Infographies Pourquoi on ne peut pas (encore) affirmer que la Seine est baignable

D'après les données publiées par la mairie de Paris, la situation s'est légèrement améliorée depuis juin. Mais il est encore trop tôt pour être sûr de pouvoir se baigner dans la Seine en 2025.
Article rédigé par Brice Le Borgne
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
Le 17 juillet, la maire de Paris se baignait dans la Seine. (VICTORIA VALDIVIA / HANS LUCAS)

L'épreuve de triathlon masculin reportée ce mardi 30 juillet. Les pluies tombées vendredi 26 et samedi 27 juillet ont souillé le fleuve, si bien que des valeurs "encore supérieures aux limites acceptables" ont été relevées, selon les organisateurs des Jeux olympiques de Paris 2024. Déjà, dimanche et lundi, les sessions de "familiarisation" des participants au triathlon avaient été annulées, laissant planer une incertitude pour la suite.

Deux semaines plus tôt, c'était la maire de Paris qui descendait dans la Seine, en compagnie du préfet d'Ile-de-France et du patron des JO. "La baignade dans la Seine, certains en ont rêvé, beaucoup en ont douté, et nous, nous l'avons fait !", avait alors scandé Anne Hidalgo. Depuis, des résultats d'analyses publiés sur le site de la Ville de Paris ont révélé que les prélèvements réalisés sur le lieu de nage de la maire dépassaient (de peu) les seuils de baignabilité.

Une opération de communication très encadrée, qui ne change donc rien à une interdiction vieille de 101 ans : la Seine n'est toujours pas baignable pour le grand public. Après plusieurs années de travaux et un plan baignade de 1,4 milliard d'euros, est-il tout de même possible de constater des évolutions et une amélioration de la qualité de l'eau ?

Depuis le début du moins de juin, la Ville de Paris publie chaque semaine sa "Météo de la Seine". Huit courbes et de brèves analyses sur les résultats de prélèvements sur quatre points : Bercy, Bras Marie, Alexandre III et Bras de Grenelle. Ces lieux, représentés dans la carte ci-dessous, correspondent aux trois espaces de baignade que la Ville de Paris espère pouvoir ouvrir à l'été 2025, et au site olympique.

Ces données permettent de surveiller les deux bactéries que redoutent le plus les autorités sanitaires : les Escherichia coli et les entérocoques. La présence en trop grande quantité de ces germes, initialement présents dans les intestins, est indicatrice d'une eau considérée comme trop dangereuse. Les nageurs pourraient y attraper des gastro-entérites ou des maladies de la peau. Les experts s'inquiètent aussi de la présence, dans la Seine, de leptospires, qui peuvent provoquer la leptospirose, bénigne chez l'homme, mais qui peut parfois conduire à des cas d'insuffisance rénale. Certaines professions et les personnes pratiquant des loisirs nautiques tels que la baignade sont "particulièrement à risque", note l'Institut Pasteur.

De meilleurs résultats depuis juin

Les données publiées par la mairie de Paris montrent-elles une amélioration de la qualité de la Seine par rapport aux années précédentes ? Il est encore trop tôt pour l'affirmer : en 2023, par exemple, les prélèvements n'étaient faits qu'hebdomadairement jusqu'à la mi-juillet. Il semble donc hasardeux de les comparer avec les analyses de cette année, qui sont, elles, quotidiennes. Il faudra attendre la fin de l'été pour détenir des données exhaustives et comparables.

Il reste possible d'analyser les résultats obtenus depuis début juin, et de les passer au tamis des différents critères de baignabilité. Un des enjeux étant la bonne tenue des épreuves de triathlon (30 et 31 juillet, 5 août) et de natation-marathon (8 et 9 août), une première analyse peut être faite par le prisme des seuils visés par les fédérations internationales de triathlon et de natation : si une eau dépasse les 1000 npp/100 ml d'eau en E. coli, et les 400 en entérocoques, alors elle est jugée "mauvaise", et, en théorie, aucune des deux disciplines ne peut s'exercer.

Depuis le 3 juin, la situation semble s'être améliorée au niveau du Pont Alexandre-III. Là où, quatre jours avant Anne Hidalgo, la ministre Amélie Oudéa-Castera glissait dans le fleuve, alors que le débit atteignait les 500 m3/s, record pour la saison. Comme le montre le graphique ci-dessous, alors que la quasi-totalité du mois de juin était classée mauvaise, notamment en raison de ce fort débit, on ne compte que trois jours dans ce cas depuis début juillet. L'eau n'a été jugée "bonne ou excellente" que cinq jours depuis début juillet – un niveau pourtant recherché par la Fédération internationale de natation pour ses compétitions en eaux libres.

Mais ces données ne reflètent que partiellement la qualité de l'eau sur le futur site olympique, qui s'étend jusqu'au pont de l'Alma. La qualité de l'eau y est mesurée sur une poignée d'autres points, dont on ne sait rien des résultats, et qui pourraient radicalement changer les conclusions. Interrogée à ce sujet, la mairie de Paris n'a pas souhaité transmettre ces données complémentaires, nous renvoyant à "une publication en fin d'année" avec tous les résultats. 

D'autres chiffres sont particulièrement surprenants concernant le site olympique. Comme il est possible de le constater dans nos infographies, basées sur les données publiées par la mairie de Paris, du 10 au 17 juillet, le pont Alexandre-III affiche uniquement des valeurs arrondies à la dizaine (960, 910, 810...). Les autres jours, les valeurs sont beaucoup plus précises et variables. Interrogée sur cette bizarrerie statistique, observée sept jours consécutifs sur les deux bactéries, la mairie de Paris n'avait pas répondu à l'heure de publier cet article.

Autre objet d'étonnement : les données du pont Alexandre III au 12 juillet. "Les orages et épisodes de pluie importants de la nuit du 11 au 12 juillet ont à nouveau dégradé la qualité de l’eau", analyse la Ville de Paris. Mais cette dégradation n'est pas observée à Alexandre III, pourtant situé entre Bras Marie et Bras de Grenelle, deux stations où les valeurs en E. coli ont explosé. Thomas Thiebault, maître de conférences à l'Ecole pratique des hautes études, interrogé par franceinfo sur ce phénomène, partageait l'étonnement de voir une valeur d'Alexandre III quatre fois inférieure à celle de Bras Marie, le lendemain de fortes pluies. "L'heure du prélèvement dans la journée est parfois une explication", suggère-t-il. La mairie de Paris n'a pas répondu à franceinfo sur ce point.

La Seine baignable en 2025 ?

L'autre objectif poursuivi par Paris est la baignabilité de la Seine sur le long terme, à partir de l'été 2025, promet la mairie. Pour ce faire, les autorités passent les données au tamis d'un autre seuil, fixé par une directive européenne de 2006, et repris par les agences régionales de santé : si les analyses montrent qu'une eau dépasse les 900 npp/100 ml d'eau en E. coli, et les 330 en entérocoques, alors la qualité est insuffisante et la baignade n'est pas possible. 

De ce point de vue aussi, on note une amélioration de la qualité de l'eau depuis le début des prélèvements, le 3 juin 2024. A partir de la fin juin, on observe plusieurs jours consécutifs où les seuils critiques ne sont pas dépassés. Mais on ne dénombre que dix jours où la qualité de l'eau était suffisante sur l'ensemble des quatre points mesurés.

A de multiples reprises, les chiffres repartent à la hausse, en raison de précipitations ou d'incidents ponctuels, d'après les explications fournies par la Ville de Paris. "La dégradation observée le 5 juillet au niveau du site de Grenelle est vraisemblablement liée à une pollution ponctuelle locale qui ne s’observe pas sur les trois autres points", note par exemple la ville. 

D'après les élus de Paris ou les membres du gouvernement, ces résultats sont à mettre au crédit des différents chantiers entrepris ces derniers mois. Le raccordement des péniches pour éviter qu'elles déversent leurs eaux usées dans la Seine, la mise en route du bassin de stockage d'Austerlitz pour éviter les déversements d'égouts dans la Seine en cas de fortes pluies, ou le lancement d'un autre réservoir, le "VL8", en Essone. Un autre enjeu est la réparation de branchements de bâtiments rejettant leurs eaux usées dans la Seine. A la mi-juin, Mediapart révélait que seule une petite partie de ces réparations avaient été réalisées.

Difficile, néanmoins, de mesurer le rôle de ces efforts coûteux sur la qualité de l'eau, et de le comparer avec celui des conditions météorologiques. "Nous sommes dans un état dynamique, explique Thomas Thiebault. Pour chaque raccordement ou bassin, on a du mal à quantifier sa valeur ajoutée, parce qu'on n'a pas de point de comparaison. On manque encore de recul, mais toutes ces installations sont quand même bénéfiques pour la qualité de la Seine". Et ce, tant pour la baignabilité du fleuve que pour sa biodiversité.

Des doutes subsistent pour l'été 2025. En théorie, un site doit disposer de 90% de bons prélèvements sur une période pour être ouvert à la baignade publique au même moment l'année suivante. Or, depuis le 3 juin, on compte une trentaine de jours au-delà du seuil critique, rendant déjà impossible d'atteindre la barre des 90% pour toute la saison estivale. La baignade ne pourrait donc être autorisée, au mieux, qu'une partie de l'été prochain. Une analyse de l'ensemble des données de l'été 2024 sera nécessaire pour savoir dans quelle mesure les autorités pourront tenir leur promesse.

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