Récit "L'intérieur des chambres a été aspiré" : le jour où le cyclone Chido a dévasté Mayotte

L'archipel français a été détruit, samedi, par "le cyclone le plus violent et destructeur" observé sur place depuis 1934, selon la préfecture. Un bilan de plusieurs centaines, voire milliers, de morts est redouté.
Article rédigé par franceinfo
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Une salle de classe dévastée par le cyclone Chido, le 14 décembre 2024, à Mamoudzou (Mayotte). (DANIEL MOUHAMADI / AFP)

Samedi 14 décembre. Il est 7 heures à Mamoudzou (5 heures à Paris) et Mayotte bascule en alerte violette. L'arrivée du cyclone Chido est imminente. La préfecture a ordonné "un confinement strict de l'ensemble de la population, y compris des services de secours et de sécurité". Dans le quartier de Majicavo Koropa, l'un des plus défavorisés de cet archipel de l'océan Indien, Fatima est scotchée à la radio, à l'affût des consignes. "On a très peur", confie à l'AFP cette mère de trois enfants, âgée de 57 ans. Autour d'elle, des stocks "d'eau, de nourriture, de bougies". Au fond d'elle, la hantise de voir son logement, qu'elle dit "sécurisé", céder face aux éléments.

Voilà trois jours que l'appréhension gagne le département, d'abord placé en pré-alerte cyclonique, mercredi, puis en alerte orange, vendredi matin. D'ordinaire épargnée par les cyclones, du fait notamment de la protection naturelle de l'île voisine de Madagascar, Mayotte va faire face à "un événement inédit, d'une extrême violence", a prévenu le préfet, François-Xavier Bieuville. Le sort des quelque 100 000 occupants d'habitations "non solides" en tôle et en bois, soit près du tiers de la population, inquiète tout particulièrement. Pour leur offrir un refuge en dur, les autorités ont ouvert plusieurs dizaines de centres d'hébergement dans des établissements scolaires et des gymnases. 

Pour permettre à chacun de se préparer au pire, vendredi a été déclaré journée morte dans les écoles. A la hâte, 110 sauveteurs et pompiers de la sécurité civile ont été dépêchés dans l'après-midi depuis La Réunion pour "se prépositionner" et pouvoir, une fois le cyclone passé, aider à rétablir le courant, libérer les routes et porter "assistance aux populations sinistrées". En début de soirée, l'aéroport a fermé, peu après que la desserte maritime entre les deux îles principales, Grande-Terre et Petite-Terre, a été interrompue. Même l'eau du robinet a été coupée. Partout, des sons stridents se sont échappés des téléphones : message FR-ALERT du préfet pour annoncer le passage en alerte rouge dès 22 heures. 

"Tout a été emporté"

Le ton des autorités paraissait alarmiste, mais la réalité est encore pire. A Mamoudzou, samedi matin, un habitant décrit une tempête "complètement dingue". "Un arbre s'est effondré sur la terrasse et je ne sais même pas si j'ai encore un toit", confie-t-il à Ouest-France depuis sa baignoire, où il s'est blotti sous un matelas. Dans l'ouest, de l'autre côté de la Grande-Terre, un habitant de M'Tsangamouji, lui aussi "réfugié dans les sanitaires", raconte au quotidien comment le toit de sa maison a été arraché et affirme que son salon a été envahi par des débris et de la laine de verre. Sur BFMTV, une journaliste locale témoigne, apeurée, depuis "un placard" de sa maison, qui "s'est envolée".

Dans le plus grand bidonville français, à Kawéni, "tout a été emporté, tout a été rasé", se désole à l'AFP une rescapée, sans abri. "Les bidonvilles qui abritaient des dizaines de milliers de personnes sont certainement des cimetières", avec des victimes probablement "englouties par les tôles et les coulées de boue", alerte la députée de l'archipel Estelle Youssouffa (Liot), depuis Paris. Dans la propre maison de l'élue, pourtant en dur, le toit a disparu. Son frère, sa belle-sœur et leur bébé "ont survécu sous une table pendant des heures sous les vents et la pluie", confie-t-elle à BFMTV.

"Notre maison était solide, c'est ce qu'on pensait."

Estelle Youssouffa, députée Liot de Mayotte

à BFMTV

D'où qu'ils viennent, les témoignages évoquent des murs qui tremblent, des tôles arrachées, des maisons inondées, des bananiers à terre. "L'intérieur des chambres a été aspiré", raconte le gérant d'un hôtel au nord de Mamoudzou, qui affirme avoir "tout perdu". Même constat dans un autre établissement touristique en Petite-Terre : "Il ne reste quasiment rien de l'hôtel", décrit une cliente au Figaro. "On nous avait pourtant rassurés en nous disant que le bâtiment était très récent et aux normes."

Un accouchement en plein cyclone

Comme un phare dans la nuit, les journalistes de Mayotte la 1ère restent en poste pour informer les habitants, toute la matinée, sur l'évolution de la situation. Soudain, à 10h24, une fenêtre cède à la radio et à la télévision, dans un direct diffusé également sur Facebook. "On est en danger", s'alarme un invité sur le plateau. "Y a pas une pièce refuge ici ?", lance-t-il, au milieu de voix paniquées. "Allez là-bas", entend-on, avant un long silence en studio. Près d'une heure plus tard, l'émission reprend. "Nous avons dû changer de studio pour des raisons de sécurité, mais toute l'équipe est en bonne santé", assure la présentatrice, avant de poursuivre. Car l'urgence est ailleurs.

Au centre hospitalier de Mayotte, les portes et les fenêtres éclatent et l'eau se met à monter au sein de la maternité, la plus grande d'Europe. "C'est comme si le cyclone nous avait suivis dans les couloirs, on a essayé de trouver un couloir adapté pour abriter les patientes, c'était la panique totale, les larmes, c'était très dur entre 11h30 et 14 heures, c'était vraiment une scène d'horreur", décrit sur franceinfo le chef du service obstétrique. Alors qu'une femme est sur le point d'accoucher, l'inondation gagne le bloc opératoire. Le médecin envisage de pratiquer une césarienne en urgence, mais parvient finalement à l'éviter. "On a tout fait pour l'accoucher", assure-t-il.

Presque aucun bâtiment officiel ne résiste à la puissance des vents, enregistrés à 226 km/h à l'aéroport de Pamandzi, selon Météo-France, tandis que la sécurité civile évoque des "rafales de 260, 270, 280 km/h". Au bord des pistes, la tour de contrôle de l'aéroport voit ses vitres soufflées par le vent et un véhicule se renverse non loin d'arbres déchiquetés. Le centre opérationnel d'incendie et de secours doit être évacué, selon les pompiers, qui ont alors toujours pour ordre de rester confinés, malgré les appels à l'aide de la population. "On craint de découvrir une catastrophe", lâchent les soldats du feu.

"C'est apocalyptique"

L'inquiétude la plus palpable s'échappe sans doute des centres d'hébergement d'urgence. "Une partie des toits est partie" et certains sites prennent l'eau, rapporte sur franceinfo le président de l'association des maires de Mayotte, Madi Madi Souf, qui se trouve à Paris. "C'est apocalyptique", décrit-il. Surtout, les centres sonnent beaucoup trop creux : à peine 3 500 personnes y ont pris place avant le passage du cyclone. Où sont les près de 100 000 autres occupants d'habitations précaires ? "Les gens n'ont pas pris conscience de la dangerosité de l'événement", s'alarme le maire de Mamoudzou, Ambdilwahedou Soumaila, auprès du Figaro.

Malgré la garantie apportée par les autorités que chacun serait accueilli, même en situation irrégulière, nombre d'immigrés sans papiers habitant les bidonvilles n'ont pas rejoint les abris "en pensant que ce serait un piège qu'on leur tendait (...) pour les ramasser et les conduire hors des frontières", avance le secrétaire départemental de la CFDT, Ousseni Balahachi, interrogé par l'AFP. "Ces gens-là sont restés jusqu'à la dernière minute. Quand ils ont vu l'intensité du phénomène, ils ont commencé à paniquer, à chercher où se réfugier. Mais c'était déjà trop tard, les tôles commençaient à s'envoler."

En début d'après-midi, la préfecture décide de rétrograder le niveau d'alerte de violet à rouge, pour permettre l'intervention des secours. La population, elle, doit continuer à se confiner face à des éléments toujours déchaînés dans le sillage du cyclone, désormais en route vers les côtes africaines. "Notre île est en ce moment même touchée par le cyclone le plus violent et destructeur que nous ayons connu depuis 1934", déclarent alors gravement les services de l'Etat. "Beaucoup d'entre nous avons tout perdu." 

Dimanche, Chido a quitté l'archipel, et l'alerte rouge est levée en fin d'après-midi. Il faut désormais secourir les habitants dans un territoire dévasté, où le bilan humain s'annonce terrible. Le préfet a dit s'attendre à recenser "plusieurs centaines" de morts, voire "quelques milliers".

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