Paris 2024 : où en sont les promesses de "Jeux populaires" et "accessibles à tous" ?
Plus qu'un slogan, une philosophie. Depuis le dépôt de la candidature en 2016, le Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 (Cojop) n'a eu de cesse de répéter que ces Jeux, les premiers d'été organisés en France depuis 1924, seraient "populaires" et "accessibles à tous". Brandis en étendard dans chaque discours, à commencer par ceux du patron des Jeux Tony Estanguet, ces mots, en forme de promesses, ont fini par se retourner contre les organisateurs, pris au piège de leur propre communication. À l'épreuve des faits, des critiques ont en effet surgi sur le prix des places, le mode de tirage au sort pour acheter des billets, mais aussi la hausse des tarifs du ticket de transports en commun ou encore l'accessibilité pour les personnes en situation de handicap.
En décidant d’axer sa communication initiale sur ce slogan de "Jeux populaires", Paris 2024 a fait naître des rêves. "La promesse était, je pense, sincèrement réelle, mais on sait bien que la réalité n'est pas forcément toujours audible et compréhensible par le grand public et qu'il peut y avoir des écarts de compréhension en matière de communication, voire un écart entre la promesse et la perception", analyse Magali Tézenas du Montcel, directrice générale de Sporsora (organisation référente pour penser et influencer le développement de l'économie du sport) et experte en marketing sportif.
"Par essence, les Jeux sont toujours soumis à la critique"
Selon elle, ce constat est le lot des pays organisateurs. "Par essence, les Jeux, où qu'ils aient lieu, sont toujours soumis à la critique, compte tenu de l'ampleur de l'événement et des défis à relever. À Londres en 2012, on nous prédisait le pire. Tout comme à Barcelone en 1992. Cela durera jusqu'à la cérémonie d'ouverture, où la magie des Jeux opérera." La volonté assumée de "casser les codes" est venue amplifier ce mouvement d’ouverture au grand public, avec notamment l’annonce de cette cérémonie d’ouverture pour la première fois hors d’un stade. Plusieurs centaines de milliers de personnes pourront ainsi y assister gratuitement sur les quais de Seine. Autres opérations inédites : le marathon pour tous, ouvert au grand public sur le parcours olympique, ou encore la multiplication de sites de célébrations gratuits…
Mais les premières grandes crispations sont survenues dès les premières phases de vente de la billetterie, en début d'année 2023. Que ce soit les acheteurs ou ceux qui ont décidé de passer leur chemin, ils ont été nombreux à exprimer leur frustration, face à cette billetterie par tirage au sort, dénonçant des tarifs exorbitants et la complexité de la formule d'achat. "Dégouté des #JO2024 !! Tout ça à cause du système de tickets et des prix de dingue !! Impossible de se faire des JO en famille. Ils vivent vraiment sur la planète sport au comité d’organisation ?", s'insurgeait, parmi tant d'autres, un utilisateur du réseau social X une semaine après l’ouverture de la première phase de vente.
Razzia sur les billets
"Un million de billets [soit 10 % du total] sont vendus à 24 euros, et 50 % sont des places à moins de 50 euros [pour tous les sports]. À côté, les autres tickets [aux prix plus élevés, atteignant des centaines d'euros] doivent financer les Jeux. Ils équilibrent le modèle économique. (...) Ce sont les prix des grands événements", se défendait Tony Estanguet le 22 février dernier au micro de RTL, avant de souligner que les Jeux de Paris 2024 n'étaient "pas plus chers que les Jeux de Londres (2012) ou pour assister à la Coupe du monde de football et au Mondial de rugby". Ce modèle permet ainsi au Cojop de maintenir son objectif d'un budget d'organisation financé à 96 % par des recettes privées, dont la billetterie et les hospitalités en représentent un tiers.
"Seulement 5 % de nos billets qui sont à 400 euros ou plus et 10 % à 200 euros ou plus, argue Michaël Aloïsio, directeur général délégué de Paris 2024. Mais la perception du grand public n'est pas celle-là. La plupart des gens n'ont vu sur la plateforme que les billets restants, les plus chers, qui ont une durée de vie plus longue que les billets à 24 euros. Aujourd'hui, on a davantage de billets à 50 euros et moins, que l'ensemble des billets d'une Coupe du monde de football." Mis à part les chanceux tirés au sort rapidement, beaucoup n'ont donc eu accès qu'aux billets les plus chers. De quoi rendre l’addition salée pour une famille aux revenus modestes voulant vivre l'expérience olympique. Toutefois, l'engouement autour des JO s'est confirmé puisque plus de 7 millions de billets sur les 10 millions à vendre ont déjà trouvé preneurs.
"Quand vous comparez les prix avec des places de NBA, ou un concert, ils ne sont pas scandaleux. La promesse était très forte, cela a certainement déçu beaucoup de monde, ceux qui pensaient peut-être assister aux Jeux gratuitement."
Magali Tézenas du Montcel, directrice générale de Sporsora et experte en marketing sportifà franceinfo: sport
"On l'oublie parfois, les Jeux restent malgré tout une compétition premium, le plus grand événement mondial, avec forcément des contraintes très encadrées par le CIO et des coûts qui sont liés à la qualité et à l'ampleur de l'événement", résume cette spécialiste. Car accueillir des JO revient à organiser sur son territoire des championnats du monde pour chacune des disciplines olympiques en simultané.
Les organisateurs ont-ils rapidement réalisé le risque de mauvaise compréhension, et ont donc anticipé un changement de discours en conséquence ? En effet, quelques mois avant le lancement de la billetterie, le vocabulaire utilisé par Paris 2024 a évolué. Exit les "Jeux populaires", place aux "Jeux ouverts". "Depuis que l'on a lancé la signature 'Ouvrons grand les Jeux' [en juillet 2022], on parle plutôt de 'Jeux ouverts' dans toute notre communication, car le sujet de l'accessibilité et de l'ouverture des Jeux nous guide depuis le départ. C'est devenu la signature et l'identité du projet", affirme le directeur général délégué de Paris 2024, qui écarte tout lien entre les critiques et ce changement de slogan.
Retards et renoncement sur l'accessibilité
Dans l'identité du projet, les organisateurs ont également toujours beaucoup insisté sur la notion d'accessibilité à tous, l'un des enjeux majeurs de la réussite des Jeux. Fin novembre, l’augmentation des tarifs du ticket de transport pendant la période des Jeux est annoncée, alors même que dans sa candidature, Paris 2024 promettait la gratuité pour les détenteurs de billets. "On avait rayé cette ligne, car il y avait pour nous un enjeu d'équilibre budgétaire, expliquait Michaël Aloïsio, directeur général délégué de Paris 2024 à franceinfo fin novembre. Il y avait aussi une réalité d'efficacité, ça n'avait pas de levier incitatif pour les gens de prendre des transports en commun. Car pour aller sur les sites, il faudra quoiqu'il arrive les prendre."
David Roizen, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès et spécialiste des questions liées au sport, décryptait dans ce même article ce changement de cap : "C'est simple, les promesses électorales énoncées lors de la cérémonie d'attribution à Lima en 2017 se fracassent contre les réalités de Paris 2024. Proposer la gratuité des transports à autant de monde, ce n'est tout simplement pas tenable vu le contexte."
Et qu'en est-il de l’accueil et du transport des personnes en situation de handicap ? Le slogan des "Jeux ouverts à tous", leur était notamment destiné. "Il y a un décalage entre le projet de Paris 2024 qui a permis de remporter les Jeux et l'état des lieux que l'on fait aujourd'hui", regrette Pascale Ribes, présidente d’APF France handicap. "S'il y a eu des avancées sur le tram, on ne sera pas prêt sur le métro, où à peine 3 % des stations parisiennes sont accessibles aux personnes en fauteuil", constate-t-elle. Sur le logement, le bilan n'est guère meilleur. "À Paris et en Île-de-France, il y a un peu moins de 3 000 chambres adaptées, alors que l'on attend entre 4 000 et 5 000 personnes en fauteuil roulant chaque jour. C'est un retard que l'on ne va pas rattraper", déplore Pascale Ribes, qui veut toutefois garder "les Jeux comme levier" pour obtenir des engagements sur l'héritage laissé en matière d'accessibilité.
Si l'on regarde un peu plus loin, y aura-t-il aussi un héritage sur l'universalité de ces Jeux ? Fin octobre, le collectif Le revers de la médaille, rassemblant près de 70 associations, a signé une lettre ouverte afin de dénoncer un "nettoyage social" des personnes migrantes et sans domicile fixe dans les rues de la capitale à quelques mois du début des JO. "On parle des Jeux les plus exemplaires et inclusifs de l'histoire, mais pour le moment, ce n'est pas le cas, alerte Paul Alauzy, porte-parole du collectif, actuellement en contact avec le Cojop et les services de l'Etat. Les JO pourraient être une opportunité de faire bouger les lignes sur l'accueil des personnes à la rue."
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