Mali. "Les soldats m'ont dit qu'ils avaient tué le borgne"
Le correspondant de RFI revient sur les circonstances dans lesquelles on lui a présenté une photo sur laquelle pourrait figurer la dépouille de Mokhtar Belmokhtar.
Sur le théâtre, ils font front ensemble face à un ennemi commun. Le Tchad et la France luttent main dans la main contre les jihadistes retranchés dans des montagnes désertiques aux confins du Mali.
Mais depuis quelques jours, les déclarations de N'Djamena et Paris divergent. Le président tchadien, Idriss Deby Itno, a annoncé en personne la mort de l'un des chefs d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), Abou Zeid. Deux jours plus tard, son armée a affirmé avoir éliminé Mokhtar Belmokhtar, l'instigateur de la prise d'otages d'In Amenas (Algérie). En face, le ministre de la Défense français, Jean-Yves Le Drian, se montre diplomatiquement circonspect en l'absence de "preuves". Ce à quoi le président tchadien rétorque que les "principes de l'islam" veulent qu'on n'expose pas les corps.
Dans ce contexte, Madjiasra Nako, correspondant de Radio France Internationale au Tchad depuis plusieurs années, a eu l'occasion de se rendre dans la région où les deux leaders auraient été tués. Il a pu reproduire une photo présentée par des soldats comme étant celle du corps de Mokhtar Belmokhtar. Alors que le doute persiste sur la mort des deux chefs islamistes, le journaliste, qui reste prudent, revient sur les circonstances dans lesquelles il a pu prendre cette photo.
Francetv info : Dans quelles conditions vous êtes-vous rendu au Mali ?
Madjiasra Nako : J’ai pu parvenir dans l’Adrar des Ifoghas, où se déroulent les affrontements, grâce à un avion de l’armée tchadienne. Il transportait le chef d’état-major de l’armée [tchadienne], et quelques journalistes ont été autorisés à l’accompagner. Depuis le début de l’intervention tchadienne, j’avais fait savoir à plusieurs reprises que je souhaitais me rendre sur le front si cela était possible.
Quand êtes-vous partis ?
Nous avons quitté N’Djamena dimanche, très tôt. Il y a quatre heures de vol jusqu’à Tessalit, dans l’extrême nord-est du Mali. Le front se situait à environ 20 kilomètres de là. On a dû prendre des hélicoptères pour arriver sur la ligne de front. C’est alors que les militaires qui étaient en opération dans le massif de Tigharghar sont descendus à notre rencontre, à côté d’un cantonnement de l’armée française.
C’est là que vous avez pu voir cette photo présentée comme étant celle de la dépouille de Mokhtar Belmokhtar ?
Oui. On arrivait le lendemain de l’annonce par le Tchad de la mort de Mokhtar Belmokhtar. Mes confrères et moi avons demandé s’il était possible de filmer le corps du jihadiste. L’état-major nous a dit qu’il n’est pas possible d’aller sur le théâtre, le ratissage n’étant pas terminé, mais qu’un officier allait nous remettre des images.
Plus loin, on a discuté avec les soldats. Quelques-uns avaient des photos. J’ai très peu entendu le nom de Belmokhtar, mais ils disaient avoir tué "le borgne" [surnom de Belmokhtar] ou "celui qui n’a qu’un œil". J’ai demandé si je pouvais filmer. On m’a dit oui. Plus tard, on nous a remis des photos sur une clé USB.
Le ministre de la Défense français, Jean-Yves Le Drian, a encore dit ce matin qu’il n’avait "pas de preuves" de la mort de Mokhtar Belmokhtar et d'Abou Zeid. Pensez-vous que les autorités tchadiennes cherchaient à en apporter ? S'agissait-il d’une opération de communication ?
Je pense qu'il y avait d’abord une volonté de montrer que l’armée tchadienne fait une bonne partie du travail face aux jihadistes. Et ce n’est pas faux ! La colonne qui est venue à notre rencontre a affronté jusqu’à dimanche matin ses ennemis. On entendait d’ailleurs des explosions.
Ces hommes travaillent main dans la main avec la France. Ils nous ont dit que sur le théâtre, il y avait une dizaine de soldats français et un ou deux soldats maliens. Mais ceux qui sont au corps à corps sont les soldats tchadiens.
Un autre journaliste tchadien a affirmé à Paris Match qu'il s’agissait d'Abou Zeid sur la photo.
Nous étions plusieurs. Chacun a fait son enquête. Mais, encore une fois, les soldats qui m'ont montré l'image m’ont affirmé qu’il s’agissait du "borgne". J’ai bien montré l’écran du téléphone portable sur la photo, pour que l’on voie qu’elle avait été prise par quelqu’un d’autre.
Dans quelles conditions se battent les soldats tchadiens ?
C’est une région escarpée, difficile. Les jihadistes sont cachés, notamment dans des grottes. Les combats ont duré très longtemps et je ne peux d’ailleurs pas avoir la certitude qu’ils sont aujourd'hui finis. Quand les soldats sont venus à notre rencontre, d’autres étaient restés dans le massif pour combattre.
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