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Jérôme Cahuzac, victime de la malédiction de Bercy

D'Alain Madelin à DSK, de Hervé Gaymard à Jean-Louis Borloo, difficile de garder sa place quand on est ministre à Bercy. A l'Economie et au Budget, l'instabilité ministérielle est chronique. Explications.

Article rédigé par Thomas Bronnec
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Jérôme Cahuzac, le 28 septembre 2012 au ministère de l'Economie, à Bercy (Paris). (BERTRAND LANGLOIS / AFP)

Quand Valérie Pécresse succède à François Baroin au ministère du Budget, le 29 juin 2011, ce dernier lui confie : "Bercy, c'est un ministère où on peut mourir." Jérôme Cahuzac vient de rejoindre le cimetière politique du redoutable paquebot de verre, victime d'une malédiction qui a touché plusieurs de ses prédécesseurs.

Certains, comme Alain Madelin, victime de son franc-parler en 1995, Hervé Gaymard, perdu par l'affaire de son appartement en 2005, ou Jean-Louis Borloo, qui a expié sa gaffe sur la TVA sociale en 2007, sont restés quelques semaines à peine. D'autres, comme Dominique Strauss-Kahn, coulé par l'affaire de la Mnef en 1999, ont tenu plus longtemps, parfois deux ans. Une seule, Christine Lagarde, s'est vraiment installée dans la durée, en restant quatre ans au même poste.

L'instabilité ministérielle est une maladie quasi chronique à Bercy. Entre 1995 et 2013, c’est-à-dire en dix-huit ans, ils ont été treize à se succéder dans ce grand bureau, au sixième étage de l'hôtel des ministres, réservé au ministre de l'Economie. Et ils ont été à peine moins nombreux, onze, à s’asseoir dans l’autre bureau, celui du cinquième étage, dévolu au responsable du Budget, tantôt simple secrétaire d'Etat, tantôt ministre délégué, parfois aussi ministre de plein exercice.

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Un scénario qui se répète

Eric Woerth a été touché par le missile Bettencourt alors même qu'il avait déjà quitté le Budget pour s'installer au ministère du Travail, mais les similitudes avec Jérôme Cahuzac sont frappantes : un scandale fiscal, une enquête judiciaire, un emballement médiatique et un ministre qui devient un véritable boulet pour son gouvernement. Jusqu'à la mise à mort. A Bercy, il suffit d'une étincelle pour que le ministre se consume. "Le risque de conflit d’intérêt y est accru, et l'exigence de transparence va de pair", analyse Valérie Pécresse. Le soupçon y est permanent.

Un scandale fiscal reste le pire des scénarios qui puisse impliquer celui qui exerce le contrôle sur l'administration fiscale. Il devrait pourtant pouvoir être évité. En effet, l'un des privilèges du ministre du Budget, que lui octroie l'administration au moment où il prend son poste, c'est de lui communiquer la situation fiscale de l'ensemble des ministres.

"Quand se constitue un gouvernement, explique Dominique Bussereau, éphémère secrétaire d'Etat au Budget en 2004, si quelqu'un est un peu en délicatesse avec le fisc, en retard de paiement par exemple, on lui passe un petit coup de fil, et on lui dit : si tu veux rester, tu dois 5 000 euros au centre des impôts chez toi, et tu as 24 heures pour les verser." "Il est vrai qu’il faut réclamer son dossier pour l’avoir, ce que j’avais fait", analyse un autre ancien ministre, qui y avait retrouvé les cartes grises de ses premières voitures. "Normalement le ministre du Budget sait s’il est vulnérable", poursuit cet ancien locataire des lieux.

Les ministre passent, l'administration reste

Jérôme Cahuzac, qui a opté pour une stratégie du déni, a longtemps voulu croire qu'il passerait outre. Il connaissait pourtant l'histoire de Bercy, maison hantée par tant de fantômes. "Quand on est pris dans une telle tempête, c'est difficile de s'en sortir", analyse un ancien collaborateur de Jean-François Copé au Budget. En 2004, l'actuel patron de l'UMP est ministre délégué. Il forme un tandem avec Hervé Gaymard, empêtré dans l'affaire de son appartement. Jean-François Copé, lui aussi accusé d'occuper un logement privé aux frais de l'Etat alors même qu'il est déjà propriétaire d'un appartement à Paris, fait le dos rond. "L'ambiance, c'était bazookas et sacs de sable, poursuit ce collaborateur. Au cabinet et dans l'administration, certains commençaient déjà à se demander qui serait le prochain ministre. On voyait dans le regard des directeurs de Bercy une sorte de compassion qui disait : 'Tiens, c’est peut être la dernière fois qu’on le voit.'."

Jean-François Copé a tenu, mais pas Gaymard. A l'instar de ce dernier, qui n'a jamais retrouvé de rôle politique de premier plan, ceux qui ont quitté Bercy à la suite d'un scandale ont du mal à revenir. Dominique Strauss-Kahn n'a pas retrouvé de place au gouvernement de Lionel Jospin, avant de connaître le destin que l'on sait. Eric Woerth a disparu des écrans radars. Jérôme Cahuzac aura du mal à rebondir. Il laisse derrière lui un énorme chantier qu'il avait entamé avec un certain talent : tailler dans les dépenses de l'Etat, tenter de donner corps à une rigueur de gauche.

C'est Bernard Cazeneuve qui le remplace. Pour l'assister dans sa tâche, il pourra compter sur le directeur du Budget, Julien Dubertret. Nommé sous Nicolas Sarkozy, marqué à droite, il a survécu à l'alternance et saura se rendre indispensable, incarnant à merveille l'adage selon lequel "les ministres passent, l’administration reste". "A Bercy, confiait Christine Lagarde en 2011, il y a une tradition qui consiste à traiter le politique pour ce qu'il est, c'est-à-dire temporaire." Et à Bercy plus qu'ailleurs, les hauts fonctionnaires, marqués par des années d'instabilité, ont le sentiment que c'est à eux qu'il appartient d'incarner l'intérêt général dans sa continuité. 

"Je ne compte plus le nombre de ministres qui ont dit qu’ils allaient me virer, confiait en écho un directeur de la maison. Mais moi, je suis toujours là. J’en ai connu beaucoup, sanguins, qui aimaient vous rentrer dedans. Ils peuvent être injustement durs avec vous-même, avec vos équipes ou avec le travail des fonctionnaires en général. Mais il faut leur pardonner, parce qu'ils ont des vies tellement stressantes. Ils sont exposés en permanence." Désormais éloigné des projecteurs, Jérôme Cahuzac va pouvoir peaufiner sa défense. Et songer à sa reconversion ?

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