Natation aux JO 2024 : "C'est comme nager dans la mer..." On vous explique pourquoi la piscine olympique de Paris La Défense Arena est vraiment lente
Aucun record du monde en quatre jours, même pour Léon Marchand, sacré sur 400 m 4 nages. Pour des Jeux olympiques, considérés comme la compétition ultime par les nageurs, c'est rare. A l'œil nu, rien ne semble différent tant les finales offrent, jusqu'ici, un spectacle de premier plan. Mais dans les entrailles de la sublime Paris La Défense Arena, le sujet est sur toutes les lèvres : la piscine olympique est lente.
Dès le premier jour, samedi 27 juillet, Camille Lacourt, quintuple champion du monde (sur 50 m et 100 m dos) et consultant France télévisions, avait évoqué cette impression visuelle. Les jours suivants n'ont fait que le confirmer. "C'est un peu comme nager dans la mer mais pas autant quand même. Il y a beaucoup de vagues à la sortie du virage", a résumé dans The Sun [en anglais] le Britannique Jacob White, engagé sur le 100 m nage libre. "Les nageurs voient que les résultats ne sont pas comme d'habitude, mais ils se sentent bien dedans, et ils ne vont pas perdre d'influx là-dessus, pondère néanmoins l'ancien dossiste français. L'important, c'est les médailles, pas le temps."
Avec Robin Pla, responsable de l'optimisation de la performance de l'équipe de France de natation, qui récolte avec son équipe d'experts toutes les données statistiques et scientifiques, les chiffres sont venus confirmer tout ça : "Je peux affirmer avec une énorme certitude que la piscine est lente." Qu'est-ce qui l'explique ? FranceInfo: sport a fait le tour de la question.
Le facteur : 2,20 m de profondeur, une piscine propice aux turbulences
Plusieurs facteurs (profondeur, température, gouttières sur les côtés, etc...) peuvent influer sur la rapidité ou la lenteur d'une piscine. Celui qui concerne, très particulièrement, le bassin de la Paris La Défense Arena réside dans sa profondeur. World Aquatics recommande vivement aux organisateurs des compétitions internationales (JO, championnats du monde et d'Europe) une profondeur de 2,50 m. A Nanterre, le fond de la piscine olympique se situe à 2,20 m, contre 3 m lors des Jeux de Tokyo en 2021.
Ce manque de profondeur favorise les turbulences sous-marines qui viennent perturber les nageurs. "On admet que plus la profondeur de la piscine est importante, moins il va y avoir des répercussions de vagues au fond du bassin et sur les côtés, rappelle Robin Pla. Donc, forcément, ça génère moins de turbulences. Cet écart, de 80 centimètres [par rapport à Tokyo], est considérable. Il y a des nageurs qui vont jusqu'à 1,60 m de profondeur au moment du plongeon. Sur des coulées de virages, c'est un peu moins, mais ça peut quand même aller jusqu'à plus d'un mètre."
"Un nageur va amener beaucoup d'eau autour de lui et forcément, il y a plus de turbulences. Donc, ces turbulences arriveront plus vite sur le nageur parce qu'il y a moins de fond. Tout simplement."
Robin Pla, patron de l'optimisation de la performance de la FFNà franceinfo: sport
Ce n'est pas le seul élément spécifique de ce bassin olympique : "Un nageur de l'équipe de France m'a dit que c'était impressionnant toutes les caméras qu'il y avait sous l'eau, raconte le technicien. Quand tu n'as que 2,20 m et que tu rajoutes des caméras, toutes les turbulences peuvent vraiment se rapprocher de toi." Des éléments dont les conséquences se font ressentir après la première longueur : "Sur la première coulée de départ, comme ils partent sur une masse d'eau inerte, il n'y a pas encore de résistance et ils ne se tapent pas encore des rebonds. En revanche, quand un nageur vient faire son virage et qu'il repart, c'est là qu'il arrive avec beaucoup de vitesse."
La stat' : 8% seulement des médaillés ont battu leur record personnel, contre 50% aux JO de Tokyo
Les statistiques, liées aux performances de ces Jeux olympiques, sont édifiantes. Selon les données du service optimisation de la Fédération française de natation (FFN), les nageurs engagés n'arrivent pas à réaliser des performances à la hauteur de l'événement. Ils ont même beaucoup de mal à effacer leurs précédents records personnels, programmés pour être battus à l'occasion des meilleurs rendez-vous. "Sur les 96 finalistes que nous avons pu avoir jusqu'ici, neuf seulement ont battu leurs records personnels, constate Robin Pla. Pire encore : seulement trois médaillés sur 36 ont obtenu un temps plus rapide que leurs précédentes références chronométriques ! Ce sont des statistiques absolument dingos. Sur des Jeux olympiques, on n'a jamais ce genre de pourcentages. C'est incroyable."
"A Tokyo, 50% des médaillés, toutes nationalités confondues, avaient battu leur record personnel. Alors que là, nous ne sommes qu'à 8% !"
Robin Pla, boss de la data des Bleusà franceinfo: sport
Une constatation d'autant plus étonnante que les JO surviennent, généralement, au pic de forme absolu des athlètes. "En général, il y a quand même à peu près la moitié des médaillés qui vont plus vite. Sur les finalistes, on a au moins 30 à 40% qui font mieux alors que là, c'est plutôt entre 10 et 15%. Sur chaque JO, tu as des meilleurs temps que l'année d'avant sur les Mondiaux."
Les cas individuels : Léon Marchand et Gretchen Walsh, références sous l'eau, ont perdu du temps dans leurs coulées
Si une immense majorité des athlètes est directement touchée par la lenteur de la piscine, on aurait pu penser que les meilleurs nageurs de la planète seraient exemptés de ce genre de phénomène. Il n'en est rien. Jusqu'ici, tous, sans exception, ont du mal à se rapprocher de leur meilleure marque personnelle. Deux cas de figure individuels ont été particulièrement analysés par le service de la data de la FFN, et pas n'importe lesquels : Léon Marchand (22 ans) sur son 400 m 4 nages et l'Américaine Gretchen Walsh (21 ans) sur le 100 m papillon.
"Pour Léon, cela ne s'est pas joué à grand-chose [de battre son record du monde], alors qu'il a été un peu moins vite sur les coulées, analyse Robin Pla. Quand on prend le temps aux quinze mètres, donc les temps vraiment passés sous l'eau, au total il perd six dixièmes par rapport à Fukuoka, alors que dans la partie nage, il gagne un dixième." Alors que les données de puissance développée et de fréquence sont identiques, voire meilleures, entre le Japon (2023) et les Jeux de Paris.
L'Américaine, elle, avait survolé jusqu'à maintenant les débats sur sa distance fétiche, détenant notamment le record du monde du 100 m papillon (55''18). "Elle a claqué un nouveau record en juin et elle sortait d'une saison énorme en NCAA [le championnat universitaire américain], souligne le responsable de l'optimisation de la performance des Bleus. Selon nos analyses, elle perd surtout du temps sur sa deuxième coulée alors que c'est, justement, son point fort ! Pourtant, elle y perd presque trois dixièmes. Donc c'est bien sur ça qu'elle a perdu la finale du 100 m papillon [55''63 face à sa compatriote Torri Huske, en 55''59]."
Considérés comme les meilleurs nageurs sous-marins de la planète, les deux, bien qu'au top de leur forme et en constante progression, ont pourtant perdu du temps sous l'eau. "Ils sont allés un petit peu moins vite lors des virages et des coulées qui suivent, parce que c'est moins profond et que c'est là où ils se sont pris un peu plus de résistance."
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