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La loi sur le génocide arménien, manœuvre électoraliste ?

Le calendrier politique et législatif, qui a permis l'adoption de la loi trois mois avant l'élection présidentielle, alimente le débat sur le véritable but de ce texte.

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Nicolas Sarkozy avec le président arménien Serge Sarkissian, le 7 octobre 2011 à Erevan. (ERIC FEFERBERG / AFP)

Le vote définitif de la loi réprimant la négation des génocides, en particulier du génocide arménien, ne s'attire pas seulement les foudres de la Turquie. Il suscite aussi les réserves, voire la réprobation, de plusieurs figures de la classe politique française, comme Alain Juppé, François Bayrou, Bertrand Delanoë ou Dominique de Villepin. Et ce, malgré le consensus gauche-droite à l'Assemblée nationale. Le maire de Paris a ainsi déploré, mardi 24 janvier sur France Info, que le vote sur le génocide arménien ait été "instrumentalisé à des fins électoralistes". On estime à plus de 500 000 le nombre de Français d'origine arménienne, susceptibles de pouvoir peser sur les scrutins à venir.

• Une loi votée trois mois avant la présidentielle

Le calendrier législatif qui a abouti à l'adoption de la loi peut surprendre. Une première proposition de loi réprimant la négation du génocide arménien a été déposée en janvier 2004 à l'Assemblée nationale, mais celle-ci n'a jamais abouti.

En 2006, un nouveau texte a été présenté à l'Assemblée, puis voté par les députés. Mais la proposition a été bloquée par le gouvernement en 2008 avant son passage au Sénat. Selon un câble diplomatique révélé par WikiLeaks fin 2010, la décision de stopper le texte aurait été prise dès le début du mandat de Nicolas Sarkozy. En visite à Ankara le 29 mai 2007, le conseiller diplomatique de l'Elysée Jean-David Levitte aurait assuré à des officiels turcs que le chef de l'Etat veillerait à ce que le texte meure au Sénat. La proposition de loi n'a jamais été inscrite à l'ordre du jour de la Chambre haute du Parlement. En mai dernier, un autre texte, présenté par des sénateurs socialistes, a été retoqué par une exception d'irrecevablité.

C'est finalement la proposition de la députée UMP de Marseille Valérie Boyer, réprimant tous les génocides reconnus par la France qui a été adoptée par le Parlement lundi, trois mois avant le premier tour de l'élection présidentielle. Que s'est-il donc passé pour que les parlementaires changent d'avis ?

Entre-temps, Nicolas Sarkozy s'est rendu en Arménie, début octobre 2011. "Le génocide des Arméniens est une réalité historique. Le négationnisme collectif est pire encore que le négationnisme individuel. On est toujours beaucoup plus fort quand on regarde son histoire. Si la Turquie ne le faisait pas, alors sans doute faudrait-il aller plus loin", avait alors déclaré le chef de l'Etat. Dans ce contexte, la proposition de loi de Valérie Boyer a naturellement reçu le soutien du gouvernement, ce qui n'avait pas été le cas pour les précédents textes.

Reste donc cette interrogation : pourquoi Nicolas Sarkozy a-t-il changé d'avis entre 2007 et 2011 ? "Après ce qui s'est passé à Ankara [en 2007], Sarkozy s'est grillé. Un certain nombre d'Arméniens de droite voulaient le sanctionner. Il a bien senti le danger et a voulu donner un signe à cet électorat pour remettre les pendules à l'heure", s'avance un sénateur PS pourtant favorable à cette loi.

• Le poids de la circonscription

Durant la discussion en séance, à l'Assemblée et au Sénat, parmi les orateurs qui ont défendu le texte, nombreux sont ceux qui ont été élus dans des circonscriptions abritant de fortes communautés arméniennes.

L'auteure de la proposition de loi, Valérie Boyer, est élue à Marseille, où s'est développée la plus grosse communauté de France. Plusieurs de ses collègues des Bouches-du-Rhône se sont également succédés à la tribune de l'Assemblée nationale le 22 décembre, comme les UMP Renaud Muselier et Richard Mallié, les socialistes Sylvie Andrieux et Henri Jibrayel. Tous pour défendre cette loi.

Et parmi les plus en verve, François Pupponi, maire de Sarcelles (Val-d'Oise). Ce n'est pas un hasard : sa circonscription comprend Arnouville, commune où les Franco-Arméniens sont également très nombreux. A Alfortville (Val-de-Marne), la communauté représenterait 6 000 personnes sur 45 000 habitants, selon Le Figaro.fr. Le député de la circonscription, le socialiste René Rouquet, a sans surprise défendu le texte au cours de la discussion générale.

Réelles convictions, ou électoralisme ? L'origine géographique des plus ardents défenseurs de cette loi peut laisser songeur. "Il est normal que ce soient les élus les plus concernés qui fassent pression, rétorque un sénateur. Quand il y a un projet de loi sur la pêche, ce ne sont pas les parlementaires auvergnats qui le soutiennent, mais plutôt ceux de Sète ou de Concarneau !"

"On ne peut pas faire deux poids deux mesures sur la question des génocides. C'est vraiment un débat de fond", assure le député UMP Philippe Meunier, dont la circonscription intègre la ville de Décines-Charpieu (Rhône), où vit aussi une grande communauté arménienne. "Lorsque vous vous retrouvez chaque année, lors des commémorations, devant des centaines d'Arméniens qui vous expliquent les atrocités que leurs parents ou grands-parents ont vécues, c'est poignant, cela vous touche, et vous êtes forcément plus attentifs", raconte-t-il, assurant que son vote n'était en rien guidé par un intérêt électoral : "Il y a peut-être plus de Turcs que d'Arméniens dans ma circonscription !"

• Dans les urnes, des conséquences peu évidentes

Pour certains, les associations culturelles arméniennes seraient plutôt marquées à gauche. Pour d'autres, le vote des Français d'origine arménienne serait davantage conservateur. Au final, difficile de savoir à quel camp profitera l'adoption de cette loi. A Nicolas Sarkozy, qui aura finalement permis – même tardivement – ce vote ? A la gauche, qui a été plutôt constante sur la question depuis plusieurs années ?

"Malheureusement, la récupération politique existe", regrette Okan Germiyan, 32 ans, militant MoDem à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine). "Moi, ça m'embête un peu. Il ne faut pas prendre les Arméniens pour des gens qui ne votent qu'en fonction de ce sujet." Et lorsque des électeurs lui demandent pourquoi il soutient François Bayrou, qui s'est montré hostile à la loi, il les incite "à se déterminer en fonction de sujets plus globaux, à voter pour une vision, pour l'Europe..." "Le problème, se lamente-t-il, c'est que cette question revient sans cesse avant les élections. Ce n'est pas très courageux."

Au final, la proposition de loi a été votée à une assez large majorité par la gauche comme par la droite. C'est peut-être cette relative unanimité que les électeurs retiendront, plutôt que les motivations locales de certains.  

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