Cet article date de plus de douze ans.

La taxe Tobin pour les nuls

Berlin, Paris, Rome et Madrid, les quatre premières économies de la zone euro, sont tombés d'accord pour mettre en place une taxe sur les transactions financières. Décryptage.

Article rédigé par Aurélie Delmas, Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Un trader dans la salle des marchés du New York Stock Exchange (Etats-Unis), le 21 juin 2012. (SPENCER PLATT / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

La taxe sur les transactions financières pourrait bientôt voir le jour, mais peut-être pas à l'échelle de l'Union européenne. Les Vingt-Sept ont constaté leur désaccord à ce sujet, vendredi 22 juin à Luxembourg. Au même moment, au cours d'un mini-sommet à Rome, l'Allemagne, la France, l'Italie et l'Espagne, les quatre premières économies de la zone euro, ont, elles, trouvé un accord pour la mettre en place, ouvrant ainsi la voie à une initiative en ce sens. L'instauration d'une telle taxe devrait donc de nouveau être discutée lors du prochain sommet européen des 28 et 29 juin. Comment cette taxe Tobin peut-elle être appliquée ? Décryptage.

• De la taxe Tobin à la taxe sur les transactions financières

En 1972, l'économiste américain James Tobin propose de taxer les transactions financières. Les banques centrales prélèveraient 0,5 % sur les mouvements pour lutter contre la fuite des capitaux. L'argent récolté serait redistribué en priorité aux pays défavorisés.

Dans les années 1990, Attac (Association pour une taxe Tobin d'aide aux citoyens) milite de nouveau pour sa création. Mais en 2001, Tobin, adepte du libre-échange, refuse que son nom soit associé à une logique protectionniste, comme le développe Libération. Attac devient l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne.

La Commission européenne a élaboré son propre projet. Il prévoit l'instauration d'une taxe sur les transactions financières au taux de 0,1% pour les actions et les obligations et de 0,01% sur les autres produits financiers. Un tel dispositif permettrait de générer jusqu'à 57 milliards d'euros à l'échelle de l'Union européenne.

• Comment cela fonctionne-t-il ?

La taxe Tobin est comme un grain de sable qui sert à réduire les échanges. Le système devient moins lucratif. Ceux qui font beaucoup d’allers-retours sur les marchés sont pénalisés car ils paient à chaque achat.

Les frais liés aux échanges financiers existent déjà. Entre un vendeur et un acheteur, une société intermédiaire touche environ 1 % de la transaction. De la même façon qu’un notaire touche une commission sur la vente d’une maison.

La mise en place de la taxe Tobin augmenterait le paiement d’une transaction d’un montant faible, 0,1 % a priori. Les organismes intermédiaires, comme les banques, prendraient en charge une partie de la taxe (par exemple 0,05 %) afin de ne pas trop réduire le nombre des échanges. L’autre partie des frais serait à la charge des clients.

Prenons un exemple. Vous souhaitez vendre une de vos actions. Vous allez vous adresser à un intermédiaire financier qui trouvera un acheteur. L’acheteur et vous-même partagerez les frais liés à la transaction, soit 1,05 % du coût de l’échange. 0,95 % reviendra à l’intermédiaire et 0,1 % sera perçu au titre de la taxe sur les transactions financières.

"En gros, cela ne concerne que les banques car les investisseurs passent majoritairement par elles, résume Jean-Marc Daniel, professeur à l’Ecole supérieure de commerce de Paris. Mais les banques n’en assumeraient qu’une partie et feraient peser l’autre partie de la charge sur leurs clients. Les frais bancaires augmenteraient."

• Quels sont les acteurs concernés ?

La Commission européenne distingue deux grands marchés, comme l'explique le webmagazine européen Le Taurillon. Le problème, c’est que le marché le plus risqué serait le moins taxé :

- Le marché des actions et des obligations Fonctionnant sur le long terme, il serait taxé à 0,1 %. Les échanges y sont plus rares et moins risqués. "S'agissant d'une action, la notion de pari n’existe pas", explique Alain Trannoy, directeur de recherches à l'EHESS.

- Le marché des produits dérivés Fonctionnant sur du court terme, il serait taxé à 0,01 %. Les échanges, effectués notamment par les fonds spéculatifs, sont plus complexes et plus risqués. "Sur ces marchés, on échange des promesses, explique Alain Trannoy. Le prix d’aujourd’hui dépend du prix de demain et ainsi de suite." Les achats ou ventes spéculatifs se caractérisent par leur grand nombre, leur extrême rapidité et leur bénéfice faible. Une taxation légère permettrait donc de ne pas trop handicaper ces échanges.

• Combien rapporterait la taxe et où irait l'argent ?

Tout dépend de l’échelle à laquelle la taxe serait mise en place. Selon les estimations, une taxe européenne rapporterait entre 50 et 60 milliards d'euros par an.

La France et la Belgique ont voté une loi en 2001 qui les engage à mettre en place la taxe dès que tous les pays membres de l’UE s’y seront engagés, aux conditions de la Commission européenne.

Cette institution prévoit trois destinations possibles pour le revenu de la taxe :

- il pourrait être versé au budget de l’UE

- il pourrait être versé au fonds de stabilité financière (FESF), auquel cas il s’agirait d’une "mise au pot commun"

- il pourrait être versé à l’aide au développement.

• Cela peut-il marcher sans un consensus mondial ?

En janvier dernier, Nicolas Sarkozy avait annoncé que la France pourrait adopter unilatéralement une taxe sur les transactions financières. Un scénario "pas du tout" réaliste, avait alors estimé Alain Trannoy, rappelant la tentative de la Suède, dans les années 1990, qui s'était soldée par un échec car les marchés avaient fui à Londres. "C'est une tactique du gouvernement pour pousser les autres pays à accélérer, mais la menace n’est pas crédible", avait-il jugé.

Un espoir illusoire pour Jean-Marc Daniel aussi. Pour lui, la France aurait bénéficié d'une forte entrée d’argent au départ, car tout le monde aurait racheté ses biens. "Mais le flot serait vite tari et il n’y aurait rapidement plus rien, analysait-il. Je pense que ça ne verra jamais le jour nulle part. C’est un leurre car la tendance historique est au laissez-passer. Veut-on réduire les mouvements ? Je ne crois pas."

Mais dans le cadre d'une adoption européenne, comme cela pourrait être le cas après l'accord de vendredi entre Rome, Paris, Berlin et Madrid, Alain Trannoy était un peu plus optimiste. Selon lui, une telle action pourrait influencer l’opinion publique américaine. "Il faudrait que toute la zone géographique européenne - y compris le Royaume-Uni et la Suisse - s’engage afin de pousser les Américains à le faire", explique-t-il. Or, au sein de l'Union, Londres et Stockholm, notamment, s'opposent à toute taxe sur les transactions financières.

Reste que le projet ne vaut que s'il est repris au niveau mondial. "C’est la même logique que la lutte contre la peine de mort, mais là, les condamnés peuvent s’exiler pour vivre ailleurs", concède Alain Trannoy.

Lancez la conversation

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.