Pacte vert européen : pourquoi le projet d'extension du marché carbone fait grincer des dents
Dans son paquet climat présenté mercredi, la Commission européenne propose la mise en place d'un marché du carbone pour le transport routier et le chauffage aux énergies fossiles. Des ONG écologistes jugent cette mesure injuste socialement et risquée politiquement.
Bruxelles risque-t-il de faire renaître les "gilets jaunes" ? La Commission européenne a présenté, mercredi 14 juillet, des mesures devant permettre à l'Union de réduire de 55% ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 par rapport à 1990. L'objectif de ce paquet climat est de limiter les effets du réchauffement climatique et, très concrètement, "d'éviter qu'il ne fasse en Europe 49,6 °C comme récemment au Canada", illustre Thomas Pellerin-Carlin, directeur du Centre énergie à l'Institut Jacques Delors.
Parmi la douzaine de propositions mises sur la table par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, figure la création d'un nouveau marché du carbone pour les transports routiers et pour le chauffage des bâtiments aux énergies fossiles (gaz et fioul). Cette mesure suscite de vives inquiétudes parmi les ONG et certains parlementaires européens, comme le Français Pascal Canfin, élu sous les couleurs de la majorité présidentielle.
"Ce plan ouvre les bons chantiers", reconnaît Samuel Leré, responsable du plaidoyer à la Fondation Nicolas Hulot (FNH). "Nous saluons notamment la fin des véhicules thermiques en 2035. Mais il y a un gros point noir sur le marché carbone." Même préoccupation au sein du Réseau action climat (RAC), qui voit se dessiner "une impasse sociale mais aussi climatique".
"Il va y avoir de plus en plus d'oppositions aux mesures climatiques."
Neil Makaroff, responsable Europe du Réseau action climatà franceinfo
"Il ne faut pas réunir le cocktail qui a donné le mouvement des 'gilets jaunes' en France", met en garde Neil Makaroff,.
Pacte vert et factures dans le rouge ?
Dès 2026, la Commission entend créer un nouveau marché du carbone, où les industriels pourront se répartir une quantité maximale d'émissions de CO2 fixée à l'avance. Pour avoir le droit de vendre du fioul ou de l'essence, chaque fournisseur devra au préalable acheter une partie de ce stock de carbone, déterminée en fonction de la quantité de combustible qu'il souhaite vendre.
Pour faire diminuer les émissions globales, la Commission fera progressivement baisser le plafond de CO2 proposé sur ce marché. Mécaniquement, cette diminution du stock fera grimper les prix, ce qui risque d'entraîner une hausse de la facture pour le consommateur final.
Contrairement à une taxe carbone, dont la trajectoire est prévisible, les prix sur ce marché dépendent de l'offre et de la demande. Ils peuvent donc varier rapidement, ce qui inquiète le RAC. "Dans le marché actuel [qui concerne d'autres secteurs, comme l'aérien ou l'électricité], le prix du CO2 est passé de 5 euros en 2018 à 50 euros en 2021", s'alarme Neil Makaroff.
"Si vous avez le même système que le marché actuel, vous risquez de faire exploser la facture énergétique des ménages."
Neil Makaroff, responsable Europe du Réseau action climatà franceinfo
En moyenne, les dépenses des ménages européens les plus modestes pourraient augmenter annuellement de 44% pour les transports et de 50% pour le chauffage résidentiel, selon le think-tank ERCST (PDF, en anglais).
Des permis toujours gratuits pour les industries
Consciente du problème, la Commission européenne prévoit un fonds social pour le climat de 72 milliards d'euros. Mais le RAC juge la somme "ridicule" et doute que les Etats membres utilisent correctement ce fonds. "C'est compliqué de bien cibler les ménages", complète Samuel Leré.
"Quand vous devez payer votre facture à la fin du mois et qu'elle a augmenté, vous êtes en difficulté tout de suite. Le fonds européen n'interviendra pas à ce moment-là."
Samuel Leré, responsable du plaidoyer à la Fondation Nicolas Hulotà franceinfo
Neil Makaroff observe que, dans le même temps, la Commission européenne prévoit de prolonger jusqu'en 2036 le principe des permis de polluer gratuits sur le marché carbone dans l'industrie. "C'est injuste de taxer les ménages et de ne pas taxer les plus grands pollueurs de l'industrie européenne", relève-t-il.
Un gain environnemental jugé faible
Ce "risque" social et politique n'en vaudrait pas la chandelle, selon Thomas Pellerin-Carlin. "C'est beaucoup de douleurs pour peu de gain environnemental", pointe le chercheur.
"Augmenter le prix de l'essence de 10 centimes, ce n'est pas cela qui va permettre aux gens de passer à l'électrique."
Thomas Pellerin-Carlin, directeur du Centre énergie de l'Institut Jacques Delorsà franceinfo
Ce spécialiste des politiques européennes appelle à "obliger les constructeurs à produire davantage de voitures électriques, à des prix plus bas", en complément de la fin annoncée des véhicules thermiques neufs en 2035. Pour le chauffage des bâtiments, le RAC et la FNH estiment que des politiques de rénovation seraient plus efficaces et plus justes socialement.
Thomas Pellerin-Carlin invite cependant les consommateurs à ne pas paniquer. "L'UE est une démocratie parlementaire, rappelle-t-il. Ce paquet climat sera profondément transformé par le Parlement européen et le Conseil européen. Ce processus va durer deux ans, a priori, et sera donc terminé en 2023." La Fondation Nicolas Hulot et le Réseau action climat espèrent que le projet d'extension du marché carbone ne survivra pas à ces négociations.
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