"Intervenir militairement en Syrie serait un calcul fou"
SYRIE - Ancien président de Médecins sans frontières et professeur associé à Sciences Po Paris, Rony Brauman estime qu'une intervention ne ferait qu'aggraver la situation.
Alors que les condamnations pleuvent après le massacre survenu mercredi 6 juin à Hama, la question d'une intervention militaire en Syrie se fait toujours plus pressante. François Hollande avait déclaré ne "pas exclure" une telle option, mais tous ne partagent pas son avis. Ancien président de Médecins sans frontières et ancien professeur associé à Sciences Po Paris, Rony Brauman estime ainsi qu'une telle action ne ferait qu'aggraver la situation.
FTVi : Pourquoi êtes vous opposé à une intervention militaire en Syrie ?
Rony Brauman : D'abord pour la même raison que celle qui m'avait poussé à être contre l'intervention en Libye : j'ai peu de foi dans les capacités des forces militaires à stabiliser une situation politique, et à créer une situation favorable à un processus de démocratisation.
Les autres raisons sont liées aux particularités de la situation syrienne. Intervenir militairement serait très délicat : l'armée du régime est forte, et l'environnement politique est extrêmement volatil et tendu. Des pays comme l'Iran, l'Irak et le Liban pourraient potentiellement devenir des lieux d'extension de ce conflit, compte tenu des alliances qui existent entre les forces de ces trois pays et le régime de Bachar Al-Assad.
La véritable question est de savoir si l'option militaire améliorerait la situation sur le terrain, or je constate qu'en Libye il y a eu 30 000 morts alors même qu'il y avait intervention, et cela n'a suscité aucun commentaire. Payer un tel prix au nom de la protection de la vie humaine constitue un calcul fou.
Comment faire alors pour résoudre cette crise sans faire usage de la force ?
Une chose est sûre : il ne faut en aucun cas relâcher l'effort diplomatique et politique si l'on veut sortir de l'impasse, car la sortie de cette crise passe par le départ de Bachar Al-Assad. Il faut également continuer à prendre des sanctions économiques ciblées contre le régime. Je suis en revanche opposé aux sanctions qui toucheraient tout un pays, pour une raison pratique : quand c'est le cas, c'est le pouvoir en place qui en tire profit et la population qui en paie le prix.
Sur le plan politique, il me semble également nécessaire de continuer à travailler auprès d'un des soutiens de Damas, à savoir Vladimir Poutine. Certes, on s'accroche à quelques petits signes, mais le fait que la Russie évolue un peu sur la question du départ d'Assad constitue l'un des rares espoirs du dossier syrien.
Ensuite, il y a la question de l'évacuation des blessés, et le passage d'équipes médicales sur le terrain. Le Comité international de la Croix Rouge et Médecins Sans Frontières ont proposé une trêve quotidienne, ou en tout cas régulière, qui permettrait le passage de convois médicalisés. Il ne s'agit pas là de protection mais de service humanitaire minimum, et cette idée est encore loin d'être acceptée par Damas.
Des sanctions économiques et diplomatiques sont prises depuis des mois, mais le régime semble y rester sourd...
Je suis conscient du caractère extrêmement frustrant et lent de tout cela, mais les résultats d'une pression diplomatique sont long à se faire voir. Mais comme je l'expliquais, la solution militaire ne serait pas meilleure : les violences monteraient en puissance durant des semaines, l'engagement serait lent et mènerait très probablement à la confrontation avec d'autres forces.
Il faut sortir de l'idée selon laquelle il n'y aurait que deux attitudes, celle qui prônerait une intervention militaire et celle qui consisterait à condamner mollement sans que rien ne se passe. Il faut impérativement tout faire pour rééquilibrer le rapport de force politique entre l'opposition et le régime. Cela passe par le fait de manifester son soutien à l'opposition, ou encore lui offrir des bases à l'extérieur du pays pour qu'elle puisse s'exprimer et s'organiser.
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