: Reportage JO de Paris 2024 : le passage de la flamme olympique réveille les demandes d'infrastructures sportives en Seine-Saint-Denis
Tout en blanc, dans sa tenue olympique impeccable, Nathalie Dagnet semble ne pas en revenir. C'est bien la célèbre torche qu'elle tient dans la main. Et c'est bien elle que des dizaines d'inconnus prennent en photo. Pour l'avant-dernier relais de la flamme des Jeux de Paris 2024, organisé jeudi 25 juillet, la cofondatrice de l'association sportive pour personnes handicapées Lapla'jh a même l'honneur d'ouvrir le bal à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis). Pas le temps de parler ni de prendre un dernier selfie avec ses proches : à 8 heures pétantes, elle s'élance sous les acclamations de la foule.
"C'est une immense fierté", commente sa sœur Yamide, rentrée spécialement des Etats-Unis où elle vit pour assister à l'événement. Comme la douzaine d'autres membres de l'association venus ce matin, elle s'est levée aux aurores pour ne rien rater. "Le jet lag, je m'en fous !" s'exclame-t-elle, alors que la flamme est déjà transmise à une autre porteuse. Nathalie Dagnet, elle, n'aura eu qu'une poignée de secondes pour remercier ses proches, avant de monter à bord du bus qui ramasse les stars du jour après leur performance.
De ces quelques minutes, les proches de Nathalie Dagnet retiendront "les larmes dans ses yeux", "la joie des habitants" et "une fête de la cohésion" pour les sportifs. "On en a vraiment besoin, en ce moment", glisse l'un des adhérents. Surtout, le petit groupe insiste sur "l'écho des JO". "L'instant est magique, mais il faut que ce bon sentiment se diffuse en Seine-Saint-Denis", ajoute Yamide, car le sport est "l'un des meilleurs facteurs d'inclusion pour les jeunes".
"Ici, il faut se lever à 5 heures du matin le jour de l'inscription à la piscine"
Quelques centaines de mètres plus tard, la flamme a changé de commune. A Neuilly-sur-Marne, les enfants sont encore plus nombreux sur les trottoirs. Beaucoup arborent les objets dérivés lancés par les caravanes des sponsors. "C'est un peu comme le Tour de France", sourit Ingrid, venue avec son fils à vélo. "Ça fait plaisir d'avoir un bout du spectacle olympique, surtout gratuitement", se réjouit celle qui n'a pas pu mettre la main sur des places pour les épreuves, "trop vite vendues ou trop chères".
A côté d'elle, d'autres mères de famille acquiescent. "Ma fille fait de l'équitation, alors j'ai tenté ma chance sur la billetterie", explique Stéphanie, qui a vu passer la flamme en bas de chez elle. "Mais payer 95 euros pour une visibilité réduite... Ce n'était pas une option", grince-t-elle. Pour ne rien manquer des compétitions, l'escrime et la gymnastique plus particulièrement, "ce sera la télé".
Des places, les familles aimeraient aussi en trouver dans les enceintes sportives du coin. Avec 39 piscines pour 1,6 million d'habitants, dont quatre récemment livrées pour les JO, la Seine-Saint-Denis est par exemple le département le moins bien doté de France en termes de bassins. Et plus de la moitié des élèves du 93 arrivent au collège sans savoir nager. "Ici, il faut se lever à 5 heures du matin le jour de l'inscription à la piscine, raconte Anne-Sophie, une autre riveraine. Et les créneaux sont très serrés, même pour les scolaires." Une situation que la quadragénaire juge "inquiétante", car "savoir nager, c'est aussi une question de survie", rappelle-t-elle.
Autour de la flamme, "de nouvelles discussions sur le sport"
Sagement rangés le long de la route, une vingtaine d'enfants du centre de loisirs Arc-en-ciel agitent des petites torches en carton et poussent des cris au passage de l'impressionnant cortège policier. Pour apercevoir la flamme, ils ont dû patienter plus d'une heure. "C'est l'aboutissement d'un an de travail, explique Chantal, responsable de la structure. On leur a montré d'où venait le feu olympique, comment il était protégé, et nous avons confectionné une torche qui dormait chaque mercredi chez un enfant différent."
Du haut de leurs 5 ou 6 ans, ils sont nombreux à déjà pratiquer un sport. La boxe, le foot et le judo arrivent en tête. "Pour nous, l'héritage des Jeux passe surtout par des échanges avec les parents, explique Chantal. Les ateliers sur la flamme ont permis de nouvelles discussions sur le sport et ses bienfaits pour la santé." Tout sourire face aux enfants, elle leur répète son mantra : "Il faut bouger, bouger, bouger !"
"La Seine-Saint-Denis a besoin de transformer l'essai olympique"
Vers 13 heures, les porteurs de flamme sont attendus à Bobigny, le long du canal de l'Ourcq, après avoir paradé à Tremblay-en-France, Montreuil ou encore Aulnay-sous-Bois. Pour l'occasion, La Coloc' de l'Ourcq, un lieu associatif, a installé une scène et un stand de restauration. "On est aux premières loges", se félicite Clément Rémond, coprésident de la FSGT 93, la fédération omnisport de Seine-Saint-Denis. Avec d'autres, il a lancé ce projet en 2021. "On y propose dans un même endroit bureaux partagés et du coaching sportif, c'est assez unique", sourit-il.
Un hot-dog à la main, tous attendent la péniche qui transporte le feu olympique sur cette étape. "On a invité des gens du quartier, des amis, des connaissances de club sportifs", liste Clément Rémond. Au bout de trois ans, les habitants des cités environnantes sont encore peu nombreux à pousser la porte du local. "Les jeunes se disent que si c'est neuf, c'est forcément cher... Alors que ce n'est pas du tout le cas ! explique-t-il. Notre boulot, c'est de casser les barrières psychologiques en proposant toujours plus d'offres sportives."
Pour Clément Rémond, les Jeux de Paris 2024 sont "un coup de projecteur bienvenu" sur son département, où il est bien plus difficile de faire du sport qu'ailleurs en France. L'Insee compte 15 équipements sportifs pour 10 000 habitants en Seine-Saint-Denis, contre une moyenne nationale de 46 équipements pour 10 000 habitants. En attendant de nouveaux stades, piscines et gymnases, "les profs d'EPS du 93 perdent un temps fou en transports, ce qui réduit les heures de cours pour les élèves", illustre-t-il.
A l'issue des Jeux, les acteurs sportifs du département espèrent "un grand plan d'investissement" pour le sport. "La Seine-Saint-Denis a besoin de transformer l'essai olympique", résume Clément Rémond, qui a réussi à obtenir plus 300 000 euros de subventions pour développer son projet dès 2025. "Les acteurs locaux se démènent, mais il faut que l'Etat soit plus au rendez-vous, réclame-t-il. On peut faire encore mieux !" Et de conclure : "La Seine-Saint-Denis produit des pépites olympiques, comme Prithika Pavade [tennis de table] ou Yvan Wouandji [cécifoot]. Imaginez ce qu'on pourrait faire avec les infrastructures adaptées."
En attendant les médailles, un groupe vient de battre son propre record le long du canal. Les Sportives motivées, club informel d'une dizaine de retraitées, se sont entrainées "pendant deux semaines" afin de courir 300 mètres au même rythme que la péniche olympique. "Avant ça, je n'avais jamais couru de ma vie, confie Christiane, 75 ans. Maintenant, je ne m'arrête plus." En plus de la course, elles rêvent d'aquagym et réclament un cours pour seniors "au plus vite". "C'est notre meilleur moyen de garder le moral et du lien social", répètent-elles, avant de repartir à bonne allure.
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