: Vrai ou faux Régionales : les attaques de certains candidats contre les éoliennes sont-elles fondées ?
Critiquées par le Rassemblement national, des candidats de droite ou le parti communiste, les éoliennes agitent la campagne des régionales. Les critiques sont parfois factuelles, mais souvent outrancières et caricaturales.
C'est un épouvantail des régionales. Alors que leur implantation ne relève pas de la compétence des régions, plusieurs candidats ont fait de la lutte contre les parcs éoliens un thème de campagne. C'est le cas dans les Hauts-de-France, première région éolienne du pays, avec 26,24% de la production nationale en 2019, selon EDF. Son président sortant, Xavier Bertrand, estime qu'"il est temps de mettre un terme à ce scandale". "Cela défigure le paysage, ça pourrit la vie des riverains, ça coûte un fric fou", a déclaré le candidat à sa réélection, sur France 3 Nord-Pas-de-Calais en janvier. Il promet aussi de financer des associations anti-éoliennes pour leur action en justice contre les projets.
Le Rassemblement national, qui proposait en 2017 un moratoire sur l'éolien, n'est pas en reste. "Le combat contre les éoliennes est un combat majeur, parce que les éoliennes sont une véritable catastrophe, visuelle, écologique, économique", a soutenu Marine Le Pen, en déplacement dans l'Aisne le 15 mai, selon Le Monde. Ses candidats dans les autres régions, comme en Normandie ou dans les Pays de la Loire, tiennent la même ligne. Dans l'Indre, des militants se sont alliés à Debout la France, seul parti qui avait rallié le RN au second tour de la présidentielle 2017, pour monter une liste anti-éoliennes, rapporte France Bleu.
Ces attaques contre l'un des symboles de la transition énergétique engagée pour lutter contre le réchauffement climatique sont-elles fondées ? Franceinfo passe au crible les arguments anti-éoliennes.
1L'éolien est superflu, car "nous avons déjà une énergie décarbonée"
La phrase. Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national, le 9 mars 2021. "Grâce au nucléaire, nous disposons déjà d'une économie décarbonée dans sa majorité. Pourquoi détruire nos paysages et provoquer de multiples nuisances en semant partout des champs d’éoliennes au rendement énergétique désastreux, intermittent et dépendant."
Les explications. La présidente du RN commet une première erreur. Elle confond la production d'électricité – peu émettrice de gaz à effets de serre (GES) grâce au nucléaire et à l'hydraulique et aux énergies renouvelables – avec la consommation totale d'énergie en France, dominée par les énergies fossiles (60% pour le pétrole, le gaz et le charbon, contre 26% pour l'électricité) qui produisent beaucoup de GES, au premier rang desquels on retrouve le dioxyde de carbone (CO2). Au-delà de cette confusion, son argument fait bondir Nicolas Goldberg, consultant énergie chez Colombus Consulting, un cabinet de conseil aux entreprises. "Pour tenir nos engagements climatiques, nous allons avoir besoin de plus d'électricité et de nouveaux moyens de production sans CO2", rappelle-t-il, en alertant sur "deux sujets à venir" : le vieillissement du parc nucléaire, qui n'est pas éternel et qu'il faudra remplacer un jour, et la "limitation industrielle".
"Nous n'arriverons pas à tenir le rythme de construction, estime-t-il. L'idée de remplacer le parc actuel par des EPR date de l'époque où l'EPR coûtait 3 à 4 milliards d'euros et devait se construire en cinq ans." A Flamanville (Manche), le premier chantier de ce réacteur nouvelle génération a débuté en 2007 pour une mise en service prévue en 2012 et un coût de 3,3 milliards d'euros. La mise en service du réacteur est désormais espérée pour 2023, pour un coût total estimé par la Cour des comptes à 19,1 milliards d'euros (PDF, page 68).
2 L'éolien "coûte un fric fou" aux Français
Les phrases. Xavier Bertrand sur France 3 Nord-Pas-de-Calais : "Cela coûte un fric fou." Marine Le Pen le 15 mai dans Le Courrier Picard : "Si on suit les projets du gouvernement, ce sont des millions de Français, demain, qui seront en précarité énergétique. Cela aura un coût."
Les explications. Pour Nicolas Goldberg, cet argument, qui dénonce en creux les subventions accordées à l'éolien, est "fallacieux" parce que quel que soit le type d'énergie, la France "va avoir besoin d'investir dans le parc et les réseaux", tous deux vieillissants. "Il va falloir payer. Est-ce que cela va faire augmenter la facture ? Cela dépend comment c'est répercuté. Depuis 2016, ce ne sont pas les investissements qui font augmenter la facture", précise-t-il. Ce spécialiste de l'énergie souligne que l'éolien est de "moins en moins cher" et renvoie au coût de l'EPR de Flamanville évoqué plus tôt, plus de 19 milliards d'euros.
Dans son dernier rapport sur le coût de production de l'électricité, l'Agence internationale pour l'énergie (AIE) classe, pour la France, l'éolien terrestre en quatrième position (45 euros par MWh). Il arrive derrière les centrales nucléaires, qui bénéficient d'un coût de construction déjà en partie amorti (25 ou 29 euros par MWh suivant l'extension de leur durée de vie à 10 ou 20 ans) et les centrales photovoltaïques au sol (28 euros par MWh). Mais devant le nucléaire de troisième génération que représente l'EPR (58 euros par MWh), dont le coût final reste incertain. L'éolien en mer, aux coûts de construction plus élevés, se classe en septième position (73 euros par MWh).
3Les éoliennes "ne tournent pas tout le temps"
Les phrases. Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, au Figaro : "Je suis pour des énergies pilotables, disponibles tout de suite en appuyant sur un bouton. Les énergies renouvelables telles que l'éolien et le solaire ne peuvent pas répondre en cas de pic de consommation." Xavier Bertrand, sur France 3 Nord-Pas-de-Calais : "On va avoir des véhicules électriques, on va développer tout ça, avec moins de nucléaire et des éoliennes qui ne tournent pas tout le temps."
Les explications. Cet argument "est plus audible", juge Nicolas Goldberg. C'est un fait, une éolienne ne fonctionne pas quand le vent est trop faible ou trop fort et la puissance installée affichée ne correspond pas à la production réelle d'électricité. "En un an, une éolienne a produit autant d'électricité que si elle avait tourné 20 à 25% du temps à capacité maximale", précise l'Agence de la transition écologique (Ademe). Elle n'est pas non plus pilotable, c'est-à-dire qu'on ne peut pas la démarrer ou l'arrêter en fonction de la demande, contrairement à une centrale nucléaire ou une centrale à charbon.
L'énergie éolienne a d'autres avantages : elle ne produit pas de gaz à effet de serre et ne nécessite pas l'importation de combustibles comme l'uranium ou le gaz. "Nous avons besoin de toutes les énergies", résume Nicolas Goldberg, en citant le récent rapport de l'AIE sur la neutralité carbone en 2050, pour faire face à la menace du réchauffement climatique. L'AIE estime que pour atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050, il est nécessaire de quadrupler, d'ici 2030, la production d'électricité solaire et éolienne par rapport au niveau de 2020. En 2050, ces deux énergies renouvelables doivent peser près de 50% de la production d'électricité. Une augmentation du nucléaire est attendue, mais dans des proportions moindres et de façon à maintenir sa part de 10% dans le mix énergétique.
4L'éolien est développé de façon "anarchique"
La phrase. Xavier Bertrand en mars 2021, cité par Le Journal du dimanche : "une méthode de développement anarchique qui méprise les populations".
Les explications. L'installation d'un parc éolien est soumise à un certain nombre de règles, comme une distance minimale de 500 mètres par rapport aux habitations. Comme le rappelle l'Ademe, elle est aussi soumise à une consultation des communes et à une enquête publique. "Des réunions de présentation et de concertation sont fréquemment organisées avec les habitants vivant dans un rayon de 6 km autour du site d'implantation retenu", détaille l'Agence pour la transition écologique.
Il est également possible de contester un projet éolien en justice, mais cette voie a été restreinte par la récente loi d'accélération et de simplification de l'action publique (Asap), qui rend le Conseil d'Etat seul compétent pour ces contentieux. "Ce qu'on souhaite tous, c'est ne pas passer notre vie avec des procédures qui sont beaucoup trop longues", avait assumé la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, en novembre 2020.
5Les éoliennes "défigurent les paysages"
Les phrases (et le tweet) : Marine Le Pen, dans Le Courrier Picard : "C'est une catastrophe visuelle." Xavier Bertrand sur France 3 Nord-Pas-de-Calais : "Cela défigure les paysages français."
Les explications. Cet argument, repris par des personnalités médiatiques comme Stéphane Bern, est difficile à objectiver. Il faut toutefois noter que l'installation éventuelle d'un parc éolien à proximité d'un site patrimonial remarquable est soumise à l'accord de l'architecte des Bâtiments de France, comme le rappelait le ministère de la Transition écologique dans une réponse à un député en 2019. "La procédure d'instruction des parcs éoliens actuellement définie dans le code de l'environnement permet donc la consultation, à plusieurs reprises, de professionnels du paysage et de la culture", insistait le ministère.
Le reste relève des goûts de chacun : certains élus écologistes ne se privent pas d'objecter que d'autres éléments défigurent les paysages français. L'autoroute, par exemple.
C'est vrai que toute cette asphalte c'est bien laid, n'est-ce pas ?
— rémi zinck (@RemiZinck) May 22, 2021
6L'éolien est une "catastrophe écologique"
La phrase. Marine Le Pen, le 15 mai dans Le Courrier Picard : "C'est une catastrophe visuelle, écologique."
Les explications. Cet argument porte deux types de critiques : la consommation de matériaux (béton, métaux) et le recyclage des éoliennes en fin de vie d'un côté, l'impact sur la biodiversité de l'autre. Sur le premier point, "si l'on compare à la quantité de matériaux nécessaires pour une voiture électrique ou dans le bâtiment, nous ne sommes pas du tout sur les mêmes ordres de grandeur", selon Nicolas Goldberg, en rappelant en outre que la France comptera à terme bien plus de véhicules électriques que d'éoliennes. Pour le recyclage, l'Ademe assure que 90% du poids d'une éolienne (acier et béton) est recyclable, mais reconnaît que les pales, constituées de matériaux composites, sont "plus difficiles à recycler".
Côté biodiversité, l'implantation d'un parc éolien terrestre peut provoquer des dégâts. "Il y a plusieurs impacts potentiels sur les oiseaux : l'altération des habitats pendant la période de chantier, le dérangement dû à la présence des éoliennes et le risque de collision", cite Geoffroy Marx, responsable du programme éolien et biodiversité à la Ligue de protection des oiseaux. Dans une étude publiée en 2017, la LPO estimait la mortalité entre 0,3 et 18,3 oiseaux par éolienne et par an. Une différence qui s'explique par la localisation des parcs, dans des couloirs migratoires ou à proximité de zones protégées. Ces derniers mois, le parc d'Aumelas, dans l'Hérault, a été condamné en mars pour destruction de rapaces protégés, et un gypaète barbu a été tué aux Pays-Bas. "Notre positionnement, c'est oui à l'éolien, mais pas n'importe où et pas n'importe comment, notamment pas dans les zones Natura 2000", plaide le responsable associatif, en rappelant que le réchauffement climatique tue aussi des oiseaux, tout comme les énergies fossiles – marée noire – et le nucléaire – collision avec les tours des centrales.
En mer, les éoliennes peuvent avoir les mêmes impacts sur les oiseaux – la LPO s'oppose au grand parc prévu au large de l'île d'Oléron –, auxquels il faut ajouter des répercussions sur le milieu marin. En baie de Saint-Brieuc, les pêcheurs s'inquiètent des conséquences du futur parc sur les stocks de poissons. Sur l'impact de ces mâts sur l'écosystème marin, les certitudes scientifiques manquent alors que la France ne compte encore aucun parc offshore en service. "Nous sommes peu nombreux à travailler sur la question par rapport à la demande sociale", reconnaît Nathalie Niquil, chercheuse en biologie marine et en modélisation des écosystèmes à l'université de Caen et au CNRS.
Avec quelques collègues, elle a simulé l'impact du futur parc offshore de Courseulles-sur-Mer (Calvados), à partir de données récoltées sur des parcs installés à l'étranger et des caractéristiques de la baie de Seine. "Le résultat est plutôt positif si on parle de biodiversité, avec l'effet récif qui va attirer des moules et d'autres espèces associées, explique-t-elle. Si la logique est de ne pas modifier le milieu, alors, c'est négatif mais la baie de Seine est déjà très dégradée, donc ce n'est pas un objectif de la préserver en l'état". A l'inverse, elle déconseille l'installation de ces parcs dans des zones naturelles en bon état. Ces résultats, issus d'une simulation, devront être confirmés par des études de terrain. Nathalie Niquil tient cependant à souligner que ces impacts "sont globalement limités" par rapport à d'autres pollutions et aux conséquences dévastatrices du changement climatique, qui réchauffe et acidifie les océans. "Il ne faut pas oublier que le réchauffement climatique est la principale menace pour les océans", contextualise la chercheuse.
7L'éolien est "dangereux pour la santé"
Les phrases : Xavier Bertrand sur France 3 Nord-Pas-de-Calais : "Nous allons financer des études sur la santé pour bien montrer les conséquences de ces éoliennes." Hervé Juvin, candidat RN dans les Pays-de-la-Loire, le 30 mai sur Twitter : "Des animaux meurent, plus de 400 animaux morts en une dizaine d'années."
Les explications. Maux de tête, nausées, troubles du sommeil... Certains riverains de parc éolien, comme dans ce reportage de franceinfo, se plaignent de problèmes de santé regroupés sous le terme de "syndrome éolien". En cause selon eux, les infrasons – des bruits que nous ne pouvons pas entendre – émis par les pales de l'engin dans leur rotation. Dans un avis rendu en mars 2017, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) estimait que les effets des infrasons éoliens sur la santé "restent à démontrer" et regrettait le peu d'études scientifiques sur le sujet. L'agence relevait également un effet "nocebo", soit l'inverse du placebo : des personnes convaincues du danger pour la santé des éoliennes développent des symptômes. "Le seul effet observé par les études épidémiologiques est la gêne due au bruit audible des éoliennes", conclut l'Anses. Un bruit généralement inférieur à 35 décibels à 500 mètres, "moins qu'une conversation à voix basse", selon les mesures de l'Ademe.
Les éoliennes sont également accusées d'avoir un impact sur la santé du bétail. A Nozay (Loire-Atlantique), un éleveur, qu'Hervé Juvin a rencontré pendant la campagne et que franceinfo avait interrogé en 2019, accuse le parc éolien d'avoir fait chuter sa production de lait et d'avoir provoqué la mort de 400 bovins en huit ans. Les nombreuses expertises n'ont rien donné, mais, contrairement à ce que dit Hervé Juvin sur Twitter, l'exploitant éolien a fini par accepter, en avril, le principe d'une mise hors tension de 10 jours pour tenter de mesurer les effets sur les animaux. Ce test, qui doit être mené "avant l'été", selon Ouest-France, devrait permettre d'y voir plus clair.
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