"Copy trading" : comment des influenceurs se retrouvent soupçonnés d'escroquerie après avoir proposé à leurs abonnés des investissements à haut risque
"J'ai envie que la peur change de camp." Depuis plus de huit mois, Slim*, cofondateur du collectif AVI (Aide aux victimes d'influenceurs), dénonce les pratiques de certaines des personnalités qui louent sur les réseaux sociaux les mérites de produits en échange de rémunérations. Le trentenaire n'est pas seul dans cette bataille, puisque des députés s'emparent aussi du sujet. Selon la Répression des fraudes, "six influenceurs contrôlés sur dix ne respectent pas la réglementation sur la publicité et les droits des consommateurs". Une proposition de loi vise à encadrer le secteur et à mieux lutter contre les dérives. Le texte est examiné en séance publique à l'Assemblée nationale, jeudi 9 février. Il le sera à nouveau en mars, après la publication des résultats d'une consultation sur les pratiques des influenceurs lancée par le gouvernement début janvier.
Cosmétiques, compléments alimentaires, accessoires de mode ou objets du quotidien… L'éventail des produits vantés par les influenceurs est large, mais c'est la publicité pour les produits et services financiers qui a attiré l'attention du député Arthur Delaporte, rapporteur de la proposition de loi. Lors de l'examen du texte en commission, le 1er février, l'élu socialiste a déposé un amendement pour interdire la promotion de ces pratiques, qui présentent "des risques importants de perte pour les consommateurs". "Il faut être réactif face à des pratiques opaques de finance grise", qui flirtent avec la légalité, souligne le parlementaire à franceinfo.
Des investissements à haut risque
Le "copy trading" figure parmi ces pratiques. Il consiste à investir de l'argent, puis à reproduire les positions financières prises par des traders pour le faire fructifier, la plupart du temps sur un marché fortement spéculatif, comme celui des devises, le Forex (Foreign Exchange Market). Bien que légaux, ces investissements de trading en ligne sont à haut risque et peuvent entraîner de fortes pertes, autant de dangers contre lesquels la répression des fraudes met en garde.
De son côté, l'Autorité des marchés financiers (AMF) met régulièrement à jour une liste noire des sites qui ne sont pas autorisés à proposer de tels placements financiers. Plus récemment, elle a développé, sur Instagram, une campagne contre les arnaques au trading. L'AMF rappelle aussi que la publicité pour les produits les plus risqués, qu'elle soit directe ou indirecte, est interdite depuis la loi dite "Sapin II" du 9 décembre 2016.
Or depuis plusieurs mois, des influenceurs s'improvisent experts du trading et multiplient les vidéos face caméra pour convaincre leurs abonnés de parier sur ces produits spéculatifs. Face à ce phénomène, Claire Castanet, directrice des relations avec les épargnants et de leur protection à l'AMF, appelle à redoubler de vigilance. "Quand on voit un influenceur recommander un site de trading ou un investissement, il faut se poser plusieurs questions : 'Est-ce qu'il a des compétences avérées en finance ?' 'Est-ce un témoignage sincère, désintéressé ou une publicité ?' Ce n'est pas toujours précisé clairement, alors que c'est une obligation."
"Il ne faut pas se laisser aveugler par les promesses de gains rapides sans rien faire et sans risque : ça n'existe pas, c'est une illusion !"
Claire Castanet, directrice des relations avec les épargnants à l'AMFà franceinfo
Les influenceurs savent se montrer convaincants, à l'image de Marc Blata, ancien candidat de télé-réalité (comme beaucoup d'influenceurs). Très présent sur les réseaux sociaux, celui qui s'est fait connaître en révélant une histoire de voyante embauchée par une autre candidate au sein de l'émission "Les Marseillais", martèle, à longueur de publications, le message "Copier-coller-encaisser". Il incite à cliquer sur un lien qui renvoie vers un canal de la messagerie Telegram, baptisé "Blata Gang". C'est sur ce canal qu'il communique, avec sa femme, Nadé Blata, des ordres d'achats et de ventes aux participants, selon le principe du "copy trading".
Le couple assure avoir un train de vie rêvé à Dubaï (Emirats arabes unis) grâce à cette pratique et fait miroiter des gains importants, comme franceinfo a pu le constater sur Telegram. Marc Blata avertit des pertes encourues dans un message écrit, mais dans le même temps, conseille dans ses vidéos de "passer à l'action".
"Je n'avais jamais fait ça, comme la plupart des gens"
En voyant ces images défiler, Mel s'est laissé tenter. "Marc Blata est certifié sur Instagram. Il a beaucoup de 'followers'. Je l'ai vu dans l'émission de Cyril Hanouna. Ça donne une certaine crédibilité. Il était convaincant et rassurant sur ce produit. Il disait qu'il investissait comme nous", explique-t-elle à franceinfo. Elle a finalement perdu un peu plus de 1 000 euros, en 2021. De son côté, Clément, chauffeur livreur, assurait, en juillet dernier dans Libération (article pour les abonnés), avoir perdu 2 000 euros. "Je passais jour et nuit devant l’ordinateur pour surveiller les courbes, j’ai perdu du poids, c’était une addiction", raconte-t-il. Il s'est "retrouvé à sec, à manger des pâtes et du riz tous les jours".
Slim a connu une situation similaire. "J'ai d'abord investi 500 euros. En deux ou trois jours, j'ai gagné de l'argent, je suis arrivé à 800 euros. Puis, je suis passé dans le rouge, à zéro, après un nouvel ordre d'achat. Je ne savais pas gérer mon capital, témoigne-t-il. J'utilisais des effets de levier sans le savoir : je n'avais jamais fait ça, comme la plupart des gens. Un mois après, j'ai voulu me refaire et j'ai redéposé 500 euros", poursuit-il. Mais cette tentative s'est révélée infructueuse, tout comme les suivantes : "J'ai perdu 1 500 euros entre avril et décembre 2021."
Le trentenaire essaie d'en savoir plus et réclame son "bilan trading" à Nadé Blata, sans succès. "J'ai alors compris qu'elle et son mari ne faisaient pas de trading, mais qu'ils étaient payés à l'affiliation", affirme-t-il. En clair, il les accuse de toucher une commission à chaque fois qu'une personne investit de l'argent en cliquant sur son lien.
Slim n'est pas le seul à s'interroger sur les pratiques du couple Blata. Le 31 mai dernier, de nombreuses personnes qui ont perdu d'importantes sommes d'argent se connectent sur un "space" (un groupe de conversation) sur Twitter. Baptisé #Blatarnaque, il est relayé par le rappeur Booba, lui aussi en croisade contre les agissements de certains influenceurs, dont Marc Blata.
"Pour certains, les pertes atteignent des dizaines de milliers d'euros. On a vu des mamans isolées qui pleuraient, qui ont tout perdu. On s'est dit qu'il y avait quelque chose à faire."
Slim*, confondateur du collectif AVIà franceinfo
C'est dans ce contexte que le collectif AVI a vu le jour. Aujourd'hui, il est géré par une quinzaine de personnes et compte environ 1 400 adhérents. Des "spaces" sur le sujet sont organisés chaque soir sur Twitter.
Surtout, les victimes ont décidé de porter l'affaire en justice. Elles ont adressé deux plaintes au parquet de Paris, principalement pour "escroquerie en bande organisée" et "abus de confiance", le 23 janvier. L'une d'elles concerne "l'arnaque au 'copy trading'" et vise notamment Marc et Nadé Blata. La seconde cible le projet Animoon. Inspiré du modèle des cartes Pokémon, il est parvenu, d'après le collectif AVI, à rassembler plus de 5 000 investisseurs avec une collecte de fonds évaluée à 6,3 millions de dollars, sans qu'aucun ne touche un centime, malgré les promesses de gains importants. Contacté par franceinfo, le parquet de Paris précise ne pas avoir connaissance de ces plaintes à ce stade.
"Les plaintes ont été adressées au nom du collectif, pour l'ensemble des victimes, mais contre X, pour éviter de désigner uniquement les Blata, car il y a tout un réseau d'influenceurs derrière", détaille Alexandre Dakos, l'un des avocats mandatés par le collectif. Ce dernier recensait 88 victimes au 23 janvier. Ce chiffre a ensuite largement augmenté à la suite de la conférence de presse qu'il a organisée, le même jour, avec les victimes.
"Il n'y a rien d'illégal à ce qu'on fait"
Cette mobilisation ne déstabilise pas Marc Blata, Marc Océane Singainy Tevanin de son vrai nom. "80 personnes : mais quelle fierté, quelle fierté ! J'ai plus de 19 000 personnes qui sont rentrées dans le 'Blata Gang' et seulement 80 qui se sont plaintes", a-t-il réagi sur Instagram.
Mais le lien avec ce réseau social est coupé : son compte, tout comme celui de sa femme, a été supprimé le 27 janvier. "Nous avons des règles claires à l'encontre des personnes qui tentent d'utiliser nos services pour abuser les autres", a précisé un porte-parole de Meta à l'AFP.
"Il n'y a rien d'illégal dans ce qu'on fait. Moi, si je n’avais pas pris de risques, je ne serais pas dans une villa à Dubaï", avait martelé, en septembre 2022, Marc Blata au Parisien (article pour abonnés). "On est transparents, à aucun moment on a dit à nos abonnés qu'on était traders. Les signaux nous viennent d'un trader. (...) Les personnes qui perdent tout l'argent au 'copy trading' sont des personnes qui sont allées trop vite et qui ont investi tout leur argent sur un signal", s'était défendue sa femme, également interrogée par le quotidien.
Le couple continue d'inciter les internautes à faire du "copy trading"depuis Twitter et toujours sur Telegram, où un peu plus de 19 600 personnes étaient inscrites au 7 février. Contacté, leur avocat n'a pas souhaité répondre à nos questions.
*Le prénom a été changé
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