Les armes gouvernent-elles les Etats-Unis ?
La tuerie d'Aurora dans le Colorado met en lumière la suprématie des lobbies pro-armes à feu sur les politiques.
Tout à fait légalement, James Holmes avait acheté un fusil d'assaut, un fusil à pompe et deux pistolets dans un magasin spécialisé. Tout à fait légalement, il avait emmagasiné chez lui pas moins de 6 000 munitions. Un citoyen bien dans les clous, donc, jusqu'à ce qu'il décide de faire feu sur une salle de cinéma bondée, tuant 12 personnes, en blessant 58 autres et projetant dans la campagne présidentielle l'explosive question de la régulation des armes à feu.
A moins de quatre mois de l'élection, Barack Obama et Mitt Romney avancent en terrain miné. Décriée par le puissant lobby pro-armes, la National rifle association (NRA), toute tentative de légiférer sur la vente des armes à feu peut se révéler politiquement fatale. FTVi explique pourquoi les armes plombent les urnes.
• Parce que de plus en plus d'Américains sont armés
Les armureries n'auraient pu rêver meilleure publicité. Dans les trois jours qui ont suivi le massacre dans ce cinéma de la banlieue de Denver, 2 887 demandes d'armes à feu ont été validées par l'Etat du Colorado, indique le Monde.fr. En comparaison avec les autres fins de semaine de l'année 2012, "c'est 25% de plus que la moyenne des ventes (...) et 43% de plus que la même période la semaine précédente", poursuit le quotidien en ligne.
C'est justement la crainte que de nouvelles lois restrictives soient votées dans un futur proche qui pousse les Américains à acquérir massivement des armes à feu. Ainsi, l'élection du démocrate Barack Obama en 2008 s'est accompagnée d'une hausse des ventes de pistolets et autres fusils, a expliqué Bloomberg Businessweek (lien en anglais) en septembre 2011. Pour cette industrie, traditionnelle alliée des républicains, "trop militer pour faire perdre Barack Obama [à la prochaine présidentielle] revient à se tirer une balle dans le pied", ironise le magazine économique.
• Parce que le deuxième amendement est intouchable
Pour les défenseurs de la gachette, le drame d'Aurora - ou de Columbine treize ans plus tôt - n'illustre pas la nécessité de contrôler davantage les ventes. Au contraire, il prouve la légitimité du port d'arme à titre défensif, en vertu du deuxième amendement de la Constitution des Etats-Unis. "Bannir les armes revient à faciliter la tâche des criminels, argumente Hillary Cherry du mouvement de jeunes conservateurs Young America's Foundation. Ils pensent alors que personne ne peut se défendre", fait-elle valoir dans un post de blog, repris par le site conservateur CNSNews.
Par ailleurs, 49% des Américains estimaient en 2011 qu'il était plus important de protéger le droit à détenir une arme, contre 46% qui pensaient qu'il fallait plutôt en réguler la vente. Et ce, quelques jours après qu'un tireur avait tué six personnes dans un meeting politque de la député démocrate Gabrielle Giffords, elle-même grièvement blessée dans l'attaque.
Enfin, selon Jim Kessler, ancien responsable du groupe Americans for Gun Safety, favorable aux contrôles, 32% des foyers américains disposent désormais d'une arme à feu. Une tendance à la hausse, alors que les citoyens sont de moins en moins nombreux à prôner une régulation "plus sévère" : de 78% en 1990, ils sont passé à 44% en 2010, rapporte un sondage de l'institut Gallup cité par le Christian Science Monitor.
• Parce qu'un anti-armes perdra les élections
C'est le cas du démocrate Al Gore, battu en 2000 par George W. Bush après avoir fait campagne sur la restriction du port d'armes. De quoi faire enrager l'Amérique rurale et surtout, la NRA. Forte de plus de 4,3 millions de membres et de 202 millions d’euros de dons, l'organisation est riche et puissante. En 2008, elle a déboursé 40 millions de dollars en publicité contre Barack Obama.
Pragmatique, ce dernier a considérablement revu sa position. Jeune candidat au Sénat de l'Illinois en 1996, il défendait "l'interdiction de fabriquer, de vendre et de posséder des armes de poing dans l'état", a rappelé USA Today pendant la campagne de 2007. Aujourd'hui, le porte-parole de la Maison Blanche, Jay Carney, se contente d'assurer que "l'avis du président est que nous pouvons prendre des mesures pour faire en sorte que les armes ne tombent pas entre de mauvaises mains, via les lois existantes".
• Parce qu'elles paralysent les décisions des politiques
Ce discours non partisan est jugé trop tiède par certains démocrates. Mardi 24 juillet, quatre élus du Congrès ont donné une conférence de presse pour réclamer "l'interdiction des chargeurs de grande capacité", a rapporté le Nouvel Obs.com. "Nous ne pouvons pas laisser la NRA faire barrage à des réformes de bon sens", s'est indigné le sénateur Frank Lautenberg. Ancien démocrate passé dans le camp républicain, le maire de New York, Michael Bloomberg, a lui aussi demandé aux deux candidats de dévoiler leur conviction. En guise de réponse, tout deux ont assuré ne pas être favorable à une nouvelle loi. "Je ne crois pas que l'Amérique ait besoin de nouvelles lois sur le contrôle des armes à feu", a dit Romney. "Je pense que la majorité des propriétaires d'armes seraient d'accord sur le fait que [...] nous devrions vérifier le casier judiciaire de quelqu'un avant qu'il puisse aller chez un armurier", a précisé le président américain, consensuel.
Car si les deux camps s'étripent depuis toujours sur ce thème, ils tendent à mener des politiques de moins en moins différentes sur le terrain, constate The New Yorker. Quand il était gouverneur du Massachussets, Mitt Romney a ainsi signé une loi interdisant les fusils d'assault et fait passer de 25 à 100 dollars la licence de port d'arme dans l'Etat. A l'inverse, le démocrate Obama a signé une loi autorisant les armes de poings dans les parcs naturels.
En promettant mercredi qu'il continuerait "d'œuvrer avec des membres des deux partis, de groupes religieux et d'organisations civiques, pour parvenir à un consensus sur la réduction [des] violences", Barack Obama a reconnu que "souvent, [les réformes et lois] échouent à cause de la politique et des groupes de pression", avec la NRA en ligne de mire. Une déclaration d'intention qui est aussi le constat que la balle n'est pas dans le camp des politiques.
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