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Canicule : cinq questions pour comprendre comment faire évoluer le droit du travail

Alors qu'une bonne partie de la France souffre d'une vague de chaleur exceptionnelle, franceinfo fait le tour de la question avec des experts du droit du travail et des représentants d'organisations syndicales.
Article rédigé par Gabrielle Trottmann, Léa Prati
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Des ouvriers sur le toit de l'Elysée, à Paris, le 29 juillet 2022. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)

Avec la canicule, certains travailleurs sont écrasés par les fortes chaleurs. Cet été, LFI et EELV ont lancé des propositions pour adapter le droit du travail, tandis que les syndicats défendent de longue date des propositions en ce sens. Quels sont les métiers les plus affectés ? Que dit la loi, quelles sont les pistes pour l'améliorer, comment ça se passe à l'étranger ? Franceinfo fait le tour de la question avec des experts du droit du travail et des représentants d'organisations syndicales.

1Quels sont les métiers concernés ?

Les estimations du nombre de personnes concernées par la chaleur dans le cadre de leur activité professionnelle varient. En 2017, près de 1,5 million de salariés travaillaient "au chaud" (plus de 24°C), selon l'enquête Sumer, menée par la Direction de la recherche du ministère du Travail. Mais un sondage de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) témoigne d'un ressenti beaucoup plus important : d'après l'enquête, 9,7 millions de travailleurs déclarent être incommodés par la chaleur dans leur activité professionnelle – soit jusqu'à 36% de l’emploi total, selon le calcul de France Stratégie.

Le graphique ci-dessous permet de visualiser les 23 catégories de métiers les plus exposées. Quand il n'y a pas d'indicateur concernant le pourcentage de personnes qui travaillent "au chaud" ou à l'extérieur, cela ne signifie pas qu'aucun travailleur n'est concerné, mais que les données ne sont pas disponibles.

BTP, agriculteurs, jardiniers, cuisiniers, boulangers, bûcherons... Celles et ceux qui exercent des activités physiques (notamment à l'extérieur ou dans des pièces mal aérées) sont les principaux concernés, selon le classement réalisé par l'organisme chargé de l'évaluation des politiques publiques.

Début août 2023, deux accidents mortels pouvant être en lien avec la chaleur ont déjà été notifiés à Santé publique France par la Direction générale du travail, dans des régions soumises à des fortes chaleurs (Auvergne-Rhône-Alpes et Grand Est). En 2022, le bilan s'était établi à sept accidents du travail mortels potentiellement en lien avec les températures, dont trois dans le secteur de la construction.

2Quelles sont les dispositions et les recommandations en vigueur ?

Le Code du travail prévoit l'obligation pour tous les employeurs de " prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs", quelles que soient les circonstances. Cette disposition engage "la responsabilité civile et pénale de tous les employeurs", souligne Nathalie Guillemy, directrice du centre de Paris à l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS). Ceux qui ne la respectent pas s'exposent à des poursuites pour blessures, homicide involontaire ou pour faute inexcusable.

Au-delà de ce principe général, la loi contient plusieurs dispositions liées à la hausse des températures. Par exemple, l'obligation pour tous les employeurs de renouveler l'air de façon à éviter les "élévations exagérées des températures" et celle de mettre à disposition de l'eau " fraîche et potable." Pour les employés du BTP, le minimum est de trois litres par jour et par personne et un local ou des aménagements doivent être prévus pour les protéger de la chaleur. De manière générale, les postes de travail extérieurs doivent être aménagés de façon à protéger les travailleurs des "conditions atmosphériques."

Les salariés peuvent faire valoir leur droit de retrait, s'ils estiment que leur santé ou que leur vie est en danger. En théorie, ce droit est inconditionnel : il concerne tous les salariés, quelles que soient leur condition physique ou les températures. Mais en pratique, il faut prouver que rien n’a été mis en place pour se rafraîchir, au risque de se voir reprocher un abandon de poste. Nathalie Guillemy explique que " pour exercer son droit de retrait, encore faut-il le connaître et oser le faire valoir".

"Les travailleurs ont rarement recours au droit de retrait dans les petites entreprises. C'est plus facile dans celles où les syndicats sont bien représentés."

Nathalie Guillemy, directrice du centre de Paris à l'INRS

à franceinfo

Quand Météo-France déclenche la vigilance rouge, les employeurs doivent par ailleurs "réévaluer quotidiennement les risques d’exposition pour chacun des travailleurs". Cette obligation est prévue par une instruction interministérielle.

Pour le reste, le gouvernement émet des recommandations  : en période de canicule, l’employeur doit par exemple "prendre des précautions pour réorganiser le temps du travail", organiser des "pauses supplémentaires" et privilégier le télétravail, quand cela est possible. Il doit aussi "informer tous les salariés des risques, des moyens de prévention et des signes et symptômes du coup de chaleur".

3 Pauses, indemnisation... Quelles pistes pour faire évoluer le droit ?

Au début de l'été, Europe Ecologie-Les Verts (EELV) a suggéré de préciser la définition du droit de retrait, en inscrivant un seuil limite de 33°C dans le Code du travail.

Mais l'idée de légiférer sur des températures maximales à partir desquelles on peut exercer le droit de retrait ne fait pas l'unanimité, car certains redoutent qu'elles soient synonymes d'un recul. "On peut aussi avoir des problèmes de santé en dessous de 33°C", observe Jean-Pascal François, secrétaire fédéral de la CGT. De fait, en France, le droit de retrait peut être activé sans même atteindre les 33°C, en théorie.

La France insoumise a de son côté déposé une proposition de loi fin juillet pour intégrer de nouvelles dispositions dans le droit du travail, comme l'autorisation d’interrompre " temporairement" son activité dans un département placé en vigilance rouge par Météo-France et de limiter le temps de travail à six heures en cas de vigilance orange. Une pause de dix minutes serait garantie toutes les deux heures à partir de 28°C à l’extérieur et à partir de 30°C à l’intérieur, et une pause de vingt minutes si la température excède 33°C, quels que soient les lieux et " sans perte de salaire".

Par ailleurs, dans le BTP, un dispositif de chômage-intempéries indemnise les salariés lorsque les conditions atmosphériques et les inondations rendent l’accomplissement du travail dangereux ou impossible, jusqu'à 75% de leur salaire horaire. Il est parfois activé lors des fortes chaleurs, mais pas systématiquement. La proposition de loi de LFI prévoit de le généraliser en précisant que les intempéries incluent "des températures trop élevées ou insuffisantes".

Une idée à laquelle Jean-Pascal François, de la CGT, se dit favorable. La CFDT et la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) portent également cette question auprès des pouvoirs publics. "Depuis 2004, le régime de chômage météorologique du BTP a mis en place une commission canicule qui indemnise au cas par cas, mais ce n'est pas généralisé", explique à Libération Sophie Sebah, directrice des relations du travail et de la protection sociale à la FNTP .

4Comment ça se passe à l'étranger ?

Plusieurs pays ont inscrit dans leur législation des valeurs précises de température maximale de l'air. Mais cela ne signifie pas nécessairement qu'on y arrête de travailler quand elles sont franchies, comme le souligne un rapport d'Eurogip, un observatoire sur les questions relatives à l’assurance et à la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles. En Espagne, en Lettonie, au Portugal, en Slovénie, en Autriche et en Allemagne, les seuils définis ne concernent que le travail en intérieur. Outre-Rhin, une température supérieure à 26°C déclenche des mesures de prévention spécifiques, mais pas un arrêt automatique de l’activité.

Dans certains pays, les valeurs concernent aussi les températures à l'extérieur. En Belgique, pour les postes les plus physiques, la limite est fixée à 22°C. Mais la température n'est pas le seul critère pris en compte. Un "indice de stress thermique" combine l'humidité, le vent et le rayonnement solaire, entre autres. L'autre facteur décisif est la charge de travail. Lorsque les valeurs de référence sont dépassées, des mesures organisationnelles et techniques sont prises pour essayer de diminuer le stress. Si ce n'est pas possible, il est alors question de mettre en place une alternance entre temps de travail et de repos. A Chypre, les repères utilisés suggèrent que, passé un certain cap, le travail doit être temporairement suspendu.

5Quels autres leviers possibles pour améliorer la sécurité des travailleurs ?

Pour prendre les meilleures décisions, Jean-Pascal François, de la CGT, préconise de négocier "au niveau de chaque branche professionnelle". Le secrétaire général de la fédération Construction et bois de la CFDT, Rui Portal, s'y dit également favorable. Le syndicat demande d'ailleurs l'ouverture de négociations avec les chambres patronales du BTP pour aménager les postes, la charge et l’organisation du travail dès que les 28°C à l’ombre sont atteints trois jours consécutifs.

Enfin, la sécurité des travailleurs en période de canicule ne dépend pas seulement du droit du travail. Co-autrice d'un rapport de l'Organisation internationale du travail, la chercheuse Tahmina Karimova expose d'autres facteurs essentiels : "La qualité du dialogue et de la protection sociale en général, la formation des travailleurs, ainsi que l'amélioration des normes techniques des bâtiments pour assurer la sécurité et, plus largement, une planification urbaine prenant en compte le changement climatique."

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