Jean Castex sur Twitch : "Il y a à la fois un enjeu d'image et un enjeu de cible", selon le rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire
L'espoir des politiques est notamment d'atteindre la "difficile cible" des 18-24 ans en passant par des médias "plus jeunes, plus cools". Une tentative à double revers car ils peuvent être soupçonnés de "gadgétisation du langage politique", avertit le journaliste.
Après Gabriel Attal sur Instagram et Marlène Schiappa sur TikTok, voici venir Jean Castex sur Twitch. Le Premier ministre répondra aux questions des internautes sur cette plateforme en ligne, via l'intermédiaire du journaliste Samuel Étienne. Cette démarche confirme l'engouement des personnalités politiques pour les nouveaux médias, à l'approche de l'élection présidentielle. Pour Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire, interrogé par franceinfo, "il y a à la fois un enjeu d'image et un enjeu de cible" dans ce choix.
franceinfo : Pourquoi les politiques investissent-ils ces nouveaux terrains ?
Arnaud Benedetti : Il s'agit vraisemblablement, à travers ces nouveaux dispositifs, pour les hommes politiques, de trouver des codes qui apparaissent plus spontanés, sans filtre. Il y a à la fois un enjeu d'image et un enjeu de cible. Un enjeu d'image, bien évidemment, pour moderniser le format de la communication politique et moderniser l'image de l'émetteur politique. Et puis, il y a vraisemblablement un enjeu de cible, notamment lorsque Gabriel Attal lui-même s'est prêté à l'exercice d'aller toucher des publics qui sont des publics plus jeunes, dont on considère qu'ils ne sont pas forcément politisés avec les mêmes codes que des publics un peu plus matures et à aller chercher ces publics qui s'informent à partir de ce type de plateforme. Et en espérant atteindre une cible qui est une cible toujours difficile à atteindre pour les hommes politiques, celle des jeunes, et notamment des 18-24 ans.
Est ce que ça peut marcher selon vous?
C'est quand même une constante de l'histoire de la communication politique, depuis que la communication politique existe dans son acception professionnelle, c'est-à-dire depuis le début XXe siècle, d'aller chercher tous les formats qui sont des formats novateurs. Les premiers professionnels de la communication politique au début du XXe siècle, aimaient, par exemple, associer l'image des présidents des États-Unis avec des vedettes du showbiz. C'était un moyen aussi de renouveler les codes de la communication politique. Le problème avec ce type d'initiative, c'est que ce que vous gagnez en proximité, vous le perdez en sacralité. La question de l'autorité en politique est une question essentielle parce que la politique, c'est une activité tout à fait spécifique qui nécessite, pour être aussi entendue, d'avoir une forme d'autorité qui est reconnue.
"Là, en l'occurrence, avec des modèles qui sont beaucoup plus décontractés, qui sont beaucoup plus jeunes, qui sont beaucoup plus "cool", on gagne en zone de chalandise, sur le plan des publics, mais on perd aussi en sacralité et en autorité."
Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaireà franceinfo
Il y a le risque toujours latent qui existe dans ce type de procédé d'être soupçonné d'une forme de gadgétisation du langage politique.
Emmanuel Macron a lancé un défi à deux YouTubeurs, McFly et Carlito. Là aussi, pour vous on est dans cette désacralisation ?
On est vraisemblablement dans cette désacralisation. Mais aussi, il faut bien entendre que le recours à ce type de communication s'inscrit dans un contexte particulier. Compte tenu de la crise sanitaire, l'attention aux formats de communication politique classiques qui sont par exemple l'interview politique, la prestation télévisée, touchent moins leur cible, et touchent moins le public. Donc il s'agit d'aller chercher des formats qui sont un peu nouveaux pour justement atteindre ces objectifs.
Vous imaginez Emmanuel Macron aller sur Twitch ?
À partir du moment où son Premier ministre se rend sur Twitch, à partir du moment où lui-même essaye de communiquer via des influenceurs qui sont très populaires, parmi les jeunes, rien ne l'empêche de se mettre dans les pas de son Premier ministre ou de son prédécesseur François Hollande, qui a lui aussi inauguré ce format il y a quelques jours.
Jean Castex sera interviewé par Samuel Étienne. Mais parfois,les politiques sont seuls. C'est aussi parler directement aux internautes sans journalistes ?
Ça pose un autre problème, c'est qu'en fait, on réactive le mythe de la démocratie directe. C'est-à-dire d'avoir un dialogue qui, finalement, s'affranchit des filtres traditionnels de la communication politique. Il faut bien comprendre que la communication politique s'est construite historiquement, toujours par des intermédiaires. Aujourd'hui, la nouveauté, notamment avec Internet et la révolution numérique, c'est que l'on est dans un contexte où l'on peu désintermédier, c'est-à-dire, en d'autres termes, s'affranchir du relais que constitue le journaliste et notamment le journaliste politique. Mais ça crée aussi une suspicion, une défiance. Ça veut dire que le journaliste politique est considéré comme plus critique. Mais on le met à distance.
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