Twitter : à quoi joue Elon Musk avec sa limite quotidienne de messages ?
Surprise. Elon Musk a annoncé que Twitter allait restreindre le nombre de tweets pouvant être vus quotidiennement, avec une limite de 10 000 messages par jour pour les comptes vérifiés, 1 000 pour les utilisateurs non vérifiés et 500 pour les nouveaux comptes non vérifiés. Concrètement, cela signifie que les utilisateurs seront notifiés que leur "limite de débit" est atteinte une fois le seuil atteint, et qu'ils ne pourront plus consulter de nouveaux messages jusqu'au lendemain. Le nouveau propriétaire du réseau social n'a pas précisé combien de temps serait appliquée cette mesure. La veille, il avait déjà annoncé qu'il ne serait plus possible de lire des messages sur le réseau sans se connecter et donner ses identifiants.
Elon Musk affirme vouloir contenir l'utilisation massive de données par des tiers, notamment ceux qui développent des modèles d'intelligence artificielle. Il avait déjà dénoncé le fait que "plusieurs centaines d'organisations (peut-être plus) grattaient les données de Twitter de manière extrêmement agressive", avec des conséquences pour les utilisateurs. Les sociétés spécialisées dans l'IA, en effet, ont besoin d'entraîner leurs modèles avec de très grandes quantités de conversations – disponibles par exemple sur Twitter, Reddit ou Wikipedia. L'oiseau bleu, argue Elon Musk, est donc contraint de déployer des serveurs supplémentaires pour soutenir le trafic induit par ces sociétés. Ce qui revient à leur faire un cadeau, alors qu'elles connaissent déjà une "valorisation indécente", selon lui.
Des données précieuses pour les IA
En avril dernier, Twitter avait déjà restreint l'accès à son "application programming interface" (API), l'interface qui permet aux développeurs extérieurs de concevoir des outils, note le site américain The Verge. L'homme d'affaires avait alors annoncé des prix faramineux en échange de l'utilisation des données. Le mois suivant, le directeur général de Reddit, Steve Huffman, avait également décidé de restreindre l'API de sa plateforme et de relever les prix. "Notre corpus de données est vraiment précieux", expliquait-il en avril dans le New York Times, réclamant une rémunération pour l'accès aux conversations hébergées sur la plateforme. "Nous n'avons aucun intérêt à les donner gratuitement à certaines des plus grandes entreprises du monde."
Ces plateformes donnaient jusqu'ici accès gratuitement ou à des prix modérés aux données publiques de leur site, pour favoriser le développement d'un écosystème. "Mais il existe aujourd'hui un nouvel eldorado financier – qui sera sans doute économique demain – autour de l'intelligence artificielle", explique l'économiste Julien Pillot, enseignant-chercheur à l'Inseec Grande Ecole, contacté par franceinfo. "Ces entreprises, qui captent énormément de capitaux, ne peuvent pas fonctionner sans des milliards de métadonnées pour apprendre le langage naturel à leurs modèles", poursuit-il. Pour Elon Musk, il est "anormal qu'elles puissent se nourrir de l'information créée sur une plateforme ouverte qui participe au bien commun".
"En réalité, Elon Musk a envie de récupérer une part du gâteau [du secteur de l'IA]. C'est une histoire de gros sous enrobée dans une dimension éthique."
Julien Pillot, économisteà franceinfo
En décembre, Elon Musk s'était notamment élevé contre la start-up OpenAI, à l'origine du fameux ChatGPT. Celle-ci disposait jusqu'ici d'un accès aux données des conversations sur Twitter, afin d'entraîner et d'améliorer son robot conversationnel, et versait pour cela 2 millions de dollars pas an, selon les informations du New York Times. Le milliardaire avait jugé cette somme insuffisante, et coupé l'accès aux données. En mars, il avait cosigné une lettre réclamant une pause dans le développement des intelligences artificielles. Ce qui ne l'a pas empêché, le même mois, de déposer les statuts d'une nouvelle société, X. AI, basée dans le Nevada. Inutile, à ses yeux, de favoriser des acteurs déjà bien installés, comme OpenAI et DeepMind.
Un changement de stratégie trop rapide ?
Les usagers traditionnels de Twitter, eux, font la grimace, estimant que la limite de messages crée un double standard inédit sur la plateforme entre les abonnés payants et les autres. Cela fait déjà plusieurs mois qu'Elon Musk tente de monétiser davantage sa plateforme, en misant notamment sur la souscription à "Twitter Blue", facturée 8 dollars par mois, qui ne rencontre pas le succès escompté. Ces discussions interviennent dans "une modification stratégique générale de Twitter en matière de monétisation", explique Julien Pillot.
"Quand Elon Musk a pris le contrôle de Twitter, il a considéré que la plateforme était trop dépendante de la publicité et a donc réfléchi à la monétiser autrement."
Julien Pillot, économisteà franceinfo
"L'exemple de Twitter est un cas d'école sur la vision stratégique et la manière dont on gère cette transition. Elon Musk est sans doute allé trop vite en besogne, estime l'enseignant-chercheur. Il se rend probablement compte qu'il ne peut pas se couper des revenus publicitaires à court terme, car il a besoin de ressources financières pour mener cette transition." La mission de relancer les relations avec les annonceurs, qui avaient réduit leurs dépenses publicitaires, a été confiée à la nouvelle PDG Linda Yaccarino, ex-directrice de la régie de la chaîne NBC. Mais elle aura fort à faire pour séduire des clients, avec la limite de messages imposée par Elon Musk.
"Twitter, dans cinq ou dix ans, pourrait ne plus ressembler, ou très peu, au Twitter qu'on a connu."
Julien Pillot, économisteà franceinfo
Et l'enseignant-chercheur de continuer : "Peut-être Elon Musk aura-t-il réussi à mener certaines opérations de diversification – pourquoi pas des services d'agence interbancaire ou de géolocalisation, sur le modèle du WeChat chinois."
En attendant, Elon Musk continue de traquer les économies potentielles. A son arrivée à la tête du réseau social, Il avait annoncé de spectaculaires licenciements de masse – environ 80% du personnel, selon The Verge – au risque de fragiliser techniquement la plateforme. Plus récemment, selon le blog Platformer, Twitter a également refusé de payer ses factures au service Google Cloud, qui héberge une partie de ses données en complément des serveurs de Twitter. Le contrat devait être justement renouvelé le 1er juillet, et certains observateurs ont établi un lien avec les dysfonctionnements observés sur la plateforme à partir de cette date. En tout cas, le crédit de la plateforme semble de plus en plus entamé au fil des mois.
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