"12 000 euros pour un fauteuil" : derrière la vitrine des Jeux paralympiques de Paris, la galère des para-athlètes en quête de matériel adapté

Article rédigé par Lucie Beaugé
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
Aux Jeux paralympiques de Paris 2024, les athlètes possèdent un équipement onéreux. Des prothèses, voire des fauteuils sur mesure, difficiles d'accès pour le grand public. (ASTRID AMADIEU - HELOISE KROB / FRANCEINFO)
Si les para-athlètes bénéficient d'un équipement de haute technologie, la plupart des personnes en situation de handicap, désireuses de s'épanouir dans un sport, peinent encore à y accéder, conséquence d'un coût financier trop important.

"Tu perds le ballon, tu vas le chercher !" Le jeune garçon, vêtu d'un maillot de l'équipe des Chicago Bulls, baisse la tête puis s'exécute. En fauteuil roulant, il fait glisser ses mains sur les roues et se déplace à la vitesse de l'éclair. Puis, revient aux côtés de Sofyane Mehiaoui. "Tu ne vas pas faire ça en match, non ? Allez, contrôle-toi. Et amuse-toi", l'encourage le coach. Quelques secondes plus tard, le joueur shoote, au milieu de la raquette. "Swish" : la balle orange ne touche ni la planche, ni le cercle. Bruit délicieux pour tout habitué des parquets.

Gymnase des Fillettes, dans le 18e arrondissement de Paris, une dizaine de personnes s'entraînent, en ce début de mois de juin, au basket fauteuil. Certains jouent en loisirs, d'autres en nationale 3. Ces hommes et femmes en situation de handicap, de tout âge, sont entraînés par Sofyane Mehiaoui, meneur de l'équipe de France paralympique, engagée dans le tournoi des Jeux de Paris qui se tiennent jusqu'au 8 septembre. Le joueur a fondé, en mai 2021, l'association Paris Basket Fauteuil pour réunir tous les publics. Il permet également aux personnes en situation de handicap, d'être équipées de fauteuils adaptés.

Car si les meilleurs para-athlètes bénéficient d'un équipement de haute technologie, de la lame en carbone pour les prothèses, aux fauteuils de compétition, la plupart des personnes en situation de handicap peinent encore à bénéficier de ce matériel haut de gamme. Trop onéreux. Les appareillages conçus spécifiquement pour une pratique sportive ne sont pas remboursés par la Sécurité sociale, contrairement à ceux destinés à un usage du quotidien. 

Des freins financiers

Sofyane Mehiaoui affirme qu'"il faut débourser en moyenne 12 000 euros" pour un fauteuil de compétition de haut niveau et aux alentours de 5 000 euros pour un "premier prix". Si, aujourd'hui, tout lui est financé par le sponsoring, avant de devenir joueur professionnel, il ne pouvait lui-même acquérir un tel matériel. "Au début, ce sont d'anciens joueurs qui me donnaient le leur", relate le meneur. Depuis deux ans, il achète des fauteuils d'occasion qu'il répare lui-même pour les joueurs de son club. "J'en trouve pour 500, 1 000 euros pièce. On en a aujourd'hui une vingtaine", explique le quadra qui répond aussi à des appels à projet pour obtenir des fauteuils déjà équipés. 

Sofyane Mehiaoui, meneur de l'équipe de France de basket fauteuil et président d'une association sportive dédiée, au gymnase des Fillettes, dans le 18e arrondissement de Paris, le 3 juin 2024. (LUCIE BEAUGE / FRANCEINFO)

"Un fauteuil adapté au basket permet d'aller plus vite et d'aller chercher des ballons plus haut. Le tir est aussi plus adroit", illustre-t-il. Contrairement à un équipement classique, il possède des roues inclinées vers l'extérieur, des roulettes anti-bascule à l'arrière et des sangles qui permettent d'attacher le joueur. L'enjeu n'est pas uniquement la recherche de performance, mais le confort et la sécurité.

Triathlète handisport, Jules Ribstein participe lui aussi aux Jeux paralympiques de Paris, avec une prothèse fémorale équipée d'une lame en carbone. Prix du matériel : près de 20 000 euros. "Il faut ensuite changer la lame tous les uns à un an et demi pour environ 3 000 euros à chaque fois", détaille le sportif. Aidé par des sponsors, il doit aussi puiser dans ses revenus et fonds personnels. Il y a quelques années, lorsque sa notoriété n'était pas celle d'un champion du monde, il confie même avoir "filouté" avec la Sécurité sociale pour obtenir une légère prise en charge de sa prothèse athlétique. 

"Je me suis privé de changement de prothèse quotidienne pour financer celle de course à pied."

Jules Ribstein, triathlète handisport et champion du monde

à franceinfo

Les associations de soutien aux personnes handicapées plaident depuis longtemps pour une prise en charge du matériel de sport. Fin novembre, l'ex-Première ministre, Elisabeth Borne, avait annoncé la volonté de son gouvernement de "généraliser le remboursement des lames de course et des prothèses sportives dans la prestation compensatoire du handicap". Alors que la ministre chargée des Personnes handicapées, Fadila Khattabi, a promis en avril des "fauteuils roulants, électriques et manuels" intégralement remboursés "avant la fin 2024", elle n'a pas précisé si ceux de sport bénéficieraient du même coup de pouce.

"Il faut oser se montrer"

Comme Paris Basket Fauteuil, d'autres structures soulagent les personnes handicapées dans la prise en charge de ces dispositifs, à l'instar de l'association Lames de joie. Sur son site, elle assure que "début 2019, près d'une cinquantaine d'enfants sur tout le territoire français bénéficient de [son] action". Loïc Brugalais, directeur général de l'entreprise de prothèses Orthofiga, a cofondé l'association Breizh Winners en Bretagne. "On organise des journées de course, d'escalade ou encore de surf, encadrées par des professionnels, la plupart orthoprothésistes. Des lames nous sont prêtées par les fournisseurs", explique ce professionnel.

"On essaye de leur montrer que le sport est possible pour eux. Qu’ils soient assis ou debout, pour découvrir ou reprendre une activité."

Loïc Brugalais, orthoprothésiste et cofondateur de Breizh Winners

à franceinfo

Aux Mureaux (Yvelines), l'Institut de santé parasport connecté (ISPC), sorte d"Insep du handisport", doit voir le jour en 2026. En attendant, un institut "éprouvette" existe au sein de l'hôpital de Garches (Hauts-de-Seine) depuis 2019. Objectif : accompagner les personnes en situation de handicap qui souhaitent faire du sport quels qu'en soient le niveau et l'intensité. "La philosophie de départ, c'est : pas de carte bleue. Quand vous venez à l'ISPC, la carte Vitale suffit. Vous ne payez rien", assure Philippe Fourny, son directeur général. Il explique par ailleurs que si l'équipement de compétition est aujourd'hui coûteux, c'est car "les unités de production sont faibles et la main d'œuvre très qualifiée", en plus de matériaux nobles qui sont utilisés, comme la fibre de carbone.

Et la prise en charge proposée par l'ISPC n'est pas uniquement celle du matériel. Les personnes en situation de handicap sont accompagnées de A à Z par des kinés, des ergothérapeutes et des para-coachs, pour trouver un sport qui leur correspond. "On les aide à identifier un lieu adéquat, non loin de leur domicile, mais aussi à avoir les bons gestes. Par exemple, lesquels faut-il adopter quand on fait du tennis fauteuil ? Comment se positionner sur cet équipement ?", illustre Philippe Fourny.

Atteinte de poliomyélite (une maladie virale qui peut entraîner des paralysies irréversibles) depuis l'âge de trois ans, Olivia Yvernaux assure ne plus quitter l'hôpital de Garches, sa "deuxième maison". Au quotidien, cette sexagénaire alterne depuis quelques années entre le fauteuil et le port d'une orthèse avec béquille, en fonction de son état de santé. En quête d'un sport qui pourrait lui convenir, elle attend que l'équipe de l'ISPC la guide. Elle hésite entre le golf et le tennis de table. "Actuellement, je fais de la marche à pied, car cela est compatible avec mon orthèse de la vie de tous les jours", glisse-t-elle.

Au-delà du frein financier, elle déplore des infrastructures inadaptées. "Toutes les piscines municipales ne sont pas équipées d'un matériel pour se mettre à l'eau", relève-t-elle. Il manque aussi, parfois, un "accompagnement humain dans certains clubs pour certains types de handicaps", expliquait par ailleurs à franceinfo, en mai, la présidente du Comité paralympique, Marie-Amélie Le Fur. Et puis, les freins peuvent aussi être psychologiques, selon Olivia : "Il faut oser se montrer. Etre accompagné par des professionnels peut aider à faire sauter les bocages."

Une "rupture d'égalité" entre les citoyens

Alors que la France a fait de la promotion de l'activité physique et sportive la grande cause nationale pour 2024, avec notamment le slogan "Bouge 30 minutes par jour", Philippe Fourny regrette une "rupture d'égalité" entre les personnes en situation de handicap et les autres. "Vous êtes aux sports d'hiver. Si un athlète valide se fait une rupture des ligaments croisés, il sera remboursé à 100% et pourra reprendre son sport. Mais une personne qui souffre de poliomyélite depuis son jeune âge ne verra pas sa prothèse de sport prise en charge", dénonce-t-il.

En 2022, seules 32% des personnes handicapées de plus de 15 ans avaient une pratique sportive régulière, selon l'Insee (PDF). Elles sont, dans le même temps, 90% à penser qu'il est essentiel ou important de faire du sport, selon une étude "Sport et handicaps" (PDF) réalisée par la Française des jeux en avril 2015.

Au-delà d'une inégalité de principe, l'exercice physique aide les personnes handicapées à se reconstruire, à améliorer leur autonomie, mais aussi à prévenir d'autres maladies et le vieillissement. "Il y a un réel enjeu de santé publique. De la même manière que pour les valides, le sport permet de renforcer le système cardio-vasculaire, le système articulaire et osseux", développe Jules Ribstein. Sans oublier les simples bonheurs de la vie : "Ma prothèse de course à pied me permet aussi de courir avec mon fils ou de jouer au foot avec lui."

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