: Enquête franceinfo JO de Paris 2024 : comment la France se prépare à sécuriser une cérémonie d’ouverture pharaonique et ultrasensible
Gérald Darmanin y pense-t-il tous les matins en se rasant ? Le ministre de l'Intérieur l'a suffisamment répété ces dernières semaines : c'est à lui et lui seul que revient la responsabilité de coordonner la sécurité des Jeux olympiques de Paris et de son point d'orgue, la cérémonie d'ouverture, dont les billets sont mis en vente pour les personnes préinscrites et tirées au sort, jeudi 11 mai. "Une fois par siècle, il y a un type qui n'a pas de chance, qui est ministre de l'Intérieur et qui doit organiser les Jeux olympiques à Paris. Et puis, la cérémonie d'ouverture en dehors d'un stade, c'est une fois tous les 3 500 ans puisque ça n'a jamais existé", confiait-il lors de ses vœux devant les syndicats de police Alliance et Unsa, début janvier.
De fait, la France a vu très grand pour la rampe de lancement des JO d'été : celle-ci aura lieu sur la Seine, à ciel ouvert, le 26 juillet 2024. Après le show spectaculaire des JO d'hiver de Pékin en 2022 et la cérémonie d'ouverture à l'humour so british des JO d'été de Londres en 2012, Paris n'avait d'autre choix que de se démarquer en misant tout sur le décorum. Embarqués sur une centaine de barges, 10 500 athlètes descendront la Seine sur 6 km, du pont d'Austerlitz au Trocadéro. Une déambulation fluviale devant les plus beaux monuments de la capitale et de nombreux chefs d'Etat. Mais cet événement inédit dans l'histoire de l'olympisme, vitrine des valeurs tricolores, est un casse-tête sécuritaire.
"Fluctuat nec mergitur"
Le directeur artistique de la cérémonie, Thomas Jolly, a carte blanche pour éblouir le monde entier. Le dispositif de sécurité découlera en partie de son projet, préparé dans le plus grand des secrets avec le comité organisateur des Jeux, le Cojo. "Ma tâche n'est pas des plus faciles puisqu'on me demande de protéger des événements qui ne sont pas encore définis précisément", déclarait Gérald Darmanin devant le Sénat, fin octobre. Les autorités marchent sur une ligne de crête : comment sécuriser cette cérémonie ouverte aux quatre vents sans la mettre sous cloche ? Un milliard de téléspectateurs seront devant leur écran. "Un terroriste ne peut rêver meilleure audience", relevait le ministre de l'Intérieur depuis le palais du Luxembourg.
Pour tendre vers le risque zéro, quatre groupes de travail ("quais hauts", "quais bas", "Seine" et "sécurité") se réunissent régulièrement depuis plusieurs mois, avec un mot d'ordre : "La planification." Face à une menace en quatre dimensions, nautique, terrestre, aérienne et cyber, le premier lieu à protéger est le fleuve. La devise de la capitale, Fluctuat nec mergitur ("Il est battu par les flots, mais ne sombre pas"), réactualisée après les attentats de 2015, résonne tout particulièrement.
L'une des principales difficultés est de sécuriser la parade avec autant de bateaux sur 6 km de Seine. Leur nombre, initialement fixé à 160, a été abaissé à 116. De discrets exercices sont prévus, à des dates confidentielles, pour voir comment le fleuve réagit à des mouvements de l'eau plus importants que d'ordinaire. Les pilotes ont été recensés et formés à la navigation resserrée. "Il y a beaucoup de choses à créer quasiment ex nihilo, observe Bruno Le Ray, directeur de la sécurité au Cojo. Le besoin de coordination fluviale et terrestre est immense car il va falloir déplacer les athlètes d'un point A à un point B."
Un Tetris géant sur les quais
Sur la terre ferme, c'est l'accueil du public des deux côtés du parcours, soit 12 km, qui s'annonce épineux. Sur les quais bas, gérés par le Cojo, 100 000 personnes sont attendues, celles qui auront déboursé entre 90 et 2 700 euros. Sur les quais hauts, contrôlés par la préfecture de police de Paris, la mairie et l'Etat, la fourchette fait l'objet d'âpres discussions. Un haut fonctionnaire glisse à franceinfo que le chiffre tourne autour de 300 000 alors que la mairie n'a pas perdu de vue l'objectif des 500 000. "C'est la première fois qu'on pourra assister gratuitement à une cérémonie d'ouverture des Jeux", s'enthousiasme Pierre Rabadan, adjoint à la mairie de Paris en charge du Sport, des Jeux olympiques et paralympiques.
Selon l'ancien rugbyman, la jauge finale dépendra de la taille des "sections", ces zones d'accès aux quais hauts, qui donneront ensuite accès aux quais bas. Dans ce Tetris géant, les spectateurs ne pourront pas sortir de leur section et circuler librement à l'intérieur du périmètre de sécurité. Pour éviter un phénomène d'entonnoir en cas de mouvement de foule, des corridors d'évacuation seront mis en place, avec un accès prévu pour les secours.
Un compromis a été trouvé autour de la mise en place d'une billetterie gratuite en ligne. Les modalités d'inscription sur cette plateforme ouverte au monde entier, dont un possible tirage au sort, sont en cours de discussion. Ces billets, sur lesquels un horaire d'arrivée pourrait figurer afin de réguler les flux, devraient en tout cas permettre de vérifier les identités à l'entrée. Un travail de titan, auquel il faudra ajouter la fouille des sacs, la palpation et la détection de métaux, via des portiques ou des barres portatives. Les parapluies seront-ils autorisés s'il pleut et les bouteilles d'eau en cas de canicule ? "On est en train de regarder tout ça", confie une source en haut lieu.
Eviter tout "cheval de Troie"
Le filtrage sera principalement assuré par la sécurité privée. Le 26 juillet, 3 000 agents seront mobilisés pour cette mission, a annoncé Gérald Darmanin devant le Sénat, reconnaissant la difficulté à recruter dans une profession désertée depuis la crise du Covid. La France ne veut pas reproduire le fiasco londonien : la principale société de sécurité privée britannique avait échoué à honorer son contrat, à trois semaines des JO, contraignant les organisateurs à faire appel à l'armée. "C'est une problématique récurrente. On a essayé d'en tirer les enseignements en morcelant nos appels d'offres" auprès de plusieurs entreprises de la filière, explique Bruno Le Ray.
La première vague de recrutements a permis de couvrir 25% des besoins pour les Jeux, assure le Cojo. Rémunérations en hausse, formation accélérée, démarchage téléphonique par Pôle emploi… Tout est mis en œuvre pour pallier le manque de main-d'œuvre. Afin d'éviter un scénario "cheval de Troie", dans lequel un terroriste tenterait de se faire recruter, ces agents font l'objet d'enquêtes administratives via le Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps). Même les 45 000 volontaires qui participeront à l'organisation seront passés au fichier des antécédents judiciaires.
La sécurisation de la cérémonie sera avant tout assurée par 45 000 membres des forces de l'ordre, selon Gérald Darmanin, qui a aboli la distinction des zones police et gendarmerie pendant la durée des Jeux. Le ministre a fait le calcul devant les parlemantaires : "Sur 12 km, cela représente 3 750 hommes par kilomètre, soit près de 4 tous les 100 mètres." Il faudra y ajouter 2 000 policiers municipaux et 1 000 médiateurs de la ville de Paris. Les forces spéciales d'intervention, BRI, Raid et GIGN, seront bien sûr aussi sur le pont.
"Le schéma national d'intervention en cas d'attentat est bouclé un an avant, c'est une première."
Une source policièreà franceinfo
Dans les transports en commun d'Ile-de-France, "700 patrouilles circuleront simultanément", a aussi fait savoir Gérald Darmanin.
Des menaces venues du ciel
L'objectif est de saturer l'espace public de forces de l'ordre et d'éviter de recourir en urgence à l'armée, mobilisée sur d'autres enjeux en ces temps de guerre en Ukraine. Les hommes en treillis devraient toutefois être de la partie, comme l'a annoncé le général Thierry Burkhard. Outre les 10 000 militaires de l'opération Sentinelle déployés le temps de la compétition, le chef d'état-major n'exclut pas une "contribution exceptionnelle" supplémentaire des armées françaises pour les JO.
"Les JO seront un événement international, un vrai rendez-vous pour notre pays. Il est tout à fait logique que les armées contribuent."
Le général Thierry Burkhardlors d'une audition devant la commission Défense de l'Assemblée nationale
Les militaires pourraient être chargés de la garde des barges avant le départ du défilé. Ce sont eux qui surveilleront le ciel, puisque la lutte antidrones relève du ministre de la Défense et du gouverneur militaire de Paris. Objectif : intercepter et neutraliser d'éventuels drones porteurs de bombes.
L'autre inquiétude venant des hauteurs se situe au niveau des appartements qui bordent le périmètre de la cérémonie. "L'une des plus grandes difficultés est de vérifier qui logera dans les immeubles en face", souligne l'élu Pierre Rabadan, alors que de nombreux propriétaires songent à louer leur logement. Les précédents du G7 à Biarritz ou encore des défilés du 14-Juillet sur les Champs-Elysées seront mis à profit pour créer une sorte de "gaine de sécurité" autour de la Seine, glisse une source bien informée. Pas moins de 400 caméras supplémentaires vont par ailleurs être installées dans la capitale.
La sécurité avant le sport ?
La dernière menace pour le jour J est immatérielle. La cérémonie d'ouverture des JO de Tokyo, en juillet 2021, avait fait l'objet de quatre milliards de cyberattaques, comme l'a rappelé le ministère de l'Intérieur. Des hackers peuvent s'en prendre à "l'outil de billetterie, aux QR codes, au logiciel qui centralise le déroulé technique de la cérémonie, le timing de départ de chaque bateau", liste Pierre Rabadan. L'éclairage public ou les moyens de communication radio peuvent aussi être ciblés. "On fait en sorte de réduire toutes les vulnérabilités et on dispose d'équipes qui peuvent résoudre une situation critique dans la minute", rassure un haut fonctionnaire. L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), chargée de coordonner toute la stratégie cyber des Jeux, prévoit plusieurs exercices de crise cette année.
Pour concentrer les efforts sur le périmètre de la cérémonie, il est possible que les fan zones prévues dans Paris pendant la compétition soient fermées ce soir-là. "Il peut y avoir une certaine déception chez les gens car cela ne sera peut-être pas la grande fête populaire que tout le monde imaginait dans l'environnement sécuritaire que l'on connaît aujourd'hui", regrette Armand de Rendinger, consultant international pour le sport et l'olympisme.
"Comment sécuriser tout ce bazar sans nuire au spectacle ?"
Armand de Rendinger, consultant international pour le sport et l'olympismeà franceinfo
C'est compter sans le climat social lié à la réforme des retraites qui pèse sur les Jeux. Et sur un budget sécurité qui risque de dépasser les 295 millions d'euros chiffrés pour l'ensemble des JO par le comité d'organisation. "ll n'y aura pas de lieu mieux sécurisé que Paris le 26 juillet 2024", balaie Pierre Rabadan. Mais l'ancien joueur du Stade français invite à ne pas mettre la sécurité avant tout le reste : "N'oublions pas de nous enthousiasmer !"
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