Dérèglement climatique : la fin du monde est-elle vraiment pour 2050 ?
Une étude australienne évoque la fin de la civilisation en 2050 si rien n'est fait pour freiner le réchauffement de la Terre. Mais des climatologues soulignent qu'il s'agit du "scénario du pire" et qu'une autre issue reste possible.
La fin du monde, celle mise en scène par Roland Emmerich dans Le Jour d'après ou 2012, surviendrait en 2050, d'après un rapport (lien PDF en anglais) publié en mai par le think tank australien Breakthrough-National Centre for Climate Restoration.
Si rien n'est fait pour limiter le réchauffement climatique, "la planète et l'humanité auront atteint un 'point de non-retour' à la moitié du siècle, dans laquelle la perspective d'une Terre largement inhabitable entraînerait l'effondrement des nations et de l'ordre mondial", avancent les auteurs, David Spratt, directeur de recherche à Breakthrough, et Ian Dunlop, ancien cadre de l'industrie des énergies fossiles. Selon eux, il existe "une forte probabilité que la civilisation humaine touche à sa fin" dans trois décennies.
Que dit cette étude australienne ?
En dix pages, le rapport brosse un tableau apocalyptique. En 2050, la hausse de la température moyenne à la surface du globe aura atteint 3 °C. Plus de la moitié de la population mondiale sera exposée à des chaleurs létales au moins 20 jours par an. Et cette météo mortelle persistera plus de 100 jours par an en Afrique de l'Ouest, au Moyen-Orient, en Amérique du Sud et en Asie du Sud-Est. Deux milliards d'habitants seront affectés par le manque d'eau.
Des écosystèmes tels que la Grande Barrière de corail ou la forêt amazonienne se seront effondrés. Et en été, l'océan Arctique sera navigable, libre de toute glace. Quant au niveau des mers, il aura augmenté de 0,5 mètre. Un demi-siècle plus tard, en 2100, la hausse sera de 2 à 3 mètres. Dans les régions tropicales, on comptera plus d'un milliard de déplacés climatiques. L'agriculture ne sera plus viable dans les régions subtropicales. Les récoltes mondiales auront diminué d'un cinquième. Et la population de la planète sera exposée à des risques de pandémies.
Le changement climatique représente maintenant une menace existentielle à court ou moyen terme pour la civilisation humaine.
David Spratt et Ian Dunlopdans leur rapport
Dans ce "scénario extrême", "l'ampleur des destructions dépasse notre capacité de modélisation", préviennent les auteurs de l'étude, reprenant les mots de l'ONG suédoise Global Challenges Foundation (en anglais) en 2018.
Les données présentées sont-elles fiables ?
Ce tableau extrêmement pessimiste s'explique. Les auteurs de l'étude ont choisi de retenir les conséquences les plus graves du réchauffement climatique en partant du principe qu'elles sont souvent mises de côté dans les publications plus consensuelles, à l'image du rapport collégial du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec). David Spratt et Ian Dunlop "ont juste poussé à l'extrême les probabilités. Ils ont pris les plus faibles avec les conséquences les plus importantes", pondère Joël Savarino, directeur de recherche au CNRS et à l'Institut des géosciences et de l'environnement de Grenoble.
Aucun des experts interrogés par franceinfo ne pointe cependant une quelconque erreur dans ce rapport. Même si ce n'est pas une étude scientifique, "plutôt une compilation de certaines références et de rapports d'ONG", précise Benjamin Sultan, directeur de recherche à l'Institut de recherches pour le développement (IRD).
C'est un article qui présente une vision cauchemardesque, le scénario du pire, mais qui ne peut pas être exclu pour autant.
Gilles Ramstein, climatologueà franceinfo
Les conséquences d'un tel réchauffement climatique ne seraient donc pas irréalistes, tout au plus exagérées. Une hausse des températures de 3 °C d'ici à 2050 est ainsi une projection "assez extrême", nuance Frédéric Parrenin, directeur de recherche au CNRS. "Si on agit modérément, selon les engagements pris à Paris en 2015, une hausse de 3 degrés arriverait plutôt en 2100", ajoute-t-il. Joël Savarino, lui, évoque cette possibilité si un mécanisme de rétro-action positive, c'est-à-dire une modification qui amplifie le changement climatique, s'installait. "Si les pergélisols, ces sols gelés en permanence en Arctique, se mettent à fondre à cause du réchauffement climatique, ils pourraient libérer de puissants gaz à effet de serre et ainsi nourrir le réchauffement."
"La canicule de 2003, qui a fait 15 000 morts en France, pourrait devenir un été normal", prévient Henri Waisman, chercheur à l'Institut du développement durable et des relations internationales, spécialiste du climat et coauteur du rapport du Giec d'octobre 2018.
De même, l'estimation du milliard de réfugiés climatiques avancée dans l'étude australienne est à prendre "avec prudence", insiste le climatologue belge Jean-Pascal van Ypersele, professeur à l'Université catholique de Louvain et ancien vice-président du Giec. "A la limite, peu importe le chiffre avancé, ajoute Henri Waisman, ce qui est vrai, c'est que des centaines de millions de personnes pourraient être affectées." Car "aucune ville, aucune infrastructure portuaire n'est capable de s'adapter à une montée des eaux d'un ou deux mètres en quelques décennies", remarque Joël Savarino.
Ses conclusions sont-elles réalistes ?
Au-delà des conséquences "naturelles", le réchauffement climatique pourrait bel et bien entraîner une multiplication des conflits, comme l'affirme l'étude. "Le risque est possible dans certaines régions, notamment au Sahel pour l'accès à l'eau, confirme la climatologue Françoise Vimeux, directrice de recherche à l'Institut de recherche pour le développement. Mais là encore, il existe beaucoup d'incertitudes. Les modèles sur les cycles de pluie, par exemple, sont incertains."
Le déséquilibre proviendra de la nourriture. Si les pays exportateurs sont affaiblis par les aléas climatiques, on peut imaginer des gouvernements qui préservent leurs intérêts. Et si la nourriture commence à faire défaut…
Joël Savarino, glaciologueà franceinfo
Joël Savarino rappelle que la France compte à peine 3% d'agriculteurs dans sa population active. "Ça veut dire que 97% de la population est incapable de se nourrir toute seule."
Les experts s'accordent sur un point : la fin de la "civilisation humaine" évoquée par l'étude est plus qu'hasardeuse. "La fin de la civilisation n'est pas la fin de l'humanité, tempère Jean-Pascal van Ypersele. En outre, pour parler de la fin de la civilisation, encore faut-il s'entendre sur ce qu'est la civilisation. Il n'y a pas une, mais des dizaines de civilisations avec des niveaux de résilience différents." Le climatologue ne nie pas les dégâts qui pourraient être causés puisque "des infrastructures importantes seront détruites, des systèmes alimentaires seront mis à mal, il y aura des déplacements de population..." Mais l'humanité, elle, perdurera, même si elle devra s'adapter.
Un monde avec 3 °C supplémentaires est une menace très sérieuse. Ce n'est pas seulement l'environnement et les écosystèmes qui seraient menacés, mais également notre société telle que nous la connaissons.
Benjamin Sultan, climatologueà franceinfo
Françoise Vimeux évoque elle aussi "une autre manière de vivre". "Cela serait un changement brutal, mais ce ne serait pas la fin du monde. La vie a déjà survécu à des catastrophes, l'humanité survivra aussi. Son extinction n'est pas pour tout de suite", assure Joël Savarino.
Ce scénario catastrophe est-il inéluctable ?
Les auteurs de l'étude australienne plaident pour "une mobilisation mondiale massive" et jugent que celle-ci est "nécessaire dans la prochaine décennie". Ils font une analogie avec le plan Marshall lancé après la Seconde Guerre mondiale. Sans pour autant s'étendre sur le contenu d'un tel plan.
Gilles Ramstein, directeur de recherche au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement, déplore cette comparaison et critique l'idée sous-jacente de "mettre l'industrie au service de la lutte contre le réchauffement climatique". Le climatologue le reconnaît cependant : "Il faut une planification à long terme à l'échelle mondiale pour réduire notre facture énergétique sur vingt ans, en particulier dans les transports et le chauffage." Une planification qui "entre en contradiction avec la rentabilité immédiate", souligne-t-il. Or "il y a de très gros intérêts financiers en jeu qui vont intéresser de grands groupes. Et il ne faut pas donner massivement de l'argent à une industrie polluante qui va se refaire sur le dos de l'économie verte."
Le chercheur prône une mesure iconoclaste : "Il faut faire par exemple des transferts de technologies gratuits vers l'Afrique et les pays sous-développés, pour éviter qu'ils ne passent par la phase de la combustion et des énergies fossiles comme les pays riches ou l'Inde, la Chine, les pays en développement."
Le Giec aussi "propose des solutions concrètes, mais aussi des paris technologiques pour capter le CO2 atmosphérique, par exemple", rappelle Françoise Vimeux. Selon le Giec, il faut en priorité s'attaquer aux émissions de gaz à effet de serre, à commencer par le dioxyde de carbone (CO2). Pour que la hausse des températures ne dépasse pas 1,5 °C, il faut diminuer d'environ 45% les émissions mondiales de CO2 d'ici à 2030 par rapport à leur niveau de 2010, puis atteindre vers 2050 la neutralité carbone, c'est-à-dire le point où les émissions sont compensées par l'élimination du CO2 présent dans l'atmosphère. Il faudrait aussi que les énergies renouvelables fournissent 70 à 85% de l'électricité en 2050. Les émissions de CO2 de l'industrie, elles, devraient être inférieures d'environ 65 à 90% en 2050 par rapport à ce qu'elles étaient en 2010.
Outre la production d'énergie et l'industrie, il faudrait revoir les politiques d'aménagement du territoire, réformer les modèles agricoles, développer des moyens de transports moins polluants, construire des bâtiments moins énergivores… Il faudrait aussi préserver les écosystèmes, reboiser, restaurer les sols pour que le carbone y reste stocké, mais aussi développer des technologies de capture et de stockage du carbone dans l'air, comme le font naturellement les arbres.
La facture de tels bouleversements est vertigineuse. Le Giec évalue les investissements nécessaires dans le système énergétique à 2 400 milliards de dollars par an entre 2016 et 2035. Cela revient à consacrer environ 2,5% du PIB mondial à la lutte contre le réchauffement climatique.
"Ce n'est pas un problème insoluble, il faut une vraie solidarité, une vraie politique internationale. Il faut que l'ONU ait plus d'importance", assure Frédéric Parrenin. Pour autant, "le progrès technologique ne résoudra pas tout", prévient le climatologue. "Pour réduire les gaz à effet de serre, il ne faut pas attendre que les gouvernements agissent, ils ne peuvent pas tout faire, poursuit Henri Waisman. Les villes, les régions, le secteur privé, les citoyens, tous ont un rôle fondamental."
Ce type d'études est-il efficace ?
Pour le climatologue Gilles Ramstein, la "posture catastrophiste" de l'étude australienne a une vertu : "Elle permet de lancer une alerte encore plus forte." "Si on ne fait rien, les réactions vont être de plus en plus émotionnelles et les choix qui seront faits ne seront pas forcément les bons, fait valoir l'expert. Plus tôt on commencera à changer de cap, mieux ce sera. Mais malheureusement, pour l'heure, rien ne bouge."
"La prise en compte du risque maximum, c'est une approche intéressante, juge son confrère Benjamin Sultan. Si on se montre trop conservateur ou réservé dans nos prévisions, en écartant les fourchettes les plus hautes, on risque de ne pas être préparé."
Mais "c'est à double tranchant", avertit la climatologue Françoise Vimeux. "C'est important de transmettre nos connaissances pour sensibiliser les citoyens, éveiller les consciences, éclairer la prise de décision, mais ce n'est pas utile d'être aussi alarmiste."
Cela peut créer un sentiment de fatalité. Cela désarme. Les gens vont se dire : "Cela ne sert à rien, c'est la fin, c'est trop tard." Mais ce n'est pas vrai. Il n'est pas trop tard.
Françoise Vimeux, climatologueà franceinfo
A l'inverse, "exposer les différents scénarios, c'est aussi donner la possibilité de débattre de ce qui est acceptable ou non socialement, argumente la chercheuse. Accepte-t-on que la Grande Barrière de corail soit détruite ? Accepte-t-on qu'il y ait des millions de déplacés ? Ce sont des questions sociétales."
"On peut éviter ce pire scénario. Toutes les décisions qu'on va prendre ou pas dans les dix ans vont avoir des conséquences. Les dix prochaines années, c'est l'échéance si on veut empêcher un réchauffement supérieur à 1,5 ou 2 °C, note Benjamin Sultan. Il faut changer complètement, il faut des transitions radicales sur notre façon de consommer, de produire, dans tous les secteurs et partout dans le monde."
"Si on écoute les discours alarmistes, il y a le risque de dire que c'est foutu. Ça ne l'est pas. La jeunesse défile dans le monde entier. Ces discussions, on ne les avait pas il y a cinq ou dix ans", renchérit Henri Waisman. Le coauteur du rapport du Giec l'assure : "C'est loin d'être perdu. Au-delà de la crainte de l'échec, il est possible d'y arriver, et c'est même souhaitable."
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