"Être une voix de confiance en ligne" : pour lutter contre la désinformation, l'Unesco propose une formation inédite aux influenceurs du monde entier
Deux tiers des influenceurs ne vérifient pas leurs sources, mais veulent apprendre à le faire : c'est ce qui ressort d'une enquête de l'Unesco, publiée début novembre. Pour répondre à cette problématique, l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture s'est associée avec le Knight Center for Journalism in the Americas, rattaché à l'université d'Austin au Texas. Ils ont conçu la première formation mondiale à destination des créateurs de contenu. Une formation disponible sur internet dans quatre langues (anglais, espagnol, portugais et français) et intitulée "How to be a trusted voice online", à traduire : "comment être une voix de confiance en ligne."
Pendant un mois, de mi-novembre à mi-décembre, plus de 9 000 inscrits, venus de 160 pays, ont assisté à différents modules en ligne pour acquérir les réflexes nécessaires à la lutte contre la désinformation. Des créateurs de contenus inscrits depuis la France, les États-Unis, l'Espagne, mais aussi le Népal, l'Australie ou encore l'Inde, ont appris à vérifier leurs sources, identifier, expliquer et signaler la désinformation et les discours de haine. Au bout des quatre semaines de formation, un certificat leur a été délivré par l'université, à condition d'avoir validé tous les modules.
"Beaucoup d'outils intéressants que je vais pouvoir utiliser"
La formation est interactive. Elle se compose de quatre modules ponctués par des quiz que le participant valide à son rythme. Des sessions en direct ont aussi été organisées pour favoriser les échanges avec les formateurs et entre participants. Sur les forums mis à leur disposition, ils partagent leurs retours d'expérience et leurs avis sur l'intérêt de la formation.
"Une formation tellement utile et éducative", commente une participante depuis l'Inde. "Merci d'avoir créé cette formation. J'ai découvert beaucoup d'outils intéressants que je vais pouvoir utiliser. C'est hyperpertinent dans l'époque dans laquelle on vit", ajoute un autre, inscrit en Afrique du Sud.
Contacté par franceinfo, l'un de ces participants, Butie Elijah Tshukudu, un Botswanais de 36 ans, partage la même impression : "La formation était bien rythmée et interactive. J'ai beaucoup appris et particulièrement grâce à mes échanges avec d'autres participants." Après plusieurs années dans l'industrie du cinéma, il compte se spécialiser dans la création de contenus en ligne dans les prochains mois.
"Le contenu que tu as partagé, tu l'as vérifié avant ?"
Ibrahim Umoru, Nigérian de 30 ans, a, lui aussi, complété la formation. Spécialisé dans l'informatique, il suit régulièrement des cursus d'apprentissage autour de la désinformation : "En tant que créateur de contenu, on doit créer des contenus fiables et vérifiés pour que nos abonnés aient confiance en nous. Le premier conseil, c'est d'avoir les connaissances nécessaires avant d'aborder un sujet, ne pas parler de quelque chose qu'on ne connaît pas suffisamment." Très actif sur les réseaux sociaux, il a souvent constaté le partage de fausses informations : "Parfois, j'ai contacté les influenceurs pour demander : 'Le contenu que tu as partagé là. Est-ce que tu l'as vérifié avant ?'"
Ibrahim Umoru est particulièrement conscient des conséquences de la désinformation en ligne : "J'utilise souvent l'analogie de la rivière. Il suffit qu'une personne y déverse un produit chimique, pour que l'eau qui arrive dans le village en aval soit contaminée. Tous ceux qui vont la boire ou y pêcher seront contaminés à leur tour. C'est pareil avec le partage de fausses informations sur les réseaux sociaux, les conséquences seront les mêmes pour ceux qui vont ingérer l'information."
Il estime que veiller à la fiabilité de l'information est un devoir collectif : "Ce n'est pas juste le travail des journalistes. Si tout le monde ne se bat pas contre ça, on n'y arrivera jamais. C'est un travail difficile, mais chacun doit le faire à son échelle."
"L'une des problématiques les plus importantes de nos jours"
Le contenu de la formation a été conçu par des experts en éducation aux médias et à l'information. Parmi eux, Enrique Anarte Lazo, journaliste indépendant basé à Berlin et très présent sur les réseaux sociaux. C'est l'Unesco qui l'a contacté pour participer aux modules : "La désinformation en ligne est l'une des problématiques les plus importantes de nos jours. Je suis très heureux que l'Unesco s'en saisisse."
"On ne pourra pas résoudre les grands problèmes de notre monde sans combattre la désinformation à laquelle nous sommes tous exposés."
Enrique Anarte Lazo, co-formateurà franceinfo
Lui, a débuté sur les réseaux sociaux pendant la pandémie de Covid-19, mais sans formation formelle. D'après lui, chacun est sensibilisé à la lutte contre la désinformation en ligne, mais "dans la vie de tous les jours, c'est difficile de savoir comment la mettre en œuvre concrètement et comment retisser un lien de confiance avec les internautes."
Avec sa coformatrice, Salla-Rosa Leinonen, journaliste pour la télévision publique finlandaise, ils ont veillé "à ce que le contenu soit pertinent, que tous les sujets nécessaires soient abordés et que ça permette d'apprendre les bases du fact-checking." Le plus important, assure Enrique, c'est que "la formation permet d'apprendre à partir d'exemples concrets et d'expériences partagées par des influenceurs à travers le monde, dont certains font ça depuis des années. Les modules couvrent à la fois les connaissances théoriques et les expériences personnelles de chacun."
"Conscientiser les créateurs de contenus"
Enrique est persuadé que l'avenir du journalisme se joue, notamment, sur les réseaux sociaux, d'où l'importance de dispenser des formations à ceux qui s'y expriment : "Pas uniquement aux influenceurs qui ont trois ou cinq millions d'abonnés, mais aussi aux macro-influenceurs qui ont un impact réel sur leur plus petite communauté."
Un constat partagé par Adeline Hulin, cheffe du service d'éducation aux médias et à l'information de l'Unesco qui a participé à la conception de cette formation : "L'idée, c'est de conscientiser les créateurs de contenus de leur place au sein de cet écosystème de l'information, une place dont ils n'ont pas toujours conscience."
"Pour que les créateurs de contenus soient plus transparents et plus responsables en ligne, il faut qu'ils soient formés."
Adeline Hulin, cheffe du service d'éducation aux médias de l'Unescoà franceinfo
Une sensibilisation d'autant plus essentielle alors que de nombreuses études démontrent les changements de consommation de l'information dans la population en général et surtout chez les jeunes : "Aujourd'hui, une majorité de la population s'informe sur les réseaux sociaux. Et sur les réseaux sociaux, les internautes ne considèrent pas forcément les médias traditionnels comme leur principal relais d'information. Ils font de plus en plus confiance aux créateurs de contenus." Cette confiance aveugle des abonnés se traduit souvent par une absence de fact-checking. "Pour vérifier la crédibilité d'une information, les internautes se fient souvent à la popularité d'un post, au nombre de likes ou encore au nombre de partages", regrette Adeline Hulin.
À terme, la volonté de l'Unesco est de poursuivre le travail engagé avec les bénéficiaires de cette formation pour créer une communauté de référents, poursuit Adeline Hulin : "À l'heure de la désinformation et des discours de haine, si les créateurs de contenus travaillent avec nous pour disséminer ces bonnes pratiques, expliquer à leur audience comment ils créent l'information, comment ils la vérifient, on n'aura pas gagné toute la bataille, mais, en tout cas, on évolue vers quelque chose de plus positif." La formation reste accessible au grand public et gratuite, sur le site du Knight Center for Journalism in the Americas.
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