Paris 2024 : pourquoi autant d'athlètes des Jeux paralympiques sont bien plus âgés que ceux participant aux JO

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
La carrière des athlètes paralympiques dure souvent plus longtemps que leurs homologues valides. (JEREMIE LUCIANI ET HELOISE KROB / FRANCEINFO)
Parmi les stars de la délégation française figurent le nageur David Smétanine (49 ans), le para-athlète Pierre Fairbank (53 ans), ou le tennisman Stéphane Houdet (53 ans), connus pour leurs performances… et leur longévité.

"Plus vite, plus haut, plus fort", dit le refrain. Pour les Jeux paralympiques de Paris, qui se tiennent jusqu'au dimanche 8 septembre, on pourrait ajouter "plus longtemps". Car chez les "paras", l'âge de la retraite des sportifs dépasse largement la trentaine, contrairement à ce qu'on constate la plupart du temps chez les participants aux JO. Dans certains cas, on pourrait même parler de destins "mamilympiques" et "papylympiques". Ainsi, le record du genre est détenu par la tireuse australienne Libby Kosmala, qui a participé aux Jeux de Rio, en 2016, à l'âge de 74 ans, avant de prendre sa retraite en 2020.

Le phénomène concerne différentes disciplines. En 2008, Emilie Gradisek se démenait avec l'équipe de volley slovène aux Jeux de Pékin, malgré ses 69 printemps. Lors du même événement, la parapongiste italienne Clara Podda a décroché sa première médaille à 57 ans. A l'époque, sa victime en petite finale s'appelait Isabelle Lafaye, une "jeunette" de 45 ans. "C'est sûr que dans notre sport, on peut durer très longtemps", constate la triple médaillée d'or paralympique. "Vous savez, à Tokyo, une Russe encore plus vieille que moi [Nadezhda Pushpasheva, 61 ans à l'époque] a accroché un podium !" 

Isabelle Lafaye a fait le voyage au Japon en 2021 avec une infirmière dans ses bagages pour l'aider à enchaîner les matchs. D'autant que le niveau s'est élevé au fil des années : "Ça n'a plus rien à voir avec mes débuts [à Atlanta, en 1996], où on se connaissait toutes et où on savait que le podium se jouerait entre les 3-4 premières mondiales. Au Japon, le défi était déjà de sortir des poules !"

La parapongiste Isabelle Lafaye lors d'un match de poules des Jeux de Tokyo (Japon), le 26 août 2021. (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)

Les Jeux de Paris, elle les regarde cette fois à la télé. "J'ai fait beaucoup de sacrifices, explique celle qui a pris sa retraite sportive. Pendant trois décennies, ma vie a été programmée exclusivement autour du sport." Le tennis de table semble du reste propice aux longues carrières dans toutes les catégories : fin juillet, la Luxembourgeoise Ni Xia Lian a pris part à ses sixièmes Jeux olympiques à l'âge de 61 ans.

Pour certains, il s'agit d'une "carrière en décalé"

"Je vais participer à mes sixièmes Jeux. Michael Phelps ne peut pas en dire autant", sourit de son côté David Smétanine, 49 ans, un des doyens de la délégation française à Paris. Le double champion paralympique sur 50 mètres et 100 mètres nage libre en catégorie S4 à Pékin – il compte aussi sept autres breloques d'argent et de bronze dans sa collection – martèle sa devise : "Motivation, passion, ambition !"

Ne lui dites surtout pas qu'on dure dans le monde paralympique faute de concurrence. "L'argument de la faible densité était vrai dans les années 1990. A l'époque, on s'entraînait quatre fois par semaine, et on se retrouvait aux Jeux. Aujourd'hui, je m'entraîne 24 à 26 heures hebdomadaires, sans compter les séances de musculation." 

Le paranageur David Smétanine lors d'une série du 200 mètres nage libre (catégorie S4) des Jeux de Pékin, le 9 septembre 2008. (GREG BAKER / AP / SIPA)

La question de l'âge du capitaine fascine Julien Schipman, chercheur affecté à l'accompagnement de la performance à l'Insep. "La durée de carrière d'un para-athlète est effectivement plus longue que celle d'un athlète concourant aux JO", confirme-t-il. Il différencie plusieurs cas de figure : les para-athlètes nés avec leur handicap, ceux touchés durant l'enfance, "qui commencent le sport avec, qui arrêtent souvent avant la quarantaine", et ceux dont la vie bascule alors qu'ils sont déjà plus âgés. "Pour eux, on peut plus parler d'une carrière en décalé." S'ils ont une bonne base sportive, "leurs progrès peuvent être assez fulgurants." 

La nature de la discipline joue aussi. Ainsi, la moyenne d'âge des podiums mondiaux sur le marathon en fauteuil fluctuait entre 43 et 48 ans, entre 1999 et 2011, hommes et femmes confondus, selon les calculs du chercheur. "La dégradation des performances liées à l'âge est moindre dans les disciplines mobilisant les membres supérieurs."

La technologie à la rescousse

Cela tombe bien, Pierre Fairbank est taillé comme une armoire à glace pour propulser toujours plus vite son fauteuil. Et à 53 ans, le décuple médaillé en para-athlétisme ambitionne encore une fois de monter sur le podium à Paris. Pas sur 100 mètres : "Je m'y aligne pour me chauffer, parce que c'est la première épreuve des Jeux." Sur 400 mètres, ça pourrait le faire. "Mais passés 300 mètres, je commence à faiblir." Non, sa distance de prédilection est devenue, avec l'âge, le 800 mètres. "C'est une course de filou, je me place à l'abri, en embuscade, avant le sprint des 100 derniers mètres." Atteint de poliomyélite (une maladie provoquée par un virus qui peut entraîner des paralysies irréversibles) avant ses 10 ans, l'athlète néo-calédonien ne se voyait pas durer aussi longtemps.

"A chaque fois, après les Jeux, je me dis : 'J'arrête !' La première fois, c'était après Sydney, en 2000."

Pierre Fairbank, para-athlète

à franceinfo

Un mois, deux mois, trois mois de pause, une petite sortie en fauteuil pour se chauffer... et la fièvre paralympique le reprend. Cette année encore, c'est sûr : "Après les Jeux de Paris, c'est fini ! Bon, après, si un fabricant arrive à fabriquer un fauteuil sous les 6 kg..."

Le para-athlète Pierre Fairbank au départ du 800 mètres des championnats du monde organisés à Paris, le 15 juillet 2023. (HERVIO JEAN-MARIE / KMSP / AFP)

Les bonds de géant du matériel constituent en effet un des facteurs de la longévité des cracks des disciplines techniques. "Quand j'ai commencé [à la fin des années 1990], on était assis sur nos fauteuils, les pieds devant, et l'engin devait bien peser 15 kg, raconte Pierre Fairbank. Un jour, un type s'est pointé avec un modèle avec les pieds en arrière. On a rigolé. Mais pas longtemps. Quand il a aligné les 'perfs', on a tous changé pour le même modèle que lui."

Les développements technologiques prennent du temps à être compris par les nouveaux venus dans différentes disciplines. "Il faut au minimum de trois à quatre ans pour une personne amputée des jambes pour parfaitement maîtriser ses lames, explique Julien Schipman. Un Oscar Pistorius [athlète sud-africain, six fois champion paralympique, condamné à 13 ans de prison en 2017 pour le meurtre de sa compagne] pourrait encore figurer parmi les meilleurs tant il excellait sur l'aspect technique." Aux Jeux de Paris, le sauteur en longueur allemand Markus Rehm reste à 36 ans le grand favori de cette discipline explosive, enchaînant les records du monde. "Les petits jeunes ne maîtrisent pas aussi bien les lames que lui", tranche Julien Schipman.

La relève se fait parfois attendre 

En outre, si l'arrivée des pays émergents du paralympisme comme la Chine ou le Brésil a obligé les autres nations à progresser en matière de détection, cela ne signifie pas pour autant que les successeurs des champions se bousculent au portillon, encore moins des jeunes pousses. En France, le programme La Relève a été lancé en 2019 pour repérer les potentiels passés au travers du maillage des clubs. "On a aussitôt été sollicités par des trentenaires, raconte Jean Minier, directeur des sports au Comité paralympique et sportif français. Sur les 300 candidats orientés lors des quatre premières années du programme, 15 sont présents aux Jeux de Paris. "On cible tous les publics, assure-t-il, mais chez les femmes, il y a moins de concurrence à l'heure actuelle."

Sylvie Ruth Morel, para-escrimeuse sexagénaire canadienne, allait dans le même sens en 2021 : "J'étais seule pendant les vingt dernières années. Les autres vont et viennent, personne ne reste dans le programme, se désolait-elle sur la chaîne CBC. C'est trop cher, sauf si on est subventionnés [par les services gouvernementaux]." Dans certaines disciplines sinistrées, une athlète peut même passer en cinq ans de débutante à championne paralympique, à l'image de la Japonaise Keiko Sugiura, double médaillée d'or en paracyclisme à Tokyo à 50 ans. Elle faisait du triathlon comme loisir avant l'accident qui, en 2016, l'a rendue handicapée.

Reste qu'année après année, la moyenne d'âge des participants aux Jeux paralympiques baisse inexorablement, assure Jean Minier. Même chez les Tricolores, alors que le document (PDF) décrivant la stratégie nationale sport-handicap (2020-2024) du ministère soulignait il y a quatre ans que "l'âge moyen des médaillés et de la délégation française rest[e] supérieur aux pays demeurant dans le top 10 des nations". Qu'en sera-t-il après les Jeux de Paris ? "Personne ne refera une carrière comme la mienne en natation. Vraiment, ce ne sera plus possible", assure le paranageur David Smétanine.

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