JO de Paris 2024 : des collectifs performants en dépit d'individualités moyennes, les secrets de l'alchimie des relais français
Sur les rives du Danube, l'argent des garçons du 4x400 m avait sauvé les Bleus de l'athlétisme d'un zéro pointé aux Mondiaux 2023 à Budapest (Hongrie). A Rome, celui des filles du 4x100 m a parachevé un bilan plus qu'honorable aux championnats d'Europe 2024. Les relais tricolores seront-ils aussi de la fête lors des Jeux olympiques de Paris 2024 ? Malgré des individualités qui gravitent rarement dans le gratin mondial, les collectifs français glanent régulièrement des médailles européennes et planétaires, et ce, depuis des décennies. L'expression d'une pure tradition française, capable de former des relais performants grâce à une savante alchimie entre travail individuel et collectif.
"Notre philosophie est de transformer des sprinteurs en relayeurs. C'est une compétence qui se construit. Il faut qu'ils se créent leur identité de relayeur en équipe de France", pose Richard Cursaz, responsable du collectif masculin du 4x100 m. "En France, il y a une vraie tradition technique de travail sur les relais, comme pour la perche et les haies. Cette compétence technique, la fédération fait en sorte qu'elle se perpétue d'année en d'année", contextualise l'entraîneur, lui-même formé par Jo Maïsetti, qui chapeautait le collectif tricolore auteur du record du monde du 4x100 m en 1990.
La clé de la confiance
Pour contrebalancer leur relatif déficit chronométrique individuel vis-à-vis de leurs concurrents, les Français travaillent assidûment la prise de décision, c'est-à-dire le moment où le coureur s'élance quand son coéquipier s'approche, et la transmission du témoin. Une tactique partagée par les Japonais, les Néerlandais, les Italiens, ou encore les Britanniques. A l'inverse, Américains et Jamaïcains ne s'entraînent que rarement ensemble, s'appuyant sur leurs individualités, quitte à bafouiller dans la zone de transmission. "Ils compensent par leur niveau individuel", justifie Richard Cursaz, qui fait remarquer que cinq sprinteurs sont descendus sous les 10" en finale du 100 m des championnats des Etats-Unis, trois à ceux de la Jamaïque et aucun en France. Depuis, Jeff Erius a franchi cette barre mythique pour la première fois.
Pour créer un collectif uni et performant, les sprinteurs tricolores se retrouvent régulièrement pour travailler ensemble. L'occasion pour eux d'apprivoiser les marques de départ selon les allures de leurs partenaires et leur état de forme. "Les Mondiaux de relais aux Bahamas en mai nous ont apporté de la confiance techniquement. Depuis quelque temps, un collectif s'est créé, on a tissé de vrais liens. On se fait de plus en plus confiance", confiait Gémima Joseph, leader du 4x100 m féminin, en amont des championnats d'Europe à Rome, où les Bleues ont décroché la médaille d'argent.
Cette confiance, en soi et en l'autre, est capitale lorsqu'il s'agit d'arriver à pleine vitesse sur son coéquipier pour lui mettre dans la main un bâton de 30 cm de long, dans une zone de 30 mètres. "On s'est souvent vues. En novembre, décembre, janvier, puis aux Bahamas. C'est quelque chose qu'on n'avait pas l'année dernière. Et c'est ce qui donne le résultat aux Mondiaux de relais [médaille d'argent]", estime la sprinteuse.
L'individuel au service du collectif
Mais passer d'un sport éminemment individuel à une discipline collective ne s'est pas toujours fait sans tension. "Pour un sprinteur, l'épreuve reine, c'est le 100 ou le 200 m. Même s'ils ne sont pas parmi les meilleurs du monde, financièrement, cela leur rapporte plus que le relais", décrypte Richard Cursaz.
"Pour créer cette osmose, cette identité collective, c'est important de prendre en compte les contraintes de chacun : celles des athlètes, des entraîneurs personnels et les miennes. Mon objectif à moi est de les rendre performants le jour J."
Richard Cursaz, responsable du collectif français masculin du 4x100 mà franceinfo: sport
Un équilibre doit être trouvé entre le travail individuel avec l'entraîneur personnel, pour faire descendre le chrono, et travail collectif, avec le groupe équipe de France. Après avoir accompagné les relayeurs tricolores entre 2008 et 2012, Richard Cursaz a repris les rênes en 2021, à la suite de l'échec cuisant des Jeux de Tokyo (élimination en séries et ambiance délétère). Il a changé son mode de fonctionnement : plutôt que de courts regroupements mensuels, les rassemblements des sept à huit membres du collectif sont désormais organisés ponctuellement sur de longues durées (jusqu'à quinze jours), souvent juste avant les compétitions, et planifiés plusieurs mois en amont. De quoi éviter des états de forme divers qui complexifient le travail.
La force de la polyvalence
L'autre atout des relais tricolores réside dans la polyvalence de leurs acteurs et actrices. Là encore, une tradition française. "On a chacune des qualités différentes. Certaines sont bonnes sprinteuses, d'autres bonnes relayeuses, d'autres encore sont polyvalentes. Mais ce qui fait la force de notre collectif, c'est qu'on est toujours capable d'avoir un plan B et un plan C si quelque chose ne va pas", assure Maroussia Paré, relayeuse membre du 4x100 m.
Chacun des postes des relais exige des qualités différentes. Sur 4x100 m, "le lanceur est le plus déterminé. Celui sur la ligne opposée, c'est le talent. Le troisième est celui qui a le plus d'expérience au niveau international. Le quatrième, c'est le patron qui finit le travail ou le rattrape. Il lui faut beaucoup de sérénité, car il est à la bagarre. Il ne faut pas se désunir, avoir confiance en soi", liste Richard Cursaz.
Traditionnellement, les spécialistes du 100 m sont placés sur les lignes droites, ceux du 200 m dans les virages. "En position trois, il faut être une bonne vireuse et savoir lire la vitesse à laquelle arrive notre coéquipière, partir sur les marques et créer un maximum de vitesse pour donner à la suivante", illustre Hélène Parisot, spécialiste du demi-tour de piste et autrice d'un superbe troisième relais en finale européenne à Rome.
Mais les relayeurs et relayeuses français sont entraînés à assumer chacun des postes. L'idée est de pouvoir pallier une blessure ou une méforme, alors que la France ne dispose pas d'une grande profondeur de banc. Une même logique s'applique sur le 4x400 m, où, si les athlètes ont des préférences pour courir ou non dans le trafic, ils sont capables de permuter.
"J'ai une équipe type dans ma tête. Mais par expérience, je m'aperçois qu'il est toujours difficile de la mettre sur la piste."
Richard Cursaz, responsable du collectif français masculin du 4x100 mà franceinfo: sport
Richard Cursaz aime rappeler l'importance de préparer en amont un plan B, d'autant que Pablo Matéo et Ryan Zézé étaient alignés aux JO sur le 200 m, en plus du relais. Pour que les remplaçants éprouvent la pression et le stress d'une compétition et "qu'ils construisent leurs compétences" dans cette situation, l'entraîneur les aligne lorsqu'il le peut sur des meetings, comme à Londres, le 20 juillet. Les femmes y ont pris la 2e place derrière la Grande-Bretagne, tandis que les hommes ont terminé 6es.
A Rome, les relayeuses françaises ont décroché leur première médaille européenne depuis dix ans sur le 4x100 m, confirmant l'argent inattendu des Mondiaux de relais derrière les intouchables Américaines. La dernière médaille olympique tricolore sur cette épreuve remonte à 2004. Du côté des hommes, le podium est plus récent, avec le bronze olympique glané à Londres sur 4x100 m en 2012... sous la houlette de Richard Cursaz. Engagés sur les cinq relais possibles (4x400 m féminin, masculin et mixte, 4x100 m féminin et masculin), les Bleus ont autant d'occasions de perpétuer la tradition française et de faire vivre l'alchimie qui prouve que le relais est plus qu'une simple somme de quatre individualités.
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