Paris 2024 : "Les JO sont absolument politiques"... La trêve olympique, un idéal qui n'en a que le nom ?
Fin novembre 2023, Assemblée générale de l'Organisation des nations unies (ONU). Comme le veut la tradition, à l'automne qui précède une année de Jeux, l'organe adopte la trêve olympique qui entrera en vigueur peu avant le début des épreuves. Mais cette édition à New York est particulière. Pour la première fois, la trêve n'est pas validée par consensus, et il faut organiser un vote. Cent dix-huit pays se prononcent pour, deux s'abstiennent, la Russie et la Syrie. Vecteur symbolique de paix, la trêve olympique est désormais un idéal bien fragilisé.
Aujourd'hui installée parmi les traditions olympiques, la trêve a été instaurée au début des années 90. "Il y a eu de la part du CIO la volonté de faire un rapprochement avec les Nations unies, et à l'occasion d'une Assemblée générale en 1993 est apparue l'idée d'une résolution pour mettre en avant cette notion de trêve sacrée qui serait à respecter pour chaque JO d'été et d'hiver", décrypte Sylvain Bouchet, historien spécialiste de l'olympisme alors que débute la trêve, vendredi 19 juillet.
Tradition antique remise au goût du jour
Si la trêve version moderne n'est pas née en même temps que la rénovation des JO, elle reste tout de même l'héritage d'un concept bien présent dans l'Antiquité, l'ekecheira (trêve), d'importance majeure dans le contexte de l'époque. "Les Grecs n'ont jamais été unis, il y avait une multitude de cités-États. Le temps normal, c'était la confrontation, la guerre. La trêve permettait la libre circulation des spectateurs, des athlètes pour se rendre sur les lieux des concours", rappelle l'historien.
Adoptée avant chaque édition par l'Assemblée générale des Nations unies à partir de 1993, la trêve olympique prévoit un arrêt des conflits entre sept jours avant le début des Jeux olympiques et sept jours après la fin des Jeux paralympiques. "Son but est de préserver, dans la mesure du possible, les intérêts des athlètes et du sport en général ainsi que d'utiliser le rôle du sport pour promouvoir la paix, le dialogue et la réconciliation", est-il écrit sur le site internet des Jeux olympiques.
Un idéal malmené
Un beau symbole sur le papier, mais sans effet dans les faits. "La trêve olympique reste un idéal, malheureusement ça n'a jamais arrêté les conflits", affirme Sylvain Bouchet. Déjà dans l'Antiquité, elle n'était pas toujours respectée. "Les JO ont duré douze siècles, on n'est pas renseigné sur toutes les éditions mais il y a dû avoir quelques écarts. Et on sait aussi que sur le site d'Olympie il y a eu des batailles, des auteurs comme Pausanias ou Xénophon en parlent", relate l'historien. Par exemple, à l'époque, un cadavre de soldat momifié a notamment été retrouvé dans le temple d'Olympie, témoignage de combats armés sur le site historique des Jeux.
De nos jours, l'idéal semble de plus en plus malmené. Depuis le début du XXIe siècle, de nombreuses éditions des Jeux olympiques ont vu leur trêve brisée par des conflits armés. En 2008, à la veille de la cérémonie d'ouverture à Pékin, le 7 août, l'armée géorgienne avait déclenché une offensive en Ossétie du Sud face à la Russie. Six ans plus tard, des troupes russes avaient occupé la Crimée en plein Jeux de Sotchi. Et quatre jours à peine après la fin de la dernière édition, à Pékin à l'hiver 2022, la Russie envahissait l'Ukraine, début d'un conflit qui dure encore aujourd'hui. Le CIO avait immédiatement "condamn[é] fermement la violation de la trêve olympique par le gouvernement russe". "Aujourd'hui la trêve olympique est un élément de communication, ce n'est pas une réalité. À l'Antiquité, elle permettait aux sportifs de circuler d'une ville à l'autre sans se faire tuer, cela n'a rien à voir avec l'idée que l'idéal olympique est la paix sur terre", affirme Jean-Baptiste Guégan, spécialiste de la géopolitique dans le sport.
"Ce ne sont pas les JO qui vont remettre en cause la géopolitique mondiale. Les exemples récents le montrent."
Sylvain Bouchet, historienà franceinfo: sport
Cet été, la guerre en Ukraine va forcément marquer le contexte autour des Jeux de Paris, et l'esprit de la trêve olympique, adoptée par vote après une réclamation portée par la Russie, mais écartée par les dirigeants des deux nations. Côté russe, Vladimir Poutine a dénoncé à plusieurs reprises une violation des principes de la charte olympique avec l'exclusion des sportifs russes et biélorusses. "Les fonctionnaires sportifs internationaux violent aujourd'hui les principes de la charte olympique [...] à l'égard de la Russie en empêchant nos sportifs de participer aux JO sous leur drapeau, avec leur hymne national, mais ils veulent que nous nous pliions aux règles qu'ils nous imposent", avait-il déclaré à la presse russe en mai.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a lui aussi rejeté l'idée de trêve. "Nous ne sommes pas contre une trêve, nous ne sommes pas contre la fin de la guerre. Mais nous voulons une fin juste à cette guerre. Et nous sommes contre une trêve qui ferait le jeu de l'ennemi", avait ainsi dévoilé le président ukrainien à l'AFP en mai. "Les Ukrainiens n'étaient pas fans, parce qu'avoir une trêve olympique, c'était les contraindre sur le plan militaire à s'arrêter, sous peine d'être pointés du doigt par les Russes s'ils ne la respectaient pas", décrypte Jean-Baptiste Guégan.
Entre promotion et dissociation
Si la trêve n'est donc pas vraiment un moyen d'arrêter, même momentanément, les conflits, elle serait plutôt un symbole pour tenter de promouvoir les idéaux de paix. "On arrive à avoir des athlètes qui sont là, qui se rencontrent, en soi ça correspond à cet idéal", estime Sylvain Bouchet. Dans ce but, le CIO et la Grèce fondent en 2000 le Centre international pour la trêve olympique, basé à Athènes. "Il y a l'idée de sensibiliser les jeunes, de mettre en place des initiatives, ça peut passer par des expositions, des rencontres, il y a une dimension pédagogique", explique l'historien.
Certains y voient aussi un moyen de renforcer l'apolitisme affiché du CIO et des Jeux olympiques, en les éloignant symboliquement des conflits. "Le CIO cherche à mettre en avant le fait que le sport est loin de la politique, mais les JO sont absolument politiques", assure Sylvain Bouchet, qui évoque le choix des villes hôtes ou des partenaires économiques en illustration. "Ça renforce le mythe de l'apolitisme du CIO, ça réaffirme cette fiction de l'apolitisme du sport, et ça sert les intérêts commerciaux du CIO", note Jean-Baptiste Guégan.
Pour lui, le CIO reste néanmoins dans son rôle. "Ce principe qui ne débouche pas sur une réalité permet quand même au CIO de rester en contact avec tout le monde et de reconnaître des États ou des acteurs qui ne le sont pas par l'ONU. Les relations sont possibles entre les comités nationaux olympiques israéliens et palestiniens, ce qui n'est pas le cas entre les deux États." La trêve n'arrête pas les combats, mais accompagne un rendez-vous auquel prendront part, dans quelques semaines à Paris, des athlètes de plus de 200 pays, dont des Russes, Israéliens, Ukrainiens et Palestiniens.
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