Yann Arthus-Bertrand : "La pauvreté a des conséquences sur l'écologie"
Le photographe-réalisateur revient avec Human, un documentaire qui donne la parole à des centaines d'anonymes à travers le monde. Il répond aux questions de francetv info.
Après les paysages, les témoignages. A quelques semaines de la conférence environnementale de Paris qui doit aboutir à un accord global pour limiter le réchauffement à 2°C, Yann Arthus-Bertrand revient avec Human, son nouveau projet documentaire. Ce film, décliné à la télévision, sur internet et au cinéma, donne, cette fois, la parole à des centaines d'anonymes à travers le monde. Objectif : évoquer la condition humaine.
Pour cela, le réalisateur et photographe a parcouru plus de 60 pays et interrogé plus de 2 000 personnes sur leur quotidien et leur perception de la vie. Le documentaire évoque des sujets aussi vastes que la liberté, l'amour, mais aussi l'agriculture, l'immigration ou l'homosexualité. Avant d'être diffusé sur France 2 et francetv info, au cours d'une soirée spéciale, Human est présenté, samedi 12 septembre, jour de la sortie de sa version cinéma en France, aux Nations unies, à New York (Etats-Unis). A cette occasion, francetv info a interviewé le réalisateur sur son projet.
Francetv info : Le public vous connaît pour La Terre vue du ciel et Home. Votre nouveau film, Human, est bien différent des précédents. Pourquoi avoir filmé des hommes ?
Yann Arthus-Bertrand : On vit dans un monde extrêmement difficile. On le voit bien avec ce qui se passe en ce moment : les guerres, les conflits, les réfugiés... J’avais besoin de faire un film qui parle de bienveillance et de gentillesse. Ce ne sont pas des mots en l’air. A près de 70 ans, j’avais envie de parler de ça. Cela ne sert à rien de faire des grandes phrases. Il faut aller à l’essentiel, et l’essentiel c’est de savoir qu’aimer, ça rend meilleur. On vit dans un monde où on recherche le bonheur, le mieux vivre… Mais le bonheur, il est dans le fait d'aider les autres ! Je pense que ces interviews donnent à entendre des choses qui vous font avancer. Ce sont des personnes qui ne passent ni à la radio ni à télé, mais qui aident les autres au quotidien. Elles font beaucoup plus que moi et j’aimerais leur ressembler.
Vous prônez le recours aux bons sentiments. Vous n’avez pas peur de paraître un peu "guimauve" ?
Evidemment, je vais être taxé de ça. Mais pour moi, le bon sentiment n’est pas ringard. Cela m’insupporte quand j’entends le contraire. Je pense que l’engagement est important, que la gentillesse est importante. Libération m’avait traité de “grand nunuche”. Eh bien, je prends avec plaisir !
Quel a été le déclic de ce nouveau film ?
Cela remonte à une panne d’hélicoptère survenue au Mali. J’ai atterri dans un petit village où, pendant deux jours, une famille m’a accueilli et m’a tout donné. Quand l’homme m’a expliqué ce que c’était de travailler la terre à la main tous les jours, sans rien vendre, en ayant peur de la météo, de la maladie, des insectes, j’ai réalisé que ça m’avait bien plus pénétré que n’importe quelle émission de télévision. Je me suis dit : “Un jour, j’irai parler à ces gens autour du monde”. J’ai voulu en faire un film. Mais je bloquais sur le mélange entre intime et univers. Le film Tree of Life de Terrence Malick m'a débloqué. En voyant la scène d'ouverture, je me suis dit que je pouvais faire comme lui : juxtaposer un récit avec des images de l'univers.
Que devient votre combat pour l’écologie, qui a fait votre succès ?
Mais il est toujours là ! Les deux vont ensemble. Tout est lié : les problèmes économiques, la pauvreté ont des conséquences sur l’écologie. Si on tue les rhinocéros, c’est parce qu’il y a une pauvreté en Afrique. Si on déboise, c’est souvent pour cultiver de nouvelles terres.
Quand je suis né, nous étions 2 milliards ; nous sommes 7,4 aujourd’hui. Dans ce monde compliqué qui va connaître un changement climatique, il va falloir être plus humain pour vivre ensemble. Sinon, ce sera une guerre totale. C’est une vraie révolution qui se prépare, beaucoup plus qu’on ne le croit. Regardez ce qui se passe en ce moment avec les réfugiés. Ces gens qui arrivent, qui ne peuvent pas faire autrement que partir… et bien, il en arrivera beaucoup plus dans l’avenir, j’en suis persuadé. Ils vont s’installer chez nous et on ne réglera le problème qu’avec de la bienveillance. Et pas du cynisme ou du scepticisme.
Il faut donc voir Human comme un prolongement de votre engagement écologique ?
Oui, bien sûr. Aimer les animaux, les arbres, la nature, c’est très important. Mais un écolo doit d’abord aimer les autres. On ne peut pas vivre sur cette planète sans ça. On ne peut pas simplement dire : “L’homme détruit tout, il est responsable”. Je suis moi-même un homme qui fait partie de ce monde. Il faut aimer son siècle avec ses excès, ses peurs.
Dans Human, vous avez conservé des images de la Terre vue du ciel. Vous utilisez toujours l’hélicoptère, ce qui vous vaut d’être taxé d'"hélicologiste" par vos détracteurs. Que leur répondez-vous ?
Que je compense mon carbone depuis 2002, en fabriquant des fours de biogaz ou de méthane. Cela permet à des villages d’avoir de l’énergie sans avoir à couper du bois, comme en Inde, par exemple. Je n’en suis pas content, on essaie au maximum d’en faire le moins possible. Mais c’est la seule machine qui nous permet de faire de telles images.
Et pourquoi avoir soutenu la candidature du Qatar pour la Coupe du monde de football en 2022 ?
Alors ça, c’était une grosse connerie. Je les connaissais un peu. La fondation du Qatar m’avait aidé pour financer Home : elle avait acheté les droits du film pour tous les pays arabes. Je trouvais ça génial car ce sont des pays producteurs de pétrole. Quand ils sont venus me voir avec ce projet de Coupe du monde en disant qu’ils allaient démonter les stades pour les emmener dans des pays en voie de développement, que tous les transports seraient compensés en carbone, j’ai trouvé ça vachement bien. Du coup, je les ai soutenus et je l’ai dit à la télé. C’est après que j’ai appris que les stades avaient l’air conditionné. J’ai fait une connerie et j’assume. Je n’aurais pas dû faire ça.
Le film Human est diffusé juste avant la conférence environnementale de Paris. Y a-t-il un lien entre les deux ?
Non, pas du tout. Mais on travaille, en ce moment, sur Terra, qui sera LE film de la COP21. Il sera très différent. Il parlera de la beauté et de l’intelligence animales alors que jusque-là, j’ai beaucoup travaillé sur les hommes. Cela m’intéresse beaucoup car l’homme est devenu le plus gros mammifère de la planète et élimine les autres animaux. Le film évoquera le regard que l’homme porte sur ce monde, un monde qu’il est en train de détruire en sachant qu’il va vers quelque chose de terrible.
Vous essayez toujours de mobiliser sur ces thématiques. Pourtant, nous constatons au quotidien qu'il est difficile de passionner les foules. Avez-vous le sentiment qu'on ne se sent pas concerné par l'écologie ?
Le problème n’est pas que tout le monde s’en fiche ; c’est juste qu’on n’a pas trouvé la solution pour changer notre système de civilisation fondé sur les échanges et le business. On a toujours besoin d’avoir plus. Or, il va falloir comprendre que nous devons vivre mieux avec un petit peu moins. Nous sommes l’exemple même du pays qui consomme trop, qui jette, jusqu’à sa nourriture. C'est nul !
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