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"J'ai voulu faire le malin" : qui sont les harceleurs condamnés pour avoir menacé sur internet la journaliste Nadia Daam ?

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La journaliste Nadia Daam, le 15 octobre 2012 à Paris. (GHNASSIA ANTHONY / SIPA)

Le procès de deux hommes, jugés pour avoir menacé la journaliste d'Europe 1 après une chronique sur un forum de Jeuxvideo.com, a permis de lever un voile sur la "violence sous pseudonyme".

Il le reconnaît lui-même. "Je fais moins le malin au tribunal", lâche Virak, un Parisien de 35 ans. "C'est sûr que c'est plus facile derrière un écran", cingle la présidente de la 30e chambre du tribunal correctionnel de Paris. A ses côtés, Mohamed, 21 ans, n'en mène pas large non plus. "Si j'avais su, je ne l'aurais pas fait", glisse-t-il. Les deux hommes étaient jugés, mardi 3 juillet à Paris, pour avoir harcelé la journaliste Nadia Daam, après une chronique de cette dernière sur Europe 1 dénonçant les agissements des internautes du forum Blabla 18-25 de Jeuxvideo.com. Sous le pseudonyme "403", le premier a posté "la milf brunette, je lui remplis sa petite bouche de mon foutre". Le second, qui se faisait appeler "TintinDealer", avait réalisé un photomontage où l'on voyait la journaliste se faire égorger par un terroriste du groupe État islamique.

Des faits caractéristiques, selon le procureur, de la "violence sous pseudonyme" qui sévit sur les réseaux sociaux. Des faits courants, mais peu réprimés par la justice, qui peine parfois à identifier les auteurs, nombreux, de ces insultes et menaces. "Personne n'imaginait qu'on pouvait comparaître pour ça. Cela arrivait peu", confiait à franceinfo Nadia Daam début juin. Le procès, qualifié de "revanche de la réalité" par l'avocat de la journaliste, Eric Morain, s'est conclu avec la condamnation des deux hommes à six mois de prison avec sursis. Il a également permis de mettre des visages derrière ces injures déversées sur internet et d'esquisser des motivations.

"Je n'ai pas de problème avec les féministes"

Mohamed, lunettes, chemise et baskets blanches sur un jean gris, est présenté par son avocat, Frédéric Nasrinfar, comme "une personne lambda que l'on pourrait croiser dans le métro". Le jeune homme vit chez ses parents, au Perreux-sur-Marne (Val-de-Marne), une commune cossue de la banlieue est. Salarié chez Orange, il est décrit par son conseil comme "quelqu'un qui passe du temps sur son ordinateur" et dont la vie sociale est "extrêmement réduite". L'avocat évoque des "amis virtuels", que son client n'a jamais rencontrés physiquement. Il insiste aussi sur ce service civique effectué auprès de personnes handicapées. "Cela peut paraître un peu drôle au vu de ce qui lui est reproché, mais voilà qui est mon client. Nous aurions aimé que soient présentées devant vous les personnes qui ont frappé à la porte de Nadia Daam, qui ont cherché son adresse", plaide l'avocat.

Pour faire bonne mesure dans un dossier teinté de misogynie – dans sa chronique, Nadia Daam avait pris la défense du numéro anti-relous, visé par un "raid" du forum 18-25 –, l'avocat interroge son client sur le féminisme. "Je n'ai pas de problème avec les féministes", assure Mohamed. Pourquoi a-t-il pris le temps de faire ce photomontage et de le poster sur Twitter ? "J'ai voulu faire le malin, en fait..." glisse "TintinDealer", avant de se justifier. "Je me suis senti insulté par sa chronique. Elle a pris à partie tout le forum pour avoir harcelé le numéro anti-relous. En fait, moi, j'ai jamais appelé sur ce numéro, ce sont juste quelques personnes." Bien que son message ait été posté plusieurs jours après les premières menaces, il assure qu'il ne savait pas que Nadia Daam était visée par une campagne de cyberharcèlement.

Finalement, elle avait raison avec sa chronique. Toutes ces menaces, c'est très grave.

Mohamed, un des prévenus

au tribunal correctionnel de Paris

Depuis l'affaire, "TintinDealer" a fermé son compte et assure n'avoir insulté personne.

"Je ne suis pas Guillaume Apollinaire"

Derrière son bouc et ses lunettes, Virak se présente comme "un internaute lambda du forum, qui poste de temps en temps des messages à caractère trollesque". Comme Mohamed, son casier judiciaire était vierge jusque-là. "J'étais en train de jouer, j'ai vu que ça rigolait autour de cette chronique, j'ai lâché ça, explique-t-il à la barre. Je regrette amèrement ce message. Ma vie a changé avec ce message posté en deux-trois secondes." Administrateur de base de données, il a été mis à pied par son employeur et attend son licenciement.

Pendant l'enquête, "403" avait assuré aux policiers qu'il était en train "d'infiltrer le forum", que son message se voulait "le plus cru possible pour attirer les racistes". Une thèse fantaisiste qu'il abandonne à la barre, invoquant l'excuse du "troll", ces internautes champions des provocations bêtes et méchantes. "Troll, ce n'est pas dans le Code pénal, ce n'est pas une excuse, monsieur", réplique Eric Morain, l'avocat de Nadia Daam. Jugé moins convaincant que son coprévenu par la juge et le procureur, Virak peine à expliquer son geste, évoque une "image". "Je n'ai eu aucune intention de menacer", martèle-t-il, avant de concéder : "J'avoue, je ne suis pas Guillaume Apollinaire…" " Personne n'est obligé d'être Guillaume Apollinaire s'il reste tranquille chez soi. Mais là, vous publiez, monsieur", répond la juge.

"Pas de barrière entre internet et la vraie vie"

Après ces interrogatoires, Nadia Daam prend le temps d'expliquer comment cette histoire a perturbé sa vie et celle de sa fille, entre cambriolages, jours d'école manqués, insultes et menaces. "Il n'y a pas de barrière étanche entre internet et la vraie vie", insiste-t-elle, en rappelant que le harcèlement continue aujourd'hui.

Ma fille google ses parents, comme tous les ados. Elle va grandir avec des photomontages de sa mère qui se fait violer ou égorger.

Nadia Daam

à la barre

En parlant, la journaliste se tourne vers les prévenus, debout à sa gauche. Virak soutient son regard, Mohamed préfère contempler ses baskets. Après les plaidoiries de leurs avocats, les deux hommes prennent une dernière fois la parole. Virak assure que le témoignage de la journaliste l'a "ému" et qu'il "regrette encore plus". Mohamed s'adresse à Nadia Daam. "Je voudrais lui demander pardon, dit-il d'une voix mal assurée. Je ne savais pas qu'elle était menacée. Je ne voudrais pas porter le poids de toutes ces péripéties. Je suis l'auteur d'un message, d'autres en ont envoyé de plus durs."

Les autres, justement, ont suivi le procès avec attention sur les réseaux sociaux. Et la comparution de leurs camarades n'a pas l'air de les avoir fait réfléchir sur leurs actes. Après les excuses de Mohamed, l'un d'eux a lâché : "TintinDealer s'est couché comme une merde." "Honteux, putain de justice de merde", s'est agacé un autre. Les deux prévenus ont écopé de six mois de prison avec sursis et 2 000 euros de dommages-intérêts. 

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