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Mali. Comment les Touareg cherchent à revenir dans le jeu

Marginalisés par les groupes islamistes armés, les rebelles du MNLA, hier maîtres du Nord-Mali, se cherchent une issue favorable. Ils se présentent comme une alternative acceptable à une intervention internationale qui les mettrait en péril. 

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des rebelles Touareg du Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA) en 2012. (MAXPPP)

Qu'il est loin le temps des déclarations d'indépendance du Nord-Mali. Mercredi 14 novembre, l'eurodéputé d'Europe Ecologie-Les Verts François Alfonsi a convié la presse à une conférence de presse du Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA, rébellion). L'eurodéputé souhaite que les "propositions de paix et d'avenir formulées par le MNLA puissent être entendues".

C'est qu'elles ne sont plus guère audibles. La rébellion qui avait conquis, sans grande résistance, tout le Nord-Mali et annoncé son indépendance a été délogée des principales villes par des groupes islamistes armés qui appliquent la charia (lapidations, amputations), mais aussi par des terroristes et narcotrafiquants d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et du Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao). Quant à l'indépendance de l'Azawad, immense territoire saharien revendiqué par les Touareg, l'idée a été enfouie. Rejeté par la communauté internationale, le MNLA revendique timidement depuis un droit à l'autodétermination.

La crainte du dérapage

Mais surtout, la menace d'une intervention militaire de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao), en principe dirigée contre les jihadistes, fait trembler les rebelles Touareg. Quelques 3 300 hommes doivent intervenir avec l'armée malienne, hier humiliée par le MNLA. "Nous savons dans quel état psychologique se trouvent les troupes maliennes aujourd'hui. (...) C'est l'esprit de vengeance qui (les) anime", estime Hamma Ag Mahmoud, responsable des relations internationales du Conseil transitoire de l'Etat de l'Azawad. Le MNLA est soupçonné d'exactions. Paris et Bamako l'ont accusé d'avoir massacré fin janvier une centaine de militaires maliens.

Le responsable de la communication, Moussa Ag Assarid, récuse ces accusations et invite les ONG "à venir sur le terrain". Et, si les troupes maliennes venaient à reprendre le Nord, il prévient : "Nos parents, nos familles, nous ne les laisserons pas une fois encore se faire massacrer par l'armée malienne." Des Touareg nigériens se sont déjà dits prêts à les défendre. Bref, "s'il n'y a pas de négociations avant l'arrivée de cette force, la guerre peut s'étendre partout" dans la sous-région, s'alarme le directeur du Centre d'études des mondes africains, Pierre Boilley.

Se rendre indispensable

Menacé par une intervention qui approche à grands pas d'un côté, poignardé dans le dos par les islamistes d'Ansar Dine qui ont débauché les jeunes combattants avec leurs ressources importantes de l'autre, le MNLA est acculé, mais il tente encore de se dégager une issue favorable. Sa solution ? Se rendre indispensable en se présentant comme une alternative acceptable à une intervention africaine. "La lutte contre le terrorisme, poursuit Moussa Ag Assarid, ça ne pourra pas se faire sans le MNLA."

Le groupe rebelle a pour idée de "mettre dehors Aqmi et les narcotrafiquants qui sont en train de piller" la région avec la "bénédiction de la communauté internationale", plaide Hamma Ag Mahmoud qui évite soigneusement d'évoquer les islamistes d'Ansar Dine. Ces derniers mènent des négociations et, en quelques semaines, sont devenus subitement fréquentables pour la communauté internationale. Ils ont déjà promis de renoncer au terrorisme, puis de n'appliquer la charia que dans une petite région du Nord-Mali et enfin de lutter contre le terrorisme. Donc, à demi-mots, contre leurs alliés d'hier, Aqmi.

Une "intervention est salutaire, mais avec nous, poursuit Hamma Ag Mahmoud. L'armée du MNLA est prête à faire cette guerre. (...) Elle est issue des populations, elle connaît la région, elle a les atouts, elle a toute la collaboration des populations locales". Le politicien sait que la mauvaise connaissance du terrain des troupes extérieures est le principal reproche formulé contre une intervention dans un milieu hostile, le désert. Par ailleurs, "il est extrêmement difficile pour un soldat venu du Nigeria ou même du Mali de faire la différence entre quelqu'un de l'Aqmi, du Mujao, d'Ansar Dine et les populations locales. Tout le monde s'habille de la même manière, porte le chèche, et même la population porte des armes".

Que pèse le MNLA sur le terrain ?

Ont-ils les moyens de déloger les "narcoterroristes", comme ils les nomment ? Interrogés sur leurs forces, ils refusent de donner l'état de leurs troupes. "Secret militaire", mais le contingent est "pratiquement intact", plaident-ils.

"Ils disent qu'ils pèsent sur le terrain, mais on n'en a pas l'impression", analyse Gilles Yabi, du think tank International Crisis Group (ICG), joint à Dakar. Toutefois, remarque-t-il, "il y a une grande fluidité", entre les différents groupes. Ceux qui ont hier rejoint Ansar Dine pourraient demain rejoindre le MNLA. D'ailleurs, "il y a des discussions Ansar Dine-MNLA (qui ont été officialisées dans la soirée de mercredi). On ne peut rien exclure. S'ils s'allient contre Aqmi, il y a une possibilité que les lignes bougent. Iyad Ag Ghali (le chef d'Ansar Dine) me semble plus opportuniste que lié idéologiquement à Al-Qaïda".

"Le MNLA essaie de revenir dans le jeu, mais c'est une voie périlleuse", poursuit Gilles Yabi. "La rébellion au Nord-Mali, c'est eux qui l'ont déclenchée. Les acteurs internationaux estiment que la souveraineté malienne ne peut être remise en cause." En clair, le Mali doit être réunifié.

Et s'il prenait l'initiative ?

Le MNLA pourrait aussi décider de prendre l'initiative avant une intervention internationale pour lui couper l'herbe sous le pied. Interrogé sur des rumeurs d'offensive contre Aqmi et le Mujao, Moussa Ag Assarid louvoie : "Je n'infirme et je ne confirme pas."

Gilles Yabi dit ne pas avoir d'indications valables à ce sujet, mais Pierre Boilley estime l'hypothèse sérieuse. Selon lui, le repli des grandes villes pourrait avoir été stratégique. "Ils disposent de forces. Ce que j'entends partout, c'est qu'ils ont profité des derniers mois pour se reconstituer."

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