SÉRIE. Le carnet de bord des Jeux paralympiques de Paris 2024 - épisode 7 : une dernière ligne droite pleine d'ambition
Quel est le quotidien d'un athlète paralympique ? Comment se prépare-t-il à une échéance comme les Jeux de Paris 2024 ? Est-il possible de faire changer le regard sur le handicap à travers un tel événement ? Ces questions – et bien d'autres – ont conduit la rédaction de Franceinfo: sport à proposer un format dans lequel la parole reviendrait directement aux sportives et sportifs tricolores qui visent les Jeux paralympiques.
Pour le septième épisode de ce carnet de bord mensuel, Gaël Rivière (cécifoot) et Ugo Didier (paranatation) évoquent leur palmarès et leurs ambitions cet été.
Gaël Rivière • 34 ans • cécifoot (aveugle de naissance)
"Avec l'équipe de France, on ne se dit pas qu'on est les meilleurs du monde et qu'on va gagner. On se dit qu'on va se préparer au maximum de manière à être une équipe très embêtante pour les autres."
Le J-100, c'est l'un des moments où l'on commence à prendre conscience que ça y est, on arrive dans le moment des Jeux. Pour avoir eu la chance de vivre deux éditions, à Londres en 2012 et à Tokyo en 2021, cet engouement médiatique pour les sports paralympiques, ça ne se voit que pendant cette période-là. Je suis un ancien, j'ai fait ma première Coupe du monde en 2006. Autant te dire qu'à cette époque-là, le mot de parasport n'existait pas du tout, on parlait de handisport et ça n'avait pas du tout le même écho. J'étais au lycée et je disais que j'étais en équipe de France de cécifoot, que j'allais m'absenter l'année du bac pour faire les championnats du monde. Les profs me disaient : "C'est gentil ton truc mais il y a le bac à la fin de l'année". En 2012, quand je suis allé aux Jeux de Londres et que je passais mes entretiens pour mon master 2 de droit, on me parlait à 80% du temps des Jeux. Entre mes débuts et maintenant, il y a une évolution incroyable, ça n'a rien à voir.
Je suis avocat de profession, je travaille dans un cabinet d'avocats. La particularité de ce métier passionnant, c'est que c'est très exigeant en termes de temps. Mon cabinet a été d'accord pour que lors de l'année paralympique, je sois à temps réduit. Un mi-temps d'avocat, certes, mais on me laisse l'opportunité de m'entraîner tous les jours. J'ai conscience que c'est une concession importante pour eux, et je les en remercie.
Avec l'équipe de France, on est ambitieux pour Paris mais en restant assez humbles. On ne se dit pas qu'on est les meilleurs du monde et qu'on va gagner. On se dit qu'on va se préparer au maximum de manière à ce que l'on soit une équipe très embêtante pour les autres. On est champions d'Europe ou vice-champions d'Europe depuis de nombreuses années. Le côté négatif, c'est que cela fait quelque temps qu'on n'a pas réussi à se hisser sur un podium de compétition internationale, presque depuis les Jeux de Londres (défaite en finale 2-0 face au Brésil). Mais on parle de foot, et tout peut aller très vite. Ça se passe sur une semaine. Il faudra, pour qu'on arrive à faire une performance, que les planètes soient un peu alignées. Si on est en malchance devant les buts et que chaque fois que nos adversaires frappent, ça fait but, ce sera compliqué. Il y a toujours cette petite part de magie, ce n'est pas une addition où l'on ajoute les meilleurs joueurs et où on est sûrs de gagner. On espère qu'être chez nous sera un gros avantage. Mais jouer à domicile, cela peut aussi être une pression que l'on n'a pas l'habitude de connaître car les tribunes de 12 000 ou 13 000 personnes en cécifoot, il n'y en a pas.
La base de notre succès, comme souvent sur des gros tournois, ce sera d'avoir une grosse défense. On sait qu'on aura les occasions de marquer des buts mais quand elles arriveront, il ne faut pas qu'on ait déjà pris trois buts. On est homogènes en termes de niveau. On n'a personne dans l'équipe capable de prendre le ballon tout seul, d'aller dribbler les quatre joueurs adverses et de marquer, d'ailleurs ça n'existe plus beaucoup dans le cécifoot. On sait qu'il faudra être bien organisés, on a des joueurs très rapides comme Tidiane (Diakité), Frédéric (Villeroux) qui est très technique... Il faut juste qu'on ne soit pas dans une situation où l'on court après le score.
Ugo Didier • 22 ans • natation S9 (malformation à la naissance, pieds-bots et membres inférieurs atrophiés)
"Après les championnats d'Europe, mon palmarès et mon CV se sont épaissis. Mais ça ne fait pas gonfler un ego de champion ou quoi. Quand on regarde les personnes qui sont présentes dans l'équipe de France de paranatation, non, je n'ai pas l'impression d'être un leader !"
Je suis revenu il y a deux semaines des championnats d'Europe à Funchal, à Madère, au Portugal. C'était une bonne compétition, j'ai fait mes meilleurs temps de la saison... C'était ce que j'espérais, j'avais à cœur de regagner à nouveau au niveau international, ça n'avait pas été le cas depuis les derniers Mondiaux à Manchester l'été dernier donc ça fait plaisir de terminer premier, d'entendre de nouveau La Marseillaise ! Et même collectivement, on n'a jamais eu autant de médailles aux championnats d'Europe (22 dont sept titres), donc il n'y a que du positif.
Au quotidien, j'essaie de travailler pour être un nageur complet, à l'aise sur plusieurs spécialités parce que le programme paralympique est moins important. Si je veux m'aligner sur plusieurs courses et avoir la chance de faire plusieurs finales, je suis obligé d'être assez complet. À Paris, je suis sûr de m'aligner sur le 100 mètres dos, le 400 mètres nage libre et le 200 mètres 4 nages, les courses où j'ai remporté l'or au Portugal et où je suis le plus compétitif. Ensuite, il y a encore un point d'interrogation sur le 50 mètres nage libre, le relais 4x100 mètres nage libre et le relais 4 nages. Je reste quoi qu'il en soit au service de l'équipe.
Avec Samuel Chaillou, mon entraîneur, on travaille ensemble depuis au moins 10 ans, on se connaît extrêmement bien. Il me coache dans l'eau, mais aussi en préparation physique donc c'est un vrai avantage. Techniquement, il connaît mes temps mieux que moi, il maîtrise mes allures, mes coups de bras, mes fréquences... C'est un allié primordial, bien au-delà de ce qu'il peut m'apporter dans les bassins. Dans la vie de tous les jours, je suis son seul nageur. Il a aussi la chance de me suivre sur les stages équipe de France, ça lui permet de mieux connaître les autres athlètes et de rendre son approche sportive plus complète lors des compétitions.
Après ces championnats, mon palmarès et mon CV se sont épaissis. Mais ça ne fait pas gonfler un ego de champion ou quoi. Quand on regarde les personnes qui sont présentes dans l'équipe de France de paranatation, avec un David Smétanine qui va disputer ses 6es Jeux, Elodie Lorandi qui compte sept médailles paralympiques, Anaëlle Roulet qui a fait Londres, Rio, Tokyo et j'espère pour elle, Paris... Je n'ai pas l'impression d'être un leader ! Et qu'importe si ça cartonne pour moi à Paris, je pense que l'héritage des Jeux se basera sur autre chose qu'uniquement mes résultats sportifs. Les Jeux vont permettre, de manière collective, une médiatisation des athlètes paralympiques beaucoup plus importante, une meilleure visibilité du parasport, mais selon moi, c'est surtout au niveau social, sur l'inclusion, sur l'accessibilité que cela va et doit avancer.
Je n'ai pas trop suivi le relais de la flamme, j'ai essayé de me détacher de tout ça. On m'a proposé de porter la flamme, j'ai dû refuser par manque de disponibilité. J'ai mis la priorité sur ma préparation sportive. Peut-être que c'est un choix que je regretterai dans quelques années, c'est possible, mais aujourd'hui, je préfère me concentrer et éviter de penser tous les jours à Paris 2024, même si c'est souvent le cas. J'ai besoin de porter mon attention ailleurs, de me préserver mentalement et j'essaie de ne pas ressentir l'engouement qui grandit.
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