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Police, gendarmerie, armée de terre… Pourquoi les ministères recrutent-ils les athlètes de haut niveau ?

Près de 300 athlètes sous contrat avec un ministère préparent Paris 2024 et Milan-Cortina 2026. Un soutien ancien de la part du secteur public, qui sert aussi des enjeux de communication.
Article rédigé par franceinfo: sport - Anaïs Brosseau
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
La biathlète Julia Simon, le coureur du 800m Gabriel Tual et la judoka Clarisse Agbégnénou, trois sportifs français sous contrat avec un ministère. (AFP)

Des champions olympiques posant devant la tour Eiffel, médaille à la main et calot sur la tête. Tel est le rêve de la police nationale. Et sûrement celui aussi de la gymnaste Carolann Héduit, du spécialiste du double tour de piste Gabriel Tual ou encore de la nageuse Emma Terebo qui viennent de rejoindre les rangs de l'institution. Début février, durant deux semaines, ils ont troqué justaucorps, short et maillot de bain pour l'uniforme. Outre une formation à la déontologie et au droit pénal, ils ont affûté leur tir de précision et de riposte, ainsi que leurs techniques de palpation et de menottage, pour valider leur intégration à la réserve opérationnelle.

Au total, 31 sportifs, dont cinq para-athlètes, ont été recrutés à la suite de l'appel formulé en octobre 2022 par la direction générale de la police, qui cherchait à relancer son soutien au sport de haut niveau, dans la perspective des Jeux olympiques de Paris. "On soutenait jusqu'ici 25 sportifs, soit la moitié de notre objectif. Il fallait être policier avant d'être sportif de haut niveau. C'était rédhibitoire, car cela impliquait entre quatre mois et un an de formation, éclaire Rachel Costard, commissaire chargée de la mission sport au sein de la police. Désormais, on propose un contrat de travail de deux ans renouvelables, rémunéré au smic." Les deux contreparties attendues : donner 25 jours par an de son temps à l'Etat et obtenir l'habilitation au port d'arme, qui leur permet de rejoindre un équipage lors d'une vacation comme n'importe quel réserviste opérationnel. 

La gymnaste Carolann Héduit et la nageuse Emma Terebo (de gauche à droite) lors de leur formation pour obtenir leur habilitation au port d'armes, début février 2023, dans un commissariat d'Île-de-France. (PHILIPPE DAURIOS / DGPN)

Outre la police nationale, la gendarmerie, les trois armées ou encore les douanes peuvent s'enorgueillir de compter parmi leurs recrues des champions. À l'instar de Johan Clarey et Julia Simon (douane), ou Tessa Worley et Lou Jeanmonnot (armée de terre), actuellement engagés lors des Mondiaux de ski, à Courchevel-Méribel, et de biathlon, à Oberhof (Allemagne). 

Une tradition ancienne

"Les organisations publiques ont été les premières à soutenir les sportifs. Les entreprises privées et marchandes sont arrivées bien plus tard", retrace Christopher Hautbois, maître de conférence à la faculté des sciences du sport de Paris Saclay. "Au début des années 80, sous Mitterrand, le soutien s'est accéléré avec la signature de conventions entre le ministère des sports et des organismes publics comme la SNCF ou la RATP, pour jeter les bases des aides aux sportifs." Aujourd'hui, ces aides publiques, perçues comme "nécessaires" à la performance des athlètes perdurent sous diverses formes, mais sont régulièrement critiquées par les sportifs qui pointent des insuffisances.

Un choix à rebours des Etats-Unis par exemple, où le sport est largement financé par les entreprises privées. "Le soutien des armées aux sportifs de haut niveau est un choix politique qui date du général de Gaulle. Après les Jeux olympiques catastrophiques de Rome en 1960, il a confié aux armées la mission du sport de haut niveau", complète Sylvie Anoto, conseillère sport et communication auprès du commissaire aux sports militaires du Centre national des sports de la défense (CNSD). 

Les ministères poursuivent donc une tradition ancienne, loin d'une logique de recrutement qui a pu exister, notamment lors de la création du partenariat entre les douanes et les skieurs. Ainsi, aujourd'hui, 206 athlètes, représentant une trentaine de disciplines, composent l'armée des champions. Au sein de l'armée des champions, 30 para-athlètes relèvent du Secrétariat général de l'administration. Les autres portent l'uniforme de l'un des quatre corps : armée de terre, armée de l'air, marine et gendarmerie. Cette équipe est l'héritière du bataillon de Joinville, une unité militaire qui accueillait jusqu'à la fin de la conscription les appelés sportifs de renom (Zinédine Zidane, Jean Galfione, Jean-François Lamour...). Dissout en 2003, le bataillon a été reconstitué en 2014 au sein du CNSD. Au total, avec les douanes et la police, près de 300 athlètes sont sous contrat avec les services de l'Etat.

De la visibilité et du temps contre un salaire 

Les sportifs de l'armée des champions sont engagés au cours d'une commission de recrutement, organisée deux fois par an par le ministère des Armées, comme "agents publics en CDD à mission particulière" pour une durée de deux ans renouvelables. Ils sont rémunérés autour du smic, selon leur grade et donc leur ancienneté. Un investissement léger à l'échelle d'un ministère mais notable pour un sportif. "J'ai des contrats d'image à côté mais qui sont plus volatils. La gendarmerie, c'est mon vrai employeur. C'est ce qui me permet de me construire à côté, de trouver un logement par exemple", illustre Christopher Patte, quatrième des championnats du monde de pentathlon en juillet 2022.

La porte-parole de la gendarmerie Marie-Laure Pezant résume le double objectif du dispositif : "L'armée des champions est un moyen de soutenir les athlètes mais aussi le prestige de la France." Du soft-power à base de médailles. En contrepartie, les athlètes du bataillon de Joinville, comme ceux soutenus par la police, doivent, participer à des compétitions militaires ou de police, à des opérations de communication ou de promotion du métier.

"On peut leur demander de se rendre dans des écoles ou à des cérémonies de vœux. Cela peut prendre la forme aussi d'un parrainage d'une unité particulière", éclaire la porte-parole de la gendarmerie. La championne olympique Clarisse Agbégnénou est ainsi depuis avril 2022 la marraine de la brigade de la Ferté-Macé (Orne). 

Faire briller les institutions publiques

Les partenariats sont pensés dans une logique gagnant-gagnant. "La gendarmerie nationale bénéficie de l'image des sportifs. Ils traduisent nos valeurs et peuvent toucher d'autres publics sur nos réseaux sociaux", argumente Marie-Laure Pezant. Plus facile en effet d'attirer des recrues avec des visages connus, comme Charlotte Bonnet (gendarmerie), Alexis Pinturault (douane) ou Loana Lecomte (armée de terre). "Un athlète champion olympique en tenue militaire qui dit que l'armée est sa famille, c'est sûr que ça nous aide en terme de recrutement et de rayonnement, confirme Sylvie Anoto au CNSD. Et pour nos militaires, c'était aussi très fort quand Anaïs Bescond a dédié sa médaille à ses 'frères d'armes tombés la veille au Mali' lors des JO de Pyeongchang." Pour la gendarmerie, il s'agit également d'apprendre de ses recrues, notamment dans la préparation mentale.

“Les sportifs développent et utilisent des techniques qu'ils peuvent ensuite nous apporter. On en tire un bénéfice mutuel.” 

Marie-Laure Pezant, porte-parole de la gendarmerie

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Avec des sportifs de haut niveau triés sur le volet – sans casier, ni historique judiciaire, aux valeurs compatibles avec celle de l'institution –, la police espère aussi redorer son blason. "L'enjeu existe à l'extérieur afin de renvoyer une image positive de la police, de réussite, de fierté. C'est une manière également de parler aux jeunes, y compris en termes de recrutement", assure Rachel Costard. Autre intérêt : motiver les troupes avec des recrues d'exception. "Nos policiers sont fiers de compter des sportifs de haut niveau parmi eux."

Comme tous les autres membres de l'Armee des champions, Clarisse Agbégnénou est conviée chaque année à un stage d'acculturation militaire d'une semaine. (CNSD)

Néanmoins, les institutions ne sont pas naïves. Toutes sont conscientes qu'une fois retraités, peu de champions se reconvertiront dans leurs rangs, malgré un accompagnement possible. Les exemples sont rares, sans pour autant être inexistants. Comme avant lui le nageur Hugues Duboscq, devenu plongeur de bord, le pentathlète Christopher Patte a ainsi réussi le concours des sous-officiers de gendarmerie en mars 2022. Il rejoindra l'école après l'échéance olympique. Etudiante en psychologie, la demi-fondeuse Rénelle Lamote se verrait elle aussi bien "rendre à la gendarmerie ce qu'elle lui a donné" en y officiant comme psychologue. "A minima, ils repartiront avec une autre image de l'armée. Ils resteront des ambassadeurs", conclut Marie-Laure Pezant. Avant même des médailles, une première récompense déjà acquise pour l'Etat.

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