a le droit de tweeter ou pas – règlement publié en plusieurs langues (lien en anglais), dont le français – à l'usage des nouveaux arrivants. On peut notamment y lire : "Contentez-vous d’utiliser des mots, des phrases et des images dont vous êtes à 100% sûr du sens – l’ignorance n’est pas un moyen de défense." 

Depuis 2012 figure dans chaque contrat une clause sur les réseaux sociaux interdisant de mettre en danger l'image du club. C'est à peu près à ce moment-là que les dérapages ont cessé. Même le fantasque Joey Barton, passé par l'OM où il avait comparé Thiago Silva à un transsexuel, s'est assagi.

On l'oublie, mais on ne peut pas généraliser le dérapage d'Aurier aux footballeurs qui utilisent les réseaux sociaux. C'est extrêmement rare.

Boris Helleu, maître de conférences à l'université de Caen

à francetv info

L'association antiraciste Kick it out (en anglais) publie chaque année des statistiques sur le déchaînement de haine dont sont victimes les footballeurs sur Twitter. On y apprend que le club de Chelsea est la cible préférée des internautes racistes, et que les attaquants anglais Daniel Sturridge et Danny Welbeck sont les têtes de Turcs des footballeurs sur canapé. Conséquence : une utilisation assez plate des réseaux sociaux. "Même les community managers qui gèrent les comptes des joueurs sont devenus totalement paranos", regrette Arron Shepherd, qui dirige la Goat Agency (en anglais), une agence qui propose ce genre de services.

Chez les grands joueurs, on aseptise le discours

Un beau jour de 2009, Cristiano Ronaldo a été démarché par Facebook pour créer un compte. "Il faut que vous soyez présent sur notre réseau, insiste l'entreprise de Mark Zuckerberg. Nous estimons votre potentiel à au moins 10 millions de fans." Réponse de l'entreprise Polaris, chargée de l'image du n°7 du Real Madrid, citée dans le Financial Times (en anglais) : "Dix millions de fans ? Impossible. C'est l'équivalent de la population entière du Portugal." Un an plus tard, quand Cristiano Ronaldo annonce sur Facebook la naissance de son petit garçon – baptisé Cristiano Junior –, il a déjà dépassé la barre des 10 millions. Et aujourd'hui, l'attaquant portugais est le sportif le plus suivi de la planète, avec 110 millions d'abonnés sur Facebook, 50 millions sur Instagram ou encore 40 millions sur Twitter.

Depuis, l'agence Polaris travaille à temps plein à façonner la marque Ronaldo. Avec l'absence totale de spontanéité que cela implique. Cristiano Ronaldo envoie un texto en portugais à son équipe, qui le publie, avec des mots choisis, en anglais, sur ses différentes pages. Chaque mot est pesé, validé par différentes personnes. Mission principale de Polaris ? "Protéger la marque Ronaldo", reconnaît Luis Correa, le patron de l'agence, dans Fifa Weekly (PDF en anglais). Le prix du tweet sponsorisé – estimé à 150 000 dollars pièce – est à ce prix. 

Ne cherchez pas la moindre trace d'humour dans les écrits de l'attaquant portugais. "De toute façon, les joueurs les plus appréciés – dans un sens qualitatif – sur les médias sociaux sont des joueurs de second rang, qui manient à la perfection l'humour et le second degré, comme Pierre Bouby ou Manu Imorou", note Boris Helleu. Les stars internationales ne peuvent plus se le permettre.

Au XV de la Rose, on ne tweete pas après une défaite

Pas une tête n'a dépassé malgré la débâcle. Le XV de la Rose, humilié à domicile lors de la dernière Coupe du monde, en devenant la première équipe à ne pas franchir le premier tour de "son" Mondial, ne s'est pas plus ridiculisé sur Twitter. Le code de bonne conduite instauré par la fédération anglaise explique sans doute cela. On peut y lire dès le début ce conseil fondamental, rapporte le Daily Mail (en anglais) : "Ne postez rien quand vous êtes de mauvaise humeur ou après une défaite." Et cette autre vérité qui a manifestement échappé à Serge Aurier : "Une fois que vous avez posté quelque chose sur internet, on pourra toujours le retrouver, même si vous l'avez supprimé."

Enfin, une autre suggestion aurait bien servi à l'équipe de 2011, dont le passage en Nouvelle-Zélande reste marqué par l'affaire du lancer de nains lors d'une soirée trop arrosée. Facteur aggravant : à l'époque, le leader de l'équipe est Mike Tindall… membre par alliance de la famille royale. "S'engager dans un débat public sur Twitter, c'est mener une bataille que vous ne pourrez pas gagner. Vous finirez par avoir l'air ridicule, et donner encore plus de résonance à l'affaire." L'effet Streisand expliqué aux rugbymen.

En NBA, on forme les joueurs dès le début

En 2009, Twitter devient mainstream, et les joueurs de la NBA s'en emparent. Pas toujours à bon escient, raconte USA Today (en anglais). En juin, un joueur des Minnesota Timberwolves annonce en 140 signes le licenciement du coach. En août, un joueur de Miami live-tweete son arrivée dans une clinique psychiatrique pour soigner sa dépression. Le vétéran Allen Iverson fait monter la mayonnaise pour alimenter les rumeurs de transfert à son sujet. 

Depuis, la NBA s'est adaptée en modernisant le contenu de son Rookie Transition Program, la semaine de formation obligatoire pour tous les petits nouveaux du championnat. La maîtrise des réseaux sociaux y figure en bonne place (en anglais), aux côtés de l'apprentissage des bases de la gestion financière. Certains agents ont intégré cet aspect du métier, en ratissant la timeline de leurs protégés avant qu'ils ne deviennent célèbres, pour faire disparaître les tweets compromettants. Pour Boris Helleu, c'est quelque chose qu'on pourrait importer en L1.

Certains jeunes sont susceptibles de jouer en équipe première alors qu'ils n'ont que 16 ou 17 ans, mais n'ont pas conscience de leurs actes sur les réseaux sociaux, qui pourraient nuire à leur carrière ou à leur club.

Boris Helleu, maître de conférences à l'université de Caen

à francetv info

"Il faut les sensibiliser dès le centre de formation, poursuit Boris Helleu. Un tweet-fail peut arriver à tout le monde : on l'a bien vu avec Emmanuelle Cosse et ses tweets anti-Hollande vieux de quatre ans qui sont remontés quand elle a accepté d'entrer au gouvernement."

Trois ou quatre fois par an, les joueurs ont des cours de media-training qui incluent l'utilisation des réseaux sociaux. Sans leur interdire de parler d'autre chose que de sport. Pour preuve, le riche débat lancé par les stars de la balle orange comme LeBron James autour de la situation à Ferguson, à l'été 2014. Ce qui contraste fortement avec la politique frileuse en vigueur dans le football américain, résumée par le Monsieur Médias des Redskins de Washington dans USA Today (en anglais) : "Vous n'avez jamais raison quand il s'agit de politique, de race ou de religion." 

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