Pourquoi vous devriez vous inquiéter du blanchissement de la Grande Barrière de corail (même si ça paraît loin)
Les deux tiers de l'immense récif corallien ont subi des dégâts à cause du réchauffement climatique.
Le plus grand récif corallien du monde se meurt. Il est même en "stade terminal", à en croire un scientifique. Entre 2016 et 2017, quelque 1 500 kilomètres de la célèbre Grande Barrière de corail, en Australie, ont été affectés par le blanchissement. Seul le tiers sud est encore indemne. "Il faut au moins une décennie pour le rétablissement total des coraux qui grandissent le plus vite", prévient le biologiste James Kerry, qui a coordonné des observations aériennes des récifs. "Après deux épisodes graves de blanchissement à 12 mois d'intervalle, les récifs endommagés en 2016 n'ont aucune chance de se rétablir", déplore le scientifique.
Ce désastre écologique se déroule loin de la France, à plus de 15 000 kilomètres de Paris. Et pourtant, malgré la distance, l'état de santé critique de la Grande Barrière de corail mérite que vous vous y intéressiez. Franceinfo vous explique pourquoi.
Parce qu'elle est un thermomètre inquiétant du changement climatique
"Ce qui semble faire réagir le genre humain, c'est un danger perceptible, évident et immédiat", mais le réchauffement climatique est souvent perçu comme "abstrait" et "lointain", expliquait en 2015 le philosophe Dominique Bourg, vice-président de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l'Homme, à franceinfo.
S'il fallait une preuve concrète de la hausse des températures, le blanchissement de la Grande Barrière de corail en est une, directe et perceptible à l'œil nu. Cette décoloration est due au stress provoqué par la hausse de la température de l'eau, qui pousse le corail à expulser les algues dites symbiotiques, qui lui donnent sa couleur mais qui, surtout, le nourrissent grâce à leur photosynthèse. Les spécialistes sont formels.
Le blanchissement est lié aux températures record provoquées par le réchauffement climatique.
Terry Hughes, directeur de recherche à l'université James Cook, en Australie
Les récifs peuvent s'en remettre si l'eau refroidit, mais si le phénomène persiste, ils meurent de faim. "Plus les températures vont augmenter et plus fréquents seront les épisodes de blanchissement, poursuit Terry Hughes. La solution est de réduire les émissions de carbone, mais le temps presse." Sans compter que la Grande Barrière subit d'autres attaques directes : les ruissellements agricoles ou encore la prolifération de l'acanthaster planci, une étoile de mer qui revient à intervalle régulier dévorer les coraux.
Parce qu'elle illustre un phénomène qui touche aussi la France
La Grande Barrière n'est pas la seule à peupler les fonds marins de la planète. La France, à travers ses collectivités d'outre-mer, compte des récifs coralliens dans trois océans : Pacifique, Indien et Atlantique. "Les récifs coralliens et leurs lagons couvrent près de 57 557 km carrés", selon les chiffres cités par l'Initiative française pour les récifs coralliens (Ifrecor). Soit tout de même "près de 10% des récifs du monde". Et eux non plus ne sont pas en parfaite santé.
La Barrière de corail de Nouvelle-Calédonie, la deuxième plus longue, avec 1 600 km, a elle aussi déjà subi un épisode de blanchissement, en 2016, qui ne s'est toutefois pas reproduit en 2017. "Nous avons pu vérifier que le scénario catastrophe n'a pas eu lieu, même s'il y a eu des dégâts puisque des coraux sont morts", rapporte Francesca Benzoni, biologiste marine à l'Institut de recherche pour le développement, citée par La 1ère. La "résilience" des coraux, c'est-à-dire leur capacité à retrouver un fonctionnement normal, a toutefois été "affaiblie" par cet épisode.
Le Climate Council of Australia, une organisation à but non-lucratif, liste dans un rapport publié en mars 2017 (pdf en anglais) d'autres régions dont les récifs coralliens ont été abîmés par le blanchissement, ces dernières années : l'île de Guam – un territoire américain du Pacifique – a été "l'une des plus violemment frappées (...), quatre années de suite", mais aussi Hawaï, les Samoa américaines, les Maldives, le Kenya, les Seychelles, le Japon – qui a perdu 70% de son récif corallien – et la Thaïlande, ainsi que le Brésil, au large duquel un récif menacé a été récemment découvert.
Parce que les récifs coralliens font vivre des millions de personnes
Inscrite au patrimoine de l'Humanité depuis 1981, la Grande Barrière de corail est une manne économique pour l'Etat du Queensland et plus généralement pour l'Australie dans son ensemble. En 2015, les zones touristiques le long de la Grande Barrière ont attiré 2,4 millions d'Australiens et 1,1 million de touristes étrangers, qui ont dépensé plus de 2,3 milliards d'euros, affirme une étude de l'Australian Institute (PDF en anglais), un think tank basé à Canberra. Mais la destruction de ses récifs pourrait priver la région d'un million de touristes annuels, menacer 10 000 emplois touristiques et creuser un trou de plus de 700 millions d'euros dans l'économie régionale, d'après cette même source.
Par ailleurs, les récifs coralliens ne sont pas qu'un trésor économique. Ces structures massives, situées entre la surface de l'eau et quelques dizaines de mètres de profondeur, font également d'excellentes barrières de sécurité. Qu'est-ce qui rend les sublimes plages de sable blanc des Maldives si tranquilles ? Une barrière de corail. Les récifs "absorbent jusqu'à 97% de l'énergie des vagues", selon une étude publiée dans la revue scientifique Nature (en anglais) en mai 2014. Et cela permet non seulement de préserver des endroits paradisiaques mais aussi de sauver des millions de vies qui, en l'absence de ces barrières naturelles, seraient plus exposées à la montée des eaux, aux tempêtes et aux tsunamis. "Si on devait construire des digues à la place, ça coûterait très cher et ce serait moins joli", résume Jean-Pierre Gattuso, directeur de recherche au CNRS, interrogé par franceinfo.
Sans compter l'apport pour l'écosystème. "Des récifs 'bien gérés' peuvent donner entre 5 et 15 tonnes de poissons, crustacés, mollusques et autres invertébrés", selon Futura Sciences. Or, dans le monde, "500 millions de personnes" en dépendent directement, "soit 8% de la population, et environ 1 milliard de personnes vivent à moins de 100 kilomètres d’un récif corallien", explique à Sciences & Avenir Serge Planes, directeur de recherche au Centre de recherches insulaires et Observatoire de l’environnement.
Parce qu'elle abrite un nombre incalculable d'espèces marines
Les autorités du parc marin de la Grande Barrière de corail (en anglais) y recensent ainsi 1 625 espèces de poissons, plus de 3 000 mollusques, 630 échinodermes (étoiles de mer et oursins), sans compter les requins, dauphins, oiseaux, tortues qui viennent s'y nourrir.
Et ce n'est rien à côté des estimations mondiales. Si les récifs coralliens du globe représentent 0,2% de la superficie des océans, "un seul km carré rassemble l’équivalent de toute la biodiversité des côtes françaises", précise Serge Planes à Sciences et Avenir. Autour du globe, les coraux pourraient en fait abriter et nourrir un nombre incalculable d'espèces. En témoignent les estimations, qui varient "de 600 000 à neuf millions", selon le journal de l'institut de recherche Smithsonian (en anglais). Si le chiffre de "25% des espèces marines" est régulièrement cité, par la société de protection de l'environnement WWF comme la revue scientifique PlosOne, des chercheurs estiment que toutes ces données pourraient être bien inférieures à la réalité.
La maladie des coraux et leur possible mort menacent donc tous ces habitants et même ceux qui ne font qu'y passer de façon saisonnière. "Beaucoup de poissons viennent se reproduire sur les récifs coralliens, c'est une sorte de nurserie", explique Jean-Pierre Gattuso à franceinfo.
Parce qu'elle renferme des ressources pour la médecine
"C'est mineur, et c'est vrai pour tous les écosystèmes, mais on a quand même identifié quelques organismes utiles à la recherche", confirme Jean-Pierre Gattuso. Il s'agit, selon lui, d'un "argument un peu bateau", destiné à alerter le public sur l'importance de préserver les récifs coralliens, mais tout de même. Des organismes récifaux ont démontré des propriétés qui pourraient servir à ralentir le développement de certaines tumeurs.
En outre, le venin de la blennie, un petit poisson des récifs coralliens du Pacifique, pourrait donner naissance à une nouvelle classe d'antidouleur. "Ces poissons sont les plus intéressants que j'aie jamais étudiés et ils ont un venin qui est le plus surprenant de tous les venins connus", explique Bryan Fry, professeur à l'Université de Queensland, l'un des principaux auteurs de cette découverte publiée dans la revue américaine Current Biology. "Si on perd la Grande Barrière de corail, nous perdrons aussi des animaux comme ces blennies et leur venin unique", fait-il valoir.
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