La 5G dangereuse, inutile, ou encore polluante ? On a examiné à la loupe les arguments des élus de gauche
Absence d'étude d'impact environnemental, effet rebond sur la consommation énergétique... Les critiques faites à la téléphonie mobile de cinquième génération par près de 70 personnalités de gauche dans une tribune s'avèrent plutôt justes.
Il y a comme de la friture sur la ligne. Près de 70 élus, parmi lesquels des nouveaux maires écologistes de grandes villes (Marseille, Bordeaux ou Lyon), ont demandé à Emmanuel Macron et au gouvernement un moratoire sur le déploiement de la 5G. Leur requête, formulée dans Le Journal du dimanche, le 13 septembre, a été balayée d'un revers de la main par Emmanuel Macron dès le lendemain. Le président a assuré que "la France [allait] prendre le tournant de la 5G", ironisant au passage sur ceux qui préféreraient "le modèle amish" et le "retour à la lampe à huile".
Pour appuyer leur revendication, qui reprend l'une des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, les signataires de la tribune avancent pourtant une série d'arguments contre la téléphonie mobile de cinquième génération. Franceinfo les a passés en revue, afin de voir s'ils disent vrai ou "fake", alors que les enchères pour l'attribution des premières fréquences doivent se tenir fin septembre, avec en ligne de mire des offres commerciales d'ici à la fin de l'année.
"Cette décision intervient sans étude d'impact climatique et environnemental" : vrai
Des sénateurs ont conduit une mission d'information sur l'empreinte environnementale du numérique. Au cours de leurs travaux, ils ont entendu début février le président du conseil d'administration de l'Agence de la transition écologique (Ademe), Arnaud Leroy. Celui-ci a réclamé "une étude d'impact environnemental sérieuse sur le déploiement de la 5G". Dans son rapport, rendu fin juin, la mission du Sénat écrit qu'elle "regrette" cette lacune. Elle demande une évaluation "complète", sur l'ensemble de la chaîne technologique (de la fabrication à l'utilisation, des antennes aux smartphones).
S'appuyant sur le Code de l'environnement, le président du Sénat en a fait la demande début mars par courrier au Haut Conseil pour le climat. De son côté, le gouvernement vient, mi-septembre, de confier une mission conjointe à l'Ademe et à l'Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques des postes et de la distribution de la presse).
Réaliser une telle étude risque toutefois de ne pas être chose aisée. "Il faut disposer de données qui viennent des constructeurs d'équipements et ces données ont été très longues à obtenir. Elles sont arrivées il y a un peu moins d'un an en ce qui concerne la consommation énergétique", relève Hugues Ferreboeuf, directeur de projet au Shift Project, un groupe de réflexion sur la transition énergétique. Frédéric Bordage, fondateur de GreenIT.fr, qui milite pour un numérique plus responsable, voit lui un obstacle plus grand encore : "Aucun pays n'a déployé totalement la 5G avec un parc de terminaux, des contenus disponibles et des usagers qui l'utilisent concrètement."
La 5G est "une nouveauté technologique dont l'utilité reste à démontrer" : à nuancer
Signataire de la tribune, le maire écologiste de Grenoble, Eric Piolle, avait fait de son propre aveu "un petit raccourci légèrement provocateur", en affirmant au "Grand Jury" sur LCI début juillet que "grosso modo, la 5G, c'est pour nous permettre de regarder des films pornos, même quand vous êtes dans votre ascenseur, en HD". Cette vision est toutefois réductrice.
La promesse technologique de la 5G est celle d'une téléphonie mobile avec "un meilleur débit" et "plus de capacité", permettant d'échanger "une quantité beaucoup plus importante de données", résume l'Arcep. "L'industrie va s'appuyer sur ces très hauts débits pour proposer de nouveaux usages, de nouvelles expériences", assure Frédéric Bordage.
"Les utilisateurs vont pouvoir regarder une vidéo en très haute définition en déplacement, en se servant de leur smartphone comme d'une box", illustre l'expert. "On pourra évoluer vers des jeux vidéo en très haute définition, en réalité virtuelle et en streaming", ajoute Hugues Ferreboeuf.
Nicolas Guérin, président de la Fédération française des télécoms et secrétaire général du groupe Orange, imagine des villes intelligentes.
Avec la 5G, vous pourrez avoir des réseaux d'éclairage public qui vont s'allumer s'il y a des besoins, s'il y a des voitures ou des gens qui passent.
Nicolas Guérin, président de la Fédération française des télécomsà franceinfo
"Vous pouvez rendre vos poubelles intelligentes. Vous pouvez constater leur taux de remplissage et mieux organiser vos tournées de ramassage", indique encore Nicolas Guérin.
L'Arcep liste d'autres applications possibles : l'agriculture connectée, les robots industriels, les navettes autonomes, la gestion du trafic automobile, la télémédecine...
"Son déploiement en France aboutira à un 'effet rebond' (...) synonyme d'une très forte consommation d'énergie" : vrai
C'est l'une des inquiétudes des élus qui ont signé cette tribune : la 5G "est conçue pour permettre des débits dix fois supérieurs à la 4G sur les smartphones". De quoi entrainer une forte consommaton d'énergie. "Les antennes 5G consomment trois fois plus d'électricité que les antennes 4G, mais produisent 15 fois plus de débit, donc à débit constant elles sont 5 fois plus efficaces énergétiquement aujourd'hui et, d'ici cinq ans, dix fois plus efficaces énergétiquement", oppose Nicolas Guérin.
Mais ce calcul de l'efficacité énergétique à usage constant est biaisé. Olivier Roussat, le président-directeur général de Bouygues Telecom, l'a lui-même exposé, lors de son audition devant le Sénat début juin. "La 5G permet, lorsque l'on transporte des données, de le faire avec moins d'énergie. En revanche, elle augmente considérablement les débits et permet donc un usage beaucoup plus important, donc de transporter davantage de données, ce qui est beaucoup plus consommateur. Il est donc erroné d'affirmer que la 5G permettra des efforts en matière d'énergie. Après la première année de déploiement, la consommation énergétique de tous les opérateurs affichera une augmentation importante."
Cet effet rebond se produira, c'est tout à fait certain. Il est complètement consubstantiel au fonctionnement de l'écosystème numérique depuis 15 ans.
Hugues Ferrebœuf, directeur de projet au Shift Projectà franceinfo
"Au lieu de regarder des vidéos en SD ou en HD sur son smartphone, on va les regarder en 4K ou en 8K, illustre Hugues Ferrebœuf. Et à chaque fois qu'on change de standard de qualité, on multiplie par trois le volume de données qu'on utilise." L'expert en veut pour preuve le cas sud-coréen, où le déploiement de la 5G est déjà bien avancé. "En Corée du Sud, un opérateur a constaté que ses clients 4G, en passant à la 5G, multipliaient par trois le volume de données qu'ils consommaient sur le réseau en quelques semaines."
La 5G va entraîner "un renouvellement d'une large part du matériel, augmentant encore l'empreinte écologique" : vrai
"Le déploiement de la 5G va exponentiellement accélérer l'exploitation de ressources naturelles non renouvelables, la pollution due à l'extraction des métaux rares, et la génération de quantité de déchet pas ou peu recyclable", craignent les signataires de la tribune. En cause notamment : la conception d’appareils adaptés à la nouvelle technologie.
Tout comme il a fallu acheter un portable compatible pour bénéficier de la 4G, il faudra faire l'acquisition d'un smartphone équipé d'une puce 5G pour se connecter au nouveau réseau.
Quand on accélère l'obsolescence des smartphones 3G ou 4G en déployant la 5G, on augmente significativement ses impacts environnementaux.
Hugues Ferrebœufà franceinfo
A l'heure actuelle, la fabrication des smartphones, tablettes et autres objets connectés représente 47% de la pollution générée par le numérique, loin devant le réseau (28%) et les centres de données (25%), évalue l'Ademe dans une analyse de novembre 2019. Pour produire un appareil électronique, il faut entre 50 et 350 fois son poids en matières premières, soit 800 kilos pour un ordinateur portable. Un smartphone contient 70 matériaux différents, dont quelque 50 métaux, qu'il faut extraire au prix d'une forte pollution, chiffre l'Ademe dans une autre étude. Le numérique est responsable d'environ 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre à la surface du globe. Cette empreinte carbone pourrait même doubler d'ici à 2025, compte tenu de l'augmentation des usages.
Trois Français sur quatre ayant actuellement un smartphone, selon l'Ademe, même si tous ne passent pas à la 5G dans l'immédiat, "des dizaines de millions" d'appareils seront malgré tout mis au rebut, estime Frédéric Bordage. Bien que le président de la Fédération française des télécoms mette l'accent sur les efforts des acteurs du secteur en matière de recyclage, l'Ademe évalue à 15% seulement le nombre d'appareils collectés. En outre, la complexité des alliages rend leur réutilisation compliquée. En faisant naître de nouveaux usages, la 5G va accélérer ce phénomène, redoute Frédéric Bordage. "Cet effet rebond est certainement la source d'impacts environnementaux dont on doit avoir le plus peur."
Cependant, pour Numerama, il n'est pas dit que la 5G précipite ce renouvellement du parc. Les Français changent déjà de téléphone tous les deux ans en moyenne et 88% le font alors que leur appareil fonctionne encore, pointe l'Ademe. Leur prochain changement de smartphone pourrait donc tout simplement coïncider avec l'arrivée des offres 5G. Les sites spécialisés invitent d'ailleurs les consommateurs à ne pas se précipiter sur les nouveaux smartphones 5G, tant que le réseau n'est pas pleinement déployé.
La 5G "aboutira à une hausse du niveau d'exposition de la population aux ondes" : vrai
"Il y aura forcément une exposition plus importante, puisqu'on va exploiter des bandes de fréquences supplémentaires", commente Hugues Ferrebœuf. Deux nouvelles bandes vont en effet être ouvertes pour la 5G : celle des 3,5 GHz dans un premier temps, puis celle de 26 GHz. Reste à savoir quelles seront les conséquences pour la santé.
Une évaluation spécifique sur les effets en la matière a été demandée à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), qui a rendu un rapport préliminaire (PDF) en octobre 2019. L'Anses y constate "un manque important voire une absence de données relatives aux effets biologiques et sanitaires potentiels" d'une exposition aux fréquences 5G. L'expertise finale, attendue au premier semestre 2021, après le lancement des offres commerciales, doit indiquer si les connaissances actuelles peuvent être extrapolées à cette nouvelle technologie.
En attendant, le gouvernement a confié en juillet à quatre administrations une mission portant notamment sur cet enjeu de santé publique. Celles-ci ont passé en revue les dizaines de milliers d'études parues dans le monde sur les radiofréquences et les milliers menées sur la téléphonie mobile.
Elles ont rendu leur rapport en septembre, précisant qu'"il n’existe pas, selon le consensus des agences sanitaires nationales et internationales, d’effets néfastes avérés à court terme" des ondes sur la santé, lorsque les valeurs limites d'exposition recommandées ne sont pas dépassées. Les effets à long terme sont "difficiles à mettre en évidence" et "à ce stade, pour l'essentiel, non avérés". Ils font toujours l'objet de débats au sein de la communauté scientifique.
"La réglementation actuelle est basée sur les phénomènes d'échauffement et elle nous protège des effets thermiques", assure Yves Le Dréan, membre de l'Institut de recherche en santé, environnement et travail à Rennes. "Même si vous avez un appareil qui émet au maximum de la norme, on va mesurer un échauffement de quelques dixièmes de degrés au niveau de la peau. Mais on est très loin d'un effet thermique. L'énergie de ces ondes ne sera pas suffisante pour provoquer des dommages cellulaires", souligne l'expert.
"L'arrivée de la 5G risque surtout d'aggraver les fractures numériques existantes" : à nuancer
Les habitants des grandes villes seront les premiers à bénéficier de la 5G et ceux des campagnes risquent d'attendre longtemps. Les acteurs du secteur n'en font pas mystère. "Les opérateurs ont tout intérêt à l'installer dans les zones urbaines", a reconnu le PDG de Bouygues Telecom devant les sénateurs. "Les opérateurs télécoms lancent en général leurs services dans les zones où la clientèle est la plus importante, en pratique les zones les plus habitées", explique l'Arcep. C'est là où ils ont déjà bâti un réseau dense d'antennes 4G, sur lesquelles ils pourront ajouter des émetteurs 5G.
Pour éviter que la 5G n'augmente la fracture numérique, il faut compléter la couverture 4G afin que 99% du territoire y ait accès dans des conditions d'efficacité satisfaisantes. Il est aussi nécessaire que la couverture assurée par la 5G soit la même qu'en 4G.
Hugues Ferrebœufà franceinfo
En échange de l'attribution des nouvelles fréquences, le gouvernement a fixé des obligations aux opérateurs en matière de couverture. Au moins 25% des sites 5G devront se situer en zone industrielle ou rurale. La 4G doit également être renforcée sur tout le territoire, rappelle l'Arcep. Dans le cadre de ce "new deal mobile", les zones rurales sont prioritaires pour la construction des nouveaux relais. Les opérateurs devront aussi offrir la 4G+, c'est-à-dire un débit quatre fois plus élevé que le débit obligatoire actuel de la 4G. "Les zones blanches vont être résorbées quoi qu'il se passe sur la 5G", promet le patron de la Fédération française des télécoms.
"Le déploiement massif d'objets connectés allant de pair avec la 5G participe de l'accaparement de données personnelles" : possible
La 5G et surtout la multiplication annoncée des objets connectés pourront entraîner plus de transmissions de données sur internet, expose l'Arcep. Le risque est donc accru de voir des informations personnelles être captées par les entreprises du secteur, mais aussi par les pirates informatiques.
Ce risque est d'autant plus réel qu'il est à la base du modèle économique des acteurs dominants du secteur du numérique.
Hugues Ferrebœufà franceinfo
Les enceintes connectées et les assistants vocaux ont déjà fait parler d'eux non seulement parce qu'ils enregistraient leurs propriétaires à leur insu, mais aussi parce que Google, Amazon ou Apple avaient recours à des oreilles humaines pour écouter les fichiers audio de leurs propriétaires, comme l'a révélé Bloomberg fin 2019.
Ces objets peuvent aussi être vulnérables. En août, Amazon a ainsi corrigé une importante faille de sécurité de son assistant vocal Alexa. Celle-ci permettait d'accéder aux informations personnelles de ses utilisateurs (adresses, numéros de téléphone, historique des données bancaires).
Il existe toutefois un garde-fou. Le Règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD) européen est censé encadrer la manière dont les géants du numérique gèrent les informations dont ils disposent sur leurs utilisateurs.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.