Cet article date de plus de six ans.

#MercuryRetrograde, sorcellerie féministe et "quête de sens" : les signes qui montrent que l'astrologie s'offre un philtre de jeunesse

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 10min
Parmi les 20-35 ans qui se passionnent pour l'astrologie, beaucoup ont été bercés par des séries, films et livres pleins de références à la magie et aux planètes : "Buffy contre les vampires", Harry Potter", Sabrina l'apprentie sorcière", "Charmed", "Sailor Moon" ou "Les Chevaliers du zodiaque". (VINCENT WINTER / FRANCEINFO)

Alors qu'elle semblait cantonnée aux horoscopes de la presse féminine, l'astrologie s'offre une cure de jouvence, portée par une génération connectée et politisée.

"Beyoncé a mis fin à la rétrograde de Mercure." Si vous ne connaissez rien à l'astrologie, cette plaisanterie, publiée après un concert au festival de Coachella (Californie, Etats-Unis), dimanche 15 avril, n'a aucun sens. Mais si vous pratiquez le réseau social Twitter, vous avez peut-être compris quand même. Car l'intérêt pour l'influence des planètes, en l'occurrence Mercure, et les signes du zodiaque s'y est niché et épanoui, en particulier auprès d'un public jeune, connecté et politisé. 

D'abord, revenons à cette "rétrograde de Mercure". Par un effet d'optique, la planète la plus proche du Soleil, semble, plusieurs fois dans l'année, reculer sur son orbite pendant environ trois semaines. Ce mouvement bien connu des observateurs du ciel arrive avec toutes les planètes. Mais quand Mercure, qui symbolise en astrologie la communication, la coordination et le mouvement, enclenche la marche arrière, elle perturbe tout sur son passage. Un rendez-vous manqué ? La faute de Mercure. Un téléphone portable tombé dans les toilettes ? C'est aussi Mercure. Sur Twitter, la "rétrograde de Mercure" a même son hashtag, #MercuryRetrograde, devenu la meilleure excuse pour tous les petits ratés de la vie.

Une "quête de sens" en "des temps incertains"

Sont-ils nombreux à y croire sincèrement ? Il n'existe pas d'étude récente pour mesurer cet engouement pour l'astrologie. Au début de son livre Prédire : L'Astrologie en France au XXIe siècle, publié en 2013, le sociologue Arnaud Esquerre explique que cette discipline, qui a connu "un reflux à partir des années 2000", après le "foisonnement des années 1990", n'a pourtant jamais disparu, en France et en Occident. Mais il est difficile de savoir combien de personnes en France prêtent aujourd'hui attention à leur horoscope, s'intéressent au tarot ou connaissent leur ascendant. Et combien, sur Twitter, croient vraiment que Mercure les a empêchés d'attraper leur bus.

L'astrologie a, en tout cas, trouvé sa place en ligne. Sur internet, les sites féminins anglophones Bustle, The Cut, ou Girlboss, s'ils se démarquent des classiques Cosmopolitan ou Elle par leur image plus contemporaine et plus jeune, proposent tous des horoscopes détaillés. Et l'astrologie commence à compter quelques célèbres gourous sur le web, comme la New-Yorkaise Susan Miller, qui se targue d'attirer plus de six millions de visiteurs par mois sur son site Astrology Zone, grâce à des thèmes astraux extrêmement détaillés. 

Dans le Guardian (en anglais), Zing Tsjeng, rédactrice en chef de la version britannique de Broadly, explique ce succès par l'air du temps. "Les gens se tournent vers le mysticisme, la spiritualité et les sciences occultes en des temps incertains, avance-t-elle. Les jeunes, en particulier, vivent une époque incertaine (...) et veulent questionner l'ordre établi, casser les normes et chercher des réponses ailleurs." L'auteure Taous Merakchi, connue sous le pseudonyme Jack Parker, confirme ce constat. A franceinfo, cette trentenaire explique appartenir "à une génération qui a une vision globale du monde et qui peut vite se sentir impuissante". S'intéresser aux sciences occultes ou pseudo-sciences, dont l'astrologie, "c'est une façon de reprendre le contrôle sur certains aspects de sa vie". Une "quête de sens" pour mieux "se situer dans l'histoire et l'univers", analyse Banu Guler, cofondatrice de l'application d'astrologie Co-Star, pour le site MarketWatch (en anglais)

Si les personnages de "Harry Potter" étaient des signes du zodiaque

L'astrologie est aussi parfaitement adaptée aux petites habitudes des réseaux sociaux et au sens de l'humour qui s'y est développé : la dérision. "L'astrologie est un mème", résume The Atlantic (en anglais), un objet détournable et facile à partager. La plateforme Tumblr regorge de pages qui attribuent des signes astrologiques à absolument tout, des personnages de la série Stranger Things ou de la saga Harry Potter, aux races de chats. Le compte Twitter @poetastrologers publie aussi bien des horoscopes que des gifs moquant les caractéristiques des Scorpion ou des Bélier. Celui-ci, par exemple, s'amuse du besoin de démonstration qu'auraient les Taureau en amour. "Quand un Taureau dit 'je t'aime'", légendent les auteurs. 

L'astrologie fournit "un cadre facile à des contenus personnalisables à l'infini et touche à la nostalgie des années 1990", souligne le New York Times (en anglais).. Le site Buzzfeed, qui s'adresse souvent à la génération qui a justement grandi pendant cette décennie, multiplie d'ailleurs les références au zodiaque : "les 12 signes du zodiaque classés du meilleur au pire" "15 idées de tatouages à garder en tête si vous êtes fan d'astrologie" "quel roi de France correspond à votre signe astrologique ?" ; "on connaît votre signe astrologique d'après vos opinions sur Harry Potter"

"J'ai grandi avec 'Sailor Moon'"

Sans oublier que, parmi les 20-35 ans, beaucoup ont été bercés par des séries animées comme Les Chevaliers du zodiaquepuis accompagnés dans l'adolescence par les séries Sabrina, Charmed ou Buffy contre les vampires. "Moi, j'attendais de me réveiller à 16 ans avec des pouvoirs magiques", se souvient Taous Merakchi, 30 ans. "C'est un peu une blague, mais moi, j'ai grandi avec Sailor Moon", raconte aussi à franceinfo Lily Hook, artiste-plasticienne, qui pratique et étudie l'astrologie. Dans cet anime japonais, une jeune justicière, placée sous la protection de la Lune, combat le mal. "Très vite, les questions de magie, de mythologie m'ont intéressée", poursuit-elle. Plus tard, d'autres ont grandi en même temps que Harry Potter, le jeune sorcier de J.K. Rowling, qui apprenait à lancer des sorts et fabriquer des potions. 

Taous et Lily ont toutes les deux délaissé ces passions à la fin de l'adolescence, avant d'y revenir à l'âge adulte, "depuis quelques années". "J'ai réalisé que c'était de plus en plus courant et accepté autour de moi", raconte Taous Merakchi à franceinfo. Ce ne sont pas les grandes prédictions d'astrologues stars à la façon d'Elizabeth Teissier qui intéressent ces jeunes adeptes. "C'est un peu présomptueux de penser que ton pendule ou ton tirage de cartes va te révéler l'avenir du pays", juge-t-elle, lorsqu'on l'interroge sur ce point.

Quand je fais le pitre pour me faire remarquer et qu'un pote me dit "ah, tu es bien Lion toi", c'est quand même plus cool que d'être qualifiée de narcissique, non ?

Taous Merakchi

à franceinfo

En revanche, Taous connaît son thème astral, la représentation du ciel et de la position des planètes (centrée sur la Terre) quand elle est née. Sa mère l'avait réalisé dès sa naissance. "Je l'ai refait depuis, et je le relis quand je suis dans une période de transition, explique-t-elle. Je n'y vois rien d'obligatoire ou d'absolu, j'y trouve juste des axes qui sont impressionnants de réalisme", assure-t-elle, avant de reconnaître que, "d'autres auraient peut-être une explication plus rationnelle". Comme elle, Lily Hook, 27 ans, trouve dans l'astrologie "une meilleure compréhension, une indulgence", vis-à-vis de soi et des autres. Mais il ne s'agit pas de blâmer Mercure à chaque bêtise. a n'enlève aucune responsabilité de ses actes, estime-t-elle. Pas plus que l'éducation ou l'environnement"

"Reprendre le pouvoir"

L'une comme l'autre ont surtout une approche politique de l'astrologie, et plus globalement de la sorcellerie, dans laquelle elle s'inscrit. Car les femmes qui observaient le ciel et tiraient les cartes étaient les mêmes qui préparaient des onguents à base de plantes. "La sorcellerie, aujourd'hui, est directement liée au féminisme", explique Taous Merakchi, qui rédige en ce moment un grimoire de sorcellerie moderne. D'ailleurs, le Witch Bloc, un groupe féministe anarchiste, s'est fait remarquer, dans les défilés contre la réforme du Code du travail, en septembre 2017, avec des pancartes pleines comme "Macron au chaudron". 

"Dans l'histoire, la sorcière, c'est une femme savante, indépendante, qui fait peur aux hommes, surtout si elle peut soigner, car soigner, c'est avoir le droit de vie ou de mort", explique Taous Merakchi. Se réapproprier "l'image de la sorcière, débarrassée de son nez crochu, qui ajoute l'antisémitisme au sexisme, c'est lui redonner ses lettres de noblesse et reprendre le pouvoir". C'est aussi une manière de "prendre soin de soi, de ne pas se laisser écraser par les normes", ajoute Lily Hook.

L'artiste, qui se décrit comme "genderqueer" ("non-binaire", elle ne s'identifie pas aux catégories "femme" et "homme"), estime que l'astrologie lui permet de "créer son propre système", dans un monde qui peine à accorder une place aux personnes queer. L'astrologie "même si elle est millénaire, a été brassée, réécrite et étudiée par des personnes forcément marquées par leur époque", explique Lily, qui étudie les livres anciens, pour perfectionner ses connaissances. Cette Virgo witch, ou "sorcière Vierge" comme elle se présente sur Twitter, s'applique donc à "dégenrer l'astrologie" telle qu'on la connaît. "Imaginez qu'un signe ait pour caractéristique d'être 'ambitieux' quand on parle d'un homme et 'autoritaire' quand on parle d'une femme, explique l'artiste à franceinfo, je vais chercher à remplacer ces mots par des termes ni négatifs ni genrés." Une façon, comme de nombreuses witches actives sur internet, de concilier astrologie et politique, sans pour autant essayer de prédire qui sera le prochain président. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.