: Reportage Jeux de Paris 2024 : à Marseille, les premiers relayeurs de la flamme olympique avaient "le cœur qui battait fort"
C'était son moment, sa médaille d'or à elle. "Etre la star, le centre du monde, juste sur 200 mètres." Colette Cataldo avait prévenu les organisateurs : "Je vous le dis, je vais y aller doucement." "A cause de vos 83 ans ?", lui a-t-on demandé. "Non, parce que je veux profiter." Et la voici lancée à petite foulée, la "Bonne Mère" veillant dans son dos. "Attendez. Déjà fini ?", s'étonne-t-elle au moment de passer la torche olympique à la troisième relayeuse. "J'aurais pu marcher 500 mètres de plus tellement j'étais bien, savoure la Marseillaise, mascotte du stade Vélodrome, où elle est toujours assise à la même place, au milieu de son groupe des Dodger's. Cinq cents mètres, même un kilomètre".
Après l'accostage du Belem, mercredi soir, voilà le début des choses sérieuses pour les Jeux olympiques de Paris 2024 : la torche olympique a entamé, jeudi 9 mai, son tour de France XXL de 72 jours jusqu'à Paris. Marseille, première des 65 villes étapes ; les Bouches-du-Rhône, premier des 54 départements métropolitains dans lesquels elle va passer.
Toute la journée, quelque 200 personnes triées sur le volet se sont ainsi transmis, de main en main, cet objet de 70 cm tant convoité. C'est l'ancien footballeur Basile Boli qui a ouvert le bal. Trente-et-un ans après son but avec l'Olympique de Marseille en finale de la Ligue des champions, le voilà une nouvelle fois "à jamais le premier". "Quand il s'est approché, il m'a dit : 'tiens, je te mets le feu, comme on dit à l'OM'", rigole Colette Cataldo. En vérité, tous les deux ont dû s'y reprendre à trois fois pour allumer la torche.
L'humoriste Redouane Bougheraba, le nageur Frédérick Bousquet, le rappeur Soprano ont également joué à domicile. Tout comme les footballeurs Jean-Pierre Papin, Louisa Necib et Valentin Rongier. Au milieu de tous ces Marseillais, Tony Parker tente de passer incognito en évoquant le rappeur Jul, originaire de la cité phocéenne. "Ouais, ouais, j'aime bien ce qu'il fait", confesse l'ancien basketteur, après avoir lui aussi porté la flamme.
Quelques secondes avant de s'élancer depuis le palais du Pharo, la comédienne marseillaise Nicole Ferroni plaisante une dernière fois avec le maire de la ville, Benoît Payan : "Moi, je ne passe pas la torche, je vais courir avec elle jusqu'à la Joliette !" Mais bon courage à celui qui osera filer en douce... A la basilique Notre-Dame-de-la-Garde, une militante de l'association de défense des animaux Peta, déguisée en parodie de la Phryge olympique, a bien tenté un coup d'éclat pour dénoncer l'organisation des Jeux. Elle a aussitôt été interpellée.
C'est que chaque relayeur est escorté d'hommes et de femmes en short, revolvers accrochés à la taille. Les "gardiens de la flamme", comme on les appelle, ont été spécialement entraînés pour sécuriser l'événement. "On doit faire attention à tout, au moindre chien qui pourrait traverser la route, à un individu qui voudrait faire quelque chose de mal", résume l'un d'eux, en enfilant son brassard. Son identité est cachée. En temps normal, il fait partie du GIGN. "R.A.S. pour le moment". Tous en position, direction l'étape suivante, le parc Longchamp.
"C'est un moment tranquille, comme on dit chez nous"
Le long du tracé, partout sur les trottoirs, des enfants applaudissent comme si c'était le passage du peloton du Tour de France. Certains sont arrivés deux heures avant, glacière au pied du parasol. Gisèle est venue voir un voisin, relayeur. Mais "comment le reconnaître ? Avec leur tenue blanche, ils ressemblent tous à Eddie Barclay", commente-t-elle. Le relais arrive, justement. Un père de famille fait retentir la bande originale de Rocky sur son téléphone. Farida fait de l'ombre avec un drapeau bleu-blanc-rouge distribué par les partenaires de l'événement : "Je ne connais personne, mais je suis là quand même. C'est un moment tranquille, comme on dit chez nous. Ça fait du bien."
Dans la foule, Nicolas Catterou tape mollement des mains. "Ça aurait pu être moi à leur place", marmonne-t-il, un brin déçu. Le juriste de 26 ans avait lui-même postulé pour devenir porteur. "J'ai reçu un mail qui me disait que je n'étais pas retenu. Tant pis. Je ne toucherai jamais la flamme désormais. Mon histoire ne devait pas être assez forte". A la question "Je pourrais faire briller les Jeux parce que", il avait répondu en mettant en avant sa passion du badminton.
Le club Paris 2024, qui a sélectionné les porteurs sur CV et lettre de motivation, semble avoir cherché d'autres profils. Les heureux élus du relais marseillais ont insisté sur le "symbole" et l'"honneur". Une certaine Odile, née en 1956, a par exemple raconté son quotidien de bénévole à l'action sociale à la Croix-Rouge, dans les quartiers Nord de Marseille. Un certain Elias a lui évoqué son autre pays, le Liban, qui "n'a connu que tourmentes et guerres depuis environ cinquante ans". Un certain Tim voit dans le relais une manière de "se rapprocher un peu plus d'un rêve vieux de 50 ans", celui de remporter une médaille olympique, lui qui est passé tout près d'une carrière professionnelle en ski. Un autre raconte avoir "eu la chance de voir passer la flamme olympique vers Albertville en 1992" : "J'en garde un souvenir incroyable. J'étais alors en classe de 6e et un de nos enseignants avait organisé un travail pédagogique sur les valeurs de l'olympisme."
"Tout le monde voulait une photo avec moi"
Née au début de la Seconde Guerre mondiale, Colette Cataldo a, elle, vibré avec Michel Jazy, médaillé d'argent sur 1 500 mètres à Rome, en 1960. Puis, huit ans plus tard, avec Colette Besson, médaillée d'or olympique sur 400 mètres à Mexico. Aujourd'hui, dans les rues de sa ville, "c'était le monde à l'envers". "Tout le monde voulait une photo avec moi, se marre la dame, peu habituée à autant d'attention. La ministre des Sports, photo. Le maire de Marseille, photo. Tous les élus, photo."
Entre le parc Borély et le Pharo, Benoît a lui aussi été alpagué juste avant de s'élancer. "Un restaurateur est venu me trouver, car il voulait une photo avec moi et avec ses enfants ! C'était fou, je ne m'attendais pas à ça." Une manière d'étirer ces quelques instants de relative célébrité "sur un trajet pas plus grand que la rue où on habite", resitue une relayeuse.
La nuit de mercredi à jeudi, pourtant, Colette Cataldo confie qu'elle a mal dormi. "Réveil en sursaut à trois heures, impossible de me rendormir. Je cogitais. Si la flamme tombe ? Si la flamme ne s'allume pas ? Si la flamme s'éteint ? Alors tout à l'heure, en arrivant, voilà, j'ai pleuré, tu as le cœur qui bat fort". Moment d'émotion, encore, lorsque Albert Corrieri, ancien déporté, bientôt 102 ans, a brandi la torche au parc Longchamp.
La flamme olympique a ensuite filé, toujours à 4 km/h, vers l'avenue du Prado. Avant de terminer sa route dans l'antre de l'Olympique de Marseille : le stade Vélodrome. Vendredi, d'autres Colette, Benoît, Dimitri ou Elias seront les stars d'un jour, dans le Var voisin.
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