Reportage "A Mayotte, ils n'ont plus rien à manger" : après le passage du cyclone Chido, les Mahorais de La Réunion se mobilisent pour aider leurs proches

Article rédigé par Robin Prudent - envoyé spécial à La Réunion
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Fayadhui Ousseni, au local de l'association Agathe, à Saint-Denis (La Réunion), le 17 décembre 2024. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)
Alors que les communications sont toujours difficiles et que l'attente se poursuit pour de nombreuses familles, l'importante communauté mahoraise de La Réunion a décidé de passer à l'action.

"Il y a des douleurs et des souffrances qui sont invisibles." Assis dans une grande pièce de la délégation de Mayotte à La Réunion, Mohamed Bamcolo pèse chacun de ses mots. Le délégué du 101e département français, qui a été dévasté par le cyclone Chido, est éprouvé. Sa famille réside à Mayotte et seul son fils a pu lui donner quelques nouvelles, trois jours après la catastrophe. "Au-delà de nos fonctions, nous sommes des êtres humains", souffle le fonctionnaire en costume, mardi 17 décembre. Comme lui, toute la communauté mahoraise de La Réunion oscille entre le choc des images, l'attente d'informations et la volonté d'aider.

Cette solidarité a envahi les bureaux de l'antenne du conseil départemental de Mayotte à Saint-Denis. En quelques jours, la préfecture de La Réunion est devenue la plateforme logistique de la France pour venir en aide à Mayotte, à 1 500 kilomètres de là.

Mohamed Bamcolo à la délégation de Mayotte à La Réunion, le 17 décembre 2024. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Au sol, des paquets de couches par dizaines et des packs d'eau par centaines empêchent les agents de circuler. Sur les bureaux, le lait infantile a remplacé les ordinateurs. Et sous les drapeaux de la France, de l'Union européenne et de Mayotte, des sacs de course remplis de conserves attendent de pouvoir être acheminés sur l'archipel.

"Nous ne pouvons pas refuser les gestes spontanés"

Dès le lendemain du passage du cyclone, dimanche 15 décembre, plus d'une centaine d'habitants de La Réunion, principalement issus de la communauté mahoraise, ont convergé vers l'établissement, surnommé "La maison de Mayotte". "La délégation est devenue la seconde maison des Mahorais en attente d'informations sur leurs êtres chers", explique Mohamed Bamcolo. La veille, l'établissement a fermé ses portes à 20 heures, au lieu de 16h45 habituellement, face à l'afflux d'habitants en quête de renseignements.

"Ici, les Mahorais sentent une certaine proximité, un accueil, une chaleur. On voit parfois des adultes pleurer."

Mohamed Bamcolo, délégué du conseil départemental de Mayotte à La Réunion

à franceinfo

Parmi eux, Zaïna Madi est venue apporter beaucoup de dons et chercher un peu de réconfort. "Ici, on se soutient. On essaie même de rire parfois", glisse la Mahoraise, entourée de plusieurs femmes portant le M'dzinzano, le maquillage traditionnel de Mayotte. Ses proches vont bien "physiquement", mais ils sont "psychologiquement terrorisés", affirme-t-elle. "Ils n'ont plus la force de parler et ils ne veulent pas nous traumatiser."

Zaïna Madi, à la délégation de Mayotte à La Réunion, le 17 décembre 2024. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Dès l'annonce de la catastrophe, Zaïna Madi a tenté de trouver un moyen de retourner à Mayotte. En vain. "Dès que les vols seront rouverts, je partirai pour les aider", assure-t-elle. En attendant, elle participe à la collecte organisée dans les locaux du département qui a pris des allures de caverne d'Ali Baba. Si les autorités recommandent plutôt les dons financiers aux associations reconnues et les dons de matériel de reconstruction aux centres communaux d'action sociale (CCAS), ici tout est accepté. "Nous ne pouvons pas refuser les gestes spontanés des familles", explique Mohamed Bamcolo.

"Je sais que ma mère dort dehors"

A travers le large portail bleu de la délégation, sur lequel une plaque aux couleurs de Mayotte est vissée, l'afflux d'habitants ne tarit pas. "On fait le tri et l'inventaire, puis on va passer à l'emballage et à la mise sur palette", explique Lissilamou Toumbou, courant entre le camion et les locaux. "Une fois que l'on aura un certain tonnage, on pourra envoyer tout cela avec le soutien des élus locaux et de la préfecture", complète le président de l'Union des étudiants mahorais de La Réunion. Alors qu'il est toujours sans nouvelle d'une partie de sa famille, le jeune homme se consacre désormais pleinement à l'aide humanitaire en direction de son île de naissance.

"Il y a beaucoup de liens entre La Réunion et Mayotte. Nous sommes bien plus proches que Paris. Ici, tout le monde se sent concerné."

Lissilamou Toumbou, président de l'Union des étudiants mahorais de La Réunion

à franceinfo

Parmi les donateurs, Fayadhui Ousseni est venu les bras particulièrement chargés. Ce salarié de l'association Agathe a livré une cargaison d'1,7 tonne d'eau lundi. Le lendemain matin, ce Mahorais de 22 ans remplissait à nouveau la camionnette de l'association avec des dizaines de kilos d'invendus alimentaires, à l'arrière d'un supermarché de l'île.

Fayadhui Ousseni et deux bénévoles de l'association Agathe, le 17 décembre 2024, à La Réunion. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

"J'ai eu ma mère au téléphone : à Mayotte, ils n'ont plus rien à manger", rapporte le jeune homme, tee-shirt de l'Olympique de Marseille sur le dos. "Elle ne va pas me dire qu'elle dort dehors, mais je le sais", assure-t-il. Tous ses proches vivent dans des cases en tôle à Kaweni, le plus grand bidonville de France, aujourd'hui rayé de la carte. L'une de ses filles, accompagnée de sa mère, a pu trouver refuge dans une école du quartier.

"Si j'étais encore à Mayotte, je ne sais pas si je serais encore vivant."

Fayadhui Ousseni, salarié de l'association Agathe

à franceinfo

Moins de six mois après son arrivée à La Réunion, le jeune homme est plus que jamais engagé dans la vie associative et prépare, plusieurs fois par semaine, des dizaines de repas pour les plus démunis. Depuis début décembre, il est salarié, grâce à de nouvelles subventions. Mais son premier salaire ne va pas rester longtemps sur son compte en banque. "Je ne vais pas le manger, sourit-il. Je vais tout envoyer à Mayotte."

"La France doit reconstruire Mayotte"

Depuis le passage du cyclone, l'association Agathe a démultiplié ses forces. "Tout s'est fait en une seconde, quand on a compris l'ampleur du désastre", explique sa présidente, Adèle Brial. Un engagement d'autant plus naturel que plusieurs bénévoles viennent également de Mayotte. La fondatrice de l'association réfléchit même à monter une antenne là-bas "pour aider à la reconstruction sur le long terme". "On ne veut pas les lâcher", assure-t-elle.

Un enjeu prioritaire pour tous les Mahorais. "La France doit reconstruire Mayotte", lance Fayadhui Ousseni, avant de reprendre le tri des sacs de riz qui pourront être envoyés sur l'île et les denrées périssables qu'il va cuisiner pour la prochaine maraude à La Réunion. "On ne veut pas retourner dans l'oubli dès la prochaine catastrophe", glisse un autre Mahorais, installé au milieu des piles de dons entreposés dans la délégation du 101e département français. "Cela est arrivé trop souvent, surtout pour Mayotte."

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