"Les mosquées de Tombouctou pourraient à leur tour être prises pour cible"
Francesco Bandarin, de l'Unesco, réagit après les destructions de mausolées au Mali par des islamistes. Il explique à FTVi les limites de la protection du patrimoine en cas de conflits armés.
Un air de déjà-vu. Plus de dix ans après la destruction des bouddhas de Bamiyan par des talibans, en Afghanistan, la communauté internationale assiste de nouveau, impuissante, à la démolition d'œuvres classées au patrimoine mondial de l'Unesco. Depuis samedi 30 juin, sept des seize mausolées de Tombouctou sont détruits un à un par des islamistes qui se revendiquent du groupe Ansar Dine (lié à Aqmi, Al-Qaïda au Maghreb islamique), au nord du Mali.
Francesco Bandarin, directeur général adjoint pour la culture à l'Unesco, explique à FTVi en quoi la protection du patrimoine mondial reste difficile dans le cadre de conflits armés.
L'inscription de la ville de Tombouctou sur la liste du patrimoine mondial en péril, le 28 juin, a provoqué, paradoxalement, la destruction des mausolées. Ce passage à l'acte des islamistes du nord aurait-il pu être anticipé, voire empêché ?
Francesco Bandarin : Notre mission est de protéger le patrimoine mondial et l'inscription d'un site sur la liste des œuvres menacées en fait partie. Cette décision a été prise avec le gouvernement malien lors d'une mission d'experts de l'Unesco à Bamako, en mai. Mais les autorités du pays elles-mêmes n'ont pas été capables de prévenir ou d'arrêter la destruction des mausolées car elles ne dialoguent pas avec l'ennemi. Quant à l'Unesco, ses partenaires sur place ont fui Tombouctou. Et nous ne sommes pas une force armée...
Quels sont les moyens engagés par l'Unesco au Mali, et notamment à Tombouctou ?
Nous disposons d'un bureau dans la ville et un programme de conservation et de protection des mosquées et des manuscrits a été mis en place, via un soutien technique et financier. Le Mali bénéficie notamment du programme Fleuve Niger et patrimoine, financé à hauteur de 2,5 millions d'euros par l'Union européenne. La ville de Tombouctou profite également d'un programme spécifique financé par l'Italie pour son architecture en terre. Des séminaires, des rencontres sont organisés. Mais tout cela fonctionne dans un cadre normal. Quand une guerre éclate, c'est une autre affaire.
L'action de l'Unesco pour protéger le patrimoine d'un pays en cas de conflit armé n'a-t-elle pas été renforcée depuis la destruction des bouddhas en Afghanistan ?
A l'époque, déjà, nous avons fait tout ce qui était humainement possible. L'ambassadeur français avait notamment passé vingt jours à Bamiyan pour essayer de rencontrer les talibans, des personnalités du monde islamique avaient également été dépêchées sur place. Mais ils n'ont pas été écoutés par les talibans.
Quels autres moyens peuvent être mis en œuvre quand un site est inscrit sur la liste des sites du patrimoine mondial en péril ?
La plupart des sites en péril ne le sont pas pour des raisons de guerre. Mais pendant les conflits, on s'appuie sur la convention de La Haye pour la protection des biens culturels afin de lutter contre le trafic illicite, par exemple. Dans le cas du Mali, on a averti les pays voisins sur la possible revente de manuscrits anciens. Notre rôle est avant tout d'informer. En Libye, on a communiqué à l'Otan la situation des biens culturels du pays. On peut discuter avec les forces armées, pas avec des groupes comme Ansar Dine, coupables d'une folie sectaire et criminelle.
Selon vous, comment la situation va-t-elle évoluer au Mali ?
J'espère qu'elle va évoluer de façon positive. Mais je crains le pire, qu'il s'agisse des collections de manuscrits anciens conservées à Tombouctou ou de ses trois mosquées. Elles pourraient être à leur tour prises pour cible [l'entrée de la mosquée Sidi Yahia a ainsi été détruite, lundi]. Ces mosquées sont pourtant un exemple fantastique de la création et du génie humains.
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